Confitures
Je t’ai trouvée en gros tablier bleu
Toute penchée, air grave et joues empourprées
Sur un chaudron que léchait un grand feu
Et qu’emplissaient des prunes mordorées…
L’été vibrant de bondissantes sèves
Riait en toi, sur tes lèvres en fleurs,
Sur tes bras nus dont la chaude couleur
Semble volée au sable roux des grèves.
Midi criant d’aveuglante lumière
Criblait ton cou de rayons précieux ;
Par les volets mi-clos un coin des cieux
Brillait, brodé d’une rose trémière…
Lors, altéré par la chaleur du jour,
Je suis entré, ma douce bien-aimée,
Et t’enlaçant tout éperdu d’amour
J’ai bu l’été sur ta bouche embaumée…
(Jean Durtal, in La Fontaine du soir, p. 41)
ÉLÉGIE QUATORZIÈME
— Mon amour, disais-tu. — Mon amour, répondais-je.
— Il neige, disais-tu. Je répondais : Il neige.
— Encore, disais-tu. — Encore, répondais-je.
— Comme ça, disais-tu. — Comme ça, te disais-je.
Plus tard, tu dis : Je t’aime. Et moi : Moi, plus encore…
— Le bel Été finit, me dis tu. — C’est l’Automne.
répondis-je. Et nos mots n’étaient plus si pareils.
Un jour enfin tu dis : Ô ami, que je t’aime…
(C’était par un déclin pompeux du vaste Automne.)
Et je te répondis : Répète-moi… encore…
Francis Jammes
La santé est le silence du corps.
Le bonheur serait-il le silence de l'âme ?
(p. 9)
Je voudrais te dévaster d'amour
Je voudrais te dévaster d'amour
comme les cigales mangent les champs
et que tu sois nu de toi-même
et qu'il n'y ait que moi pour te recouvrir.
Tu ne saurais plus
où tu commences, ou je finis.
Emmêlés dans la chaire et l'esprit,
brûlés vifs l'un sur l'autre,
se riant du plaisir
comme les enfants, l'hiver,
qui ont enfin chaud
dans la chambre chaude.
(...)
Andrée Sodenkamp
STANCES À PARTHÉNICE
Parthénice, il n’est rien qui résiste à tes charmes :
Ton empire est égal à l’empire des dieux ;
Et qui pourrait te voir sans te rendre les armes,
Ou bien serait sans âme, ou bien serait sans yeux.
Pour moi, je l’avouerai, sitôt que je t’eus vue
Je ne résistai point ; je me rendis à toi :
Mes sens furent charmés, ma raison fut vaincue,
Et mon cœur tout entier se rangea sous ta loi.
Je vis sans déplaisir ma franchise asservie ;
Sa perte n’eut pour moi rien de rude et d’affreux ;
J’en perdis tout ensemble et l’usage et l’envie :
Je me sentis esclave, et je me crus heureux.
Je vis que tes beautés n’avaient point de pareilles :
Tes yeux par leur éclat éblouissaient les miens ;
La douceur de ta voix enchanta mes oreilles ;
Les nœuds de tes cheveux devinrent mes liens.
Je ne m’arrêtai pas à tes beautés sensibles,
Je découvris en toi de plus rares trésors ;
Je vis et j’admirai les beautés invisibles
Qui rendent ton esprit aussi beau que ton corps.
Ce fut alors que voyant ton mérite adorable,
Je sentis tous mes sens t’adorer tour à tour ;
Je ne voyais en toi rien qui ne fût aimable,
Je ne sentais en moi rien qui ne fût amour.
Ainsi je dis d’aimer l’heureux apprentissage ;
Je m’y suis plu depuis; j’en aime la douceur;
J’ai toujours dans l’esprit tes yeux et ton visage,
J’ai toujours Parthénice au milieu de mon cœur.
Oui, depuis que tes yeux allumèrent ma flamme
Je respire bien moins en moi-même qu’en toi
L’amour semble avoir pris la place de mon âme
Et je ne vivrais plus s’il n’était plus en moi
Vous qui n’avez point vu l’illustre Parthénice,
Bois, fontaines, rochers, agréable séjour !
Souffrez que jusqu’ici son beau nom retentisse,
Et n’oubliez jamais sa gloire et son amour.
Jean Racine (poésies lyriques)
Poème à dire
La liberté ne s'écrit pas sur la forme changeante des nuages
La liberté n'est pas une sirène cachée au fond des eaux
La liberté ne vole pas au gré des vents
Comme une lunule du pissenlit
La liberté en robe de ciel ne va pas dîner chez les rats
Elle n'allume pas ses bougies de Noël
Aux lampions du 14 juillet
La liberté je lui connais un nom plus court
Ma liberté s'appelle Amour
Elle a la forme d'un visage
Elle a le visage du bonheur.
(Marcel Béalu, L'Air de vie)
Qu'est-ce que le bonheur ?
Qu’est-ce que le bonheur ? Peut-être un vallon bleu
Dans lequel j’ai chassé, voici trente ans, le lièvre.
Que m’importent l’échelle d’or, les rouges lèvres ?
Tout est vain qui n’a pas le grand calme de Dieu.
Dites, parlant de moi, que Jammes devient vieux.
Sans que vous soupçonniez combien jeune est sa fièvre ;
Mais il vous tend le sel, ô chevreaux que l’on sèvre,
Le sel de la sagesse où se mirent les Cieux.
La coupe la plus douce apporte l’amertume,
Sauf la coupe du vallon bleu qu’emplit la brume
Comme d’un lait que boit l’Aurore à son réveil.
J’ai su vous oublier, amours adolescentes,
Mais encore je vois un chien qui par la sente
À travers la rosée allait vers le soleil.
(Francis Jammes, in Elégies et autres poèmes, 1946)
Tournant le dos aux esprits chagrins, je me suis mis en quête de ces états de grâce qui vont de la plénitude de la volupté jusqu’aux rires un peu fous, en passant par les plages la tendresse partagée. Ma recherche semble ressemblait aux allées et venues des glaneurs d’autrefois pour recueillir les épis oubliés. En les rassemblant, pour composer un bouquet, c’est toute la gamme des bonheurs qui, par sa richesse, nous rappellent que nous sommes tous les jours trop négligents, trop étourdis et, pour reprendre l’admirable expression de Gustave Thibon, que « notre regard manque à la lumière ».
(p. 10)
Cette anthologie se moque des modes et des diktats contemporains. C’est un pèlerinage aux sources toujours vivantes de notre pays. Les faire jaillir et jaser auprès des fleuves renommés et des fontaines célébrées, c’est l’enchantement de la découverte. Quel plaisir de boire des eaux si fraîches, si légères ! Si pures, qu’à peine bues, on souhaite d’être de nouveau altéré, pour les boire encore et savourer un bonheur qui file comme une onde, ondoyant et toujours mystérieux.
(p. 13)
Tout le bonheur est d'être ici dans l'espérance d'un ailleurs…
(p. 121)