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Critiques de Andrea Sorrentino (84)
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Gideon Falls, tome 1 : La grange noire

♫Rumour spreadin' a-'round in that Texas town

La rumeur se répand dans cette ville du Texas

'Bout that shack outside La Grange

Concernant la cabane hors de 'La Grange'

And you know what I'm talkin' about.

Et vous savez de quoi je parle.

Just let me know if you wanna go

Dites moi seulement si vous voulez aller

To that home out on the range.

Dans cette maison là-bas dans les pâturages.

They gotta lotta nice girls ah.

Ils ont pas mal de filles canons ah.



Have mercy.

Ayez pitié.

A haw, haw, haw, haw, a haw.

A haw, haw, haw, haw, a haw.

A haw, haw, haw.

A haw, haw, haw.



Well, I hear it's fine if you got the time

Bien, j'entends que c'est bon si vous avez le temps

And the ten to get yourself in.

Et le pognon pour vous y emmener.

A hmm, hmm.

A hmm, hmm.

And I hear it's tight most ev'ry night,

Et j'entends que c'est complet presque tous les soirs,

But now I might be mistaken.

Bon maintenant, je peux me tromper...

Hmm, hmm, hmm, hmm.

Hmm, hmm, hmm, hmm.



Have mercy.

Ayez pitié.♫

La Grange- ZZtop - 1973 -

🎶🎶🎶🎶🎸🎸🎸🎸🎸🎸🎶🎶🎶🎶

Te confronter davantage au monde qui nous entoure

Sors de ton monde imaginaire, ne regarde plus par terre

Sors des caniveaux, pour les poubelles plus de détours

Cette obsession de fouiller, c'est ta pathologie qui parle

Quelque chose de tordu, d'abstrait, un Mal Littéral

Les clous ramassés, les bouts de planches calcinées

Laisse tomber, envoie tout au diable, le Mal incarné

Eclats de bois éparpillés comme à travers un vitrail

Tout va rentrer dans l'Ordre, tes peurs viscérales

Surtout garde Encore avec toi, ton masque d'Hôpital...

-masque-masque-masque-masque-masque-masque-



Champ de maïs aplati quand la Grange noire atterrit

Une grande partie de ce que je suis

de qui j'étais et de comment j'ai grandi

Aussi étrange que mystérieux

Auteur perturbé, dépressif voire anxieux

Pour faire sursauter son public

Lemire Jeff fraye mon chemin dans l' Horrifique....



5/5 PEUX PAS DIRE MIEUX...
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Green Arrow, tome 1 : Machine à tuer

Vous ne le savez peut-être pas, mais Urban Comics ne publie pas Green Arrow maintenant uniquement parce que la série télévisée Arrow attire de plus en plus de fans, non, cette publication arrive surtout parce que l’histoire qu’elle contient vaut le détour après des numéros largement critiqués et critiquables. Jeff Lemire et Andrea Sorrentino reprennent au numéro 17 une série qui partait à vau-l’eau et balaient dès la première page tout ce qui n’allait pas précédemment, « comme une vaste blague » ! Prêt pour un nouveau départ ? Oliver Queen a intérêt à l’être !



Sans grande introduction, mais par une plongée directe dans l’action et le quotidien d’Oliver Queen, nous découvrons très rapidement le nouvel adversaire très sérieux de Green Arrow, Komodo, et tout aussi vite un potentiel allié, Magus. Tout cela fleure déjà bon de nouvelles origines, des inspirations mythologiques mais aussi plus exotiques. Les fondamentaux de Green Arrow sont bien présents : la jeunesse et l’impétuosité d’Oliver Queen, les combats à l’arc, la petite équipe de soutien, ainsi que les déboires de l’entreprise familiale, Queen Industries.

C’est un peu compliqué, au départ, de cerner le style de dessin porté par Andrea Sorrentino, mais tout cela est largement compensé par la construction plutôt recherchée et très méthodique des cases et des planches. Zooms, démultiplications d’un personnage au sein d’une même case, scènes parallèles sur une même planche, les effets graphiques se succèdent les uns aux autres sans être gratuits le moins du monde. Même si on met un peu de temps à s’habituer aux graphismes d’Andrea Sorrentino, les jeux sur les lumières sont très réussis et la mise en valeur de champs/contre-champs dans la même case est parfaitement maîtrisée, ce qui rend le trait de cet artiste forcément plus intéressant à découvrir désormais. Cela fonctionne d’autant mieux que nous avons affaire à un duel à mort entre deux entités parfaitement parallèles.

L’épisode 21 et les suivants lancent le héros encapuchonné vers un voyage initiatique, certes classique, mais salvateur pour ancrer le personnage dans une histoire plus large et plus ambitieuse. C’est d’ailleurs le passé qui régit toute la fin de ce premier volume, puisque les actes du père Queen rejaillissent inévitablement sur la destinée du fils. La mythologie du Green Arrow s’installe tranquillement : les Outsiders, les antiques totems guerriers, l’origine du Comte Vertigo (lors de l’épisode 23.1, spécial « Vilains Month »), quelques menaces sont dévoilées pour les prochaines aventures de l’Archer Vert... il devra bien devenir une véritable « machine à tuer » pour faire face à tout ce beau monde !



Le nouveau départ opéré par Jeff Lemire et Andrea Sorrentino sur le personnage de Green Arrow fait ô combien du bien ! Une psychologie cohérente, des adversaires qui valent le coup, une mythologie constructive et des dessins énergiques : que demande le peuple ?!



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Green Arrow, tome 2 : La guerre des Outsiders

Après un premier tome qui remettait tout à plat dans la continuité de Green Arrow en nous proposant une toute nouvelle mythologie du personne, Jeff Lemire et Andrea Sorrentino poursuivent leur run salué par tous et salvateur pour Oliver Queen.



Pour débuter ce deuxième tome, Jeff Lemire commence par nous proposer un retour en arrière dans l’histoire des débuts de Green Arrow avec une incursion, en voisin, dans la Gotham de l’An Zéro quand Batman fait lui aussi son apparition soudaine. À part nous justifier l’utilisation du personnage de John Diggle et nous rappeler que la mère d’Oliver, Moïra, a existé, cela n’est pas d’une grande utilité, malheureusement, car cela sent trop les liens forcés avec la série télévisée Arrow (ainsi que l’inévitable côté tie-in aux côtés de l’envahissant Scott Snyder depuis sa série Batman). Pour l’instant, du moins... Et oui, à la suite de Jeff Lemire, le scénario sera repris par un des scénaristes de la série télévisée... et cette série redeviendra anonyme, servant une fois de temps en temps à étendre un crossover issu de la volonté de Scott Snyder. Ces deux orientations conjointent mettront un terme à ce magnifique run de Jeff Lemire et Andrea Sorrentino et c’est plutôt navrant.

Pour le reste, dès notre retour au présent développé dans le premier tome, l’action reprend ses droits et la mythologie introduite précédemment : maintenant que tout est présenté, les Outsiders, et autres totems, il est temps de faire danser tout cela ! Oliver se pose des questions, Shadô veut de l’action, Komodo fourbit ses armes. Indéniablement, la Guerre des Outsiders tient le choc et se justifie plutôt bien quand on se rend compte jusqu’où peut aller un homme pour ses ambitions, justifiées ou non. Dans ces moments-là, des découvertes fracassantes sont toujours à prévoir ; il y a de quoi s’amuser et s’investir dans cette lecture, car il y a de l’enjeu pour l’entourage d’Oliver Queen.

Nous retrouvons avec bonheur le trait particulier d’Andrea Sorrentino. Il crée toujours des ambiances magnifiques, notamment concernant les scènes sur l’île, dans la jungle. De plus, il multiplie les encarts graphiques pour mettre en valeur des points d’impact particuliers quand les flèches commencent à voler dans tous les sens. Véritablement, il tente de donner une autre signification aux différents combats présents dans ce volume. Le but n’est pas de faire quelque chose de classique, mais de nous apporter quelque chose de différent, un autre angle de vue. Et c’est plaisant.



Jeff Lemire et Andrea Sorrentino forment décidément un très bon duo pour nous narrer des aventures de l’Archer Vert. C’est bien dommage de voir que DC Comics ne leur permet de développer leurs idées de la manière la plus aisée qui soit (date de fin déjà connue et crossover imposé sans grande utilité). Malgré tout, ce deuxième tome qui correspond aux numéros 25 à 31 de la série New 52 est très réjouissant pour la mise en valeur du personnage.



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Joker : Killer Smile

Devenu aussi populaire que son ennemi juré au fils du temps, le clown psychopathe de Gotham City a inspiré bien des artistes depuis sa création.

Cette fois, c’est Jeff Lemire (Descender, Sweet Tooth, Black Hammer) qui s’y colle épaulé par Andrea Sorretino (Green Arrow, Gideon Falls) au dessin et Jordie Bellaire pour la colorisation.

Ce one-shot en 3 numéros (+ un épilogue) introduit deux personnages : le psychiatre Ben Arnell et l’énigmatique Mr Sourire.

Bienvenue à nouveau dans l’esprit dérangé du Joker !



Dans Killer Smile, Ben Arnell tente de percer à jour l’énigme psychiatrique du plus fameux psychopathe de Gotham City : le Joker.

Au fur et à mesure de ses entretiens, Ben Arnell perd pied face au réel et sa famille commence à le trouver de plus en plus bizarre. En s’enfonçant dans l’univers mental du Joker, Ben rencontre un personnage fictif dans une BD pour enfant dérangeante à souhait : Mr Sourire est-il réel ?

Sans en dévoiler davantage sur l’intrigue principale de Killer Smile, il faut préciser que ce n’est pas la première fois qu’une approche psychiatrique est tenté avec le Joker, c’était d’ailleurs le cas dans Arkham Asylum de Grant Morrison et Dave McKean. Ici, pourtant, Jeff Lemire ajoute une dimension quasiment virale au Joker comme si sa folie était hautement contagieuse.

En parallèle, l’américain dissèque certains mécanismes de la malade mentale comme l’anosognosie (le fait de ne pas se rendre compte de sa pathologie) ou encore la déréalisation (sentiment d’irréalité du monde extérieur). Plus loin, Jeff Lemire s’interroge sur les perturbations premières de l’esprit du Joker et la beauté qu’il perçoit dans le rire…à sa façon. La déformation d’un sentiment qui finit par confiner au pathologique.

Ouvertement inspiré par le Killing Joke d’Alan Moore (pour sa fin géniale) et par Joker de Lee Bermejo (pour le look plutôt voyou), Killer Smile joue perpétuellement avec le réel et brise ses personnages.



Au centre, on trouve une création géniale, celui du petit monde de Mr Sourire, un personnage de BD troublant puisqu’il tue à la tronçonneuse avec l’apparence d’un bonhomme enfantin. Mr Sourire, au fil du temps, finit par incarner une certaine dissonance cognitive, la graine de folie qui germe et qui fausse les émotions et la perceptions du monde. Une folie que l’on peut combattre mais qui reste derrière le palais, entêtante, inquiétante. L’occasion est d’ailleurs trop belle pour Jeff Lemire pour ne pas se lancer dans un numéro expérimental dans l’épilogue (Batman : The Smile Killer) où il inverse les rôles et remplace le Joker par le Batman pour montrer que celui-ci souffre potentiellement du même type de folie paranoïaque que son adversaire de toujours. On rejoint ainsi les dernières cases de Killing Joke et le message sous-jacent de Arkham Asylum.

Mais tout cela ne serait rien, ou pas grand chose, dans le coup de crayon formidable d’Andrea Sorrentino qui arrive non seulement à capter la folie des personnages mais aussi à l’illustrer de façon créative et inattendue en morcelant, éclatant, déformant ses planches. Magnifié par la palette saisissante de Jordie Bellaire, Killer Smile se transforme en un sombre cauchemar où même les couleurs pourtant chatoyantes d’un conte pour enfant deviennent dérangeantes.



Joker : Killer Smile s’intègre dans le panthéon des œuvres fondamentales sur le Joker…mais aussi sur le Batman. Plongée dans la folie et dans son aspect le plus inattendu, la contagion, l’opus de Jeff Lemire et Andrea Sorrentino capte une nouvelle facette d’un personnage qui n’en finira jamais de nous surprendre. Ne le ratez pas !
Lien : https://justaword.fr/joker-k..
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Gideon Falls, tome 1 : La grange noire

En digne amateur de Swamp Thing et Animal Man, il était écrit que ma modeste expérience du comics soit un jour amenée à croiser le chemin de Gideon Falls. Halloween approchant à grands pas, je trouvai le prétexte idéal pour enfin entamer ce premier tome dont j'avais tant ouï les louanges. Après une journée harassante de boulot (vous savez cette bonne vieille loi des séries), un bol de chips et un bon petit - bon okay peut-être légèrement plus - verre de délectable Fitou plus tard, l'affaire était pliée. Verdict ? le résultat est franchement plaisant, même si perfectible.



Débutons avec l'aspect graphique qui va sûrement en rebuter plus d'un dès les premières pages tournées, tant la patte d'Andrea Sorrentino se veut des plus singulières. du coup de crayon convexe à la limite du brouillon, aux planches atypiques aux tons psychédéliques parfois très prononcées et défiant les lois de la gravité à vous donner le tournis, le dessinateur compte bien marquer les esprits. Même si de prime abord j'ai personnellement eu un peu de mal à m'accoutumer au style, je dois reconnaitre que j'ai fini par y trouver un charme fou, notamment grâce aux coloriages bien pensés de Dave Stewart qui mettent parfaitement en valeur l'oeuvre du graphiste.



De son côté, le très prometteur Jeff Lemire livre une intrigue à la fois nébuleuse et lugubre, qui ne manquera pas de vous ravir à coup sûr tant les inspirations télévisuelles auprès des ambiances de True Detective, de la Black Lodge de Twin Peaks ou encore des ténors de l'horreur sur grand écran imprègnent habilement l'histoire. Des tréfonds de l'Amérique profonde crasseuse aux meurtres sanguinolents arpentant le récit en passant par de (hélas trop rares) glaçants passages teintés de fantastique, l'auteur signe un envoûtant, même si imparfait, conte horrifique aux multiples facettes.



Si les amorces de notes philosophiques, réflexions sur la religion et psychologie des personnages sont intéressantes, elles sont malheureusement trop lisses, tout comme les enjeux qui semblent non seulement à peine effleurés, mais également fluets. Ce premier tome pâtit donc de son statut introductif et ne parvient pas à suffisamment susciter l'intérêt malgré des prémices alléchantes et pleines de promesses. Cependant, l'exercice reste louable et mérite que l'on s'y attarde, que vous soyez adeptes de comics en-dehors des sentiers battus du mainstream ou non. Bienvenue dans l'antre du mal.
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Joker : Killer Smile

Ce tome comprend une histoire complète indépendante de toute autre. Il regroupe les 3 épisodes de la minisérie ainsi que le numéro supplémentaire Batamn: Smile Killer, initialement parus en 2020, écrits par Jeff Lemire, dessinés et encrés par Andrea Sorrentino, et mis en couleurs par Jordie Bellaire. Les couvertures originales ont été réalisées par Sorrentino & Bellaire. Les deux couvertures variantes ont été réalisées par Kaare Andrews.



Dans une large avenue de Gotham, un petit garçon marche en donnant la main à a maman : il regarde des ballons s'élever dans le ciel, certains verts certains violets. Dans sa cellule, Joker pense à sa motivation : créer des belles choses, des choses sublimes que personne n'a jamais créées. Des ballons flottent par dizaine dans le ciel de ce quartier de Gotham : ils explosent et libèrent un gaz mortel, empoisonnant les passants qui meurent avec un rictus sur le visage, comme un grand sourire crispé trop large. Dans sa grande cellule très haute de plafond, avec une grande paroi de verre, Joker continue à parler : le rire est la vraie beauté, la vie est faite pour être savourée, et certains en sont incapables. De l'autre côté de la paroi vitrée, le psychologue Ben Arnell prend régulièrement des notes. Joker lui indique que ça va être dur pour lui d'établir un diagnostic s'il n'est pas capable de déceler quand il ment. Le docteur lui répond qu'il n'est pas là pour établir un diagnostic, mais pour guérir Joker. Ce dernier rit doucement pendant un instant. Arnel lui demande si ce n'est pas ça qu'il veut : guérir ? Joker répond que ça fait longtemps que quelqu'un ne lui a pas demandé ce qu'il veut, mais que le guérir n'apporterait rien aux centaines de personnes qu'il a tuées. Il termine en ajoutant que ces sessions ne sont pas pour ses victimes, ni même pour lui, mais bien pour Ben Arnell lui-même.



Après cet entretien avec Joker, le docteur Ben Arnell effectue un débriefing avec la docteure Marie Hutchins, responsable des suivis psychiatriques des patients de l'asile d'Arkham. Elle lui demande si Joker a raison quant à une motivation égocentrée d'Arnell : il lui répond que non et qu'il espère bien que l'étude d'une folie aussi poussée que celle de Joker lui permettra de formuler des propositions de traitement pour des patients à un stade moins avancé. Elle lui rappelle qu'il n'a plus que deux semaines d'étude, et qu'après il retourne à son université, car déjà il semble que Joker commence à jouer avec lui, et elle ne veut pas perdre un autre jeune psychologue. Puis elle lui raconte une blague nulle de Jason Woodrue, un autre patient. Ils sourient doucement tous les deux, Joker semblant les regarder en fixant la caméra de sa cellule. Enfin, Ben Arnell rentre chez lui en voiture, en banlieue. Il arrive tardivement et trouve sa femme Anna avec son fils Simon dans le spacieux salon, autour de la table basse, devant le manteau de la cheminée au-dessus duquel est accroché un tableau avec un test de Rorschach. Son épouse lui fait observer qu'il a une heure de retard, mais elle sourit. Ben demande à son fils comment s'est passé sa journée : Simon lui montre un dessin. Ils passent à table, et Ben ressent la chaleur humaine, le bonheur domestique, appréciant les rires. Il y a une vraie beauté dans les rires.



Joker est un personnage créé par Bob Kane, Bill Finger et Jerry Robinson en 1940, et apparu pour la première fois dans Batman 1. Ici, Jeff Lemire met en œuvre une version générique : un individu maigre, à la peau blanche et aux cheveux discrètement verts, un criminel endurci, un tueur en série et un tueur de masse, un individu fou, mis en prison par Batman. Comme il s'agit de la collection Black Label destinée à un public adulte, il n'est pas tenu de faire référence à quelque continuité que ce soit. Andrea Sorrentino en donne une représentation très naturaliste : un homme normal, calme et posé, avec un sourire inquiétant, parfois juste un peu trop large. De fait, les références à la mythologie associée à Batman sont très limitées : deux ou trois apparitions de Batman dans une case, la vision d'une partie des autres patients incarcérés à Arkham (des supercriminels classiques comme Bane, Clayface, Harley Quinn, Killer Croc, Mad Hatter, Man-Bat, Mister Freeze, Penguin, Poison Ivy, Professor Pyg, The Riddler, Scarecrow, Two-Face, Ventriloquist) le temps de 2 ou 3 courtes séquences. L'objet du récit n'est pas la lutte de Joker contre Batman, ou les patients d'Arkham : c'est l'évolution de la relation entre Joker et son analyste, la façon dont il le manipule à son insu. En voyant le test de Rorschach accroché comme un tableau, le lecteur pense tout de suite à l'épisode 6 de la série Watchmen d'Alan Moore & Dave Gibbons : le psychologue Malcolm Long interrogeant Walter Korvacs qui lui fait prendre conscience de l'horreur du monde, du gouffre sans fond de la méchanceté de l'être humain. Le lecteur se doute bien que les choses vont mal tourner pour le pauvre Ben Arnell, trop idéaliste, trop jeune.



Le lecteur s'attend donc à ce que Ben Arnell perde pied progressivement. Ça commence très discrètement avec cette remarque anodine sur le rire comme moment de beauté. La narration visuelle s'appuie sur une approche naturaliste, sans les exagérations propres aux comics de superhéros : pas de musculature du culturiste dopé, pas de combats physiques chorégraphiés avec une violence sadique. La scène avec les ballons est même jolie tant qu'on ne voit pas les visages grimaçants des cadavres. Ensuite seule la hauteur sous plafond de la pièce d'entretien sort de l'ordinaire, vraisemblablement une bizarrerie architecturale de l'asile d'Arkham. Ben Armell a un physique quelconque et ordinaire, avec un sourire confiant. L'artiste détoure les personnages et les éléments d'un trait fin, mais pas cassant, leur donnant un peu de poids avec des aplats de noir mesurés, comme la barbe de Ben, la chevelure d'Anna. La mise en page est aérée, avec de nombreuses cases de la largeur de la page, et le personnage au centre. Il n'y a que la mise en couleurs qui génère une sensation vaguement cafardeuse, avec des teintes un peu sombres.



Alors qu'il est le maître de compositions de page aventureuses (par exemple dans Green Arrow, ou dans Gideon Falls, toutes les deux avec un scénario de Lemire), ici, Sorrentino s'en tient à des cases bien rectangulaires et sagement alignées. Le choc n'en est que plus fort quand il passe dans un autre mode avec un découpage de page audacieux, soulignant un effet horrifique avec une grande efficacité. Les couleurs suivent le mouvement devenant plus sombre ou noyées dans le rouge sang. Le suspense psychologique augmente d'autant de crans, Ben Arnell subissant une hallucination ou effectuant une action sortant de l'ordinaire, attestant de l'emprise inconsciente de Joker sur son esprit, son ressenti, sa façon de réfléchir, de voir le monde. Le lecteur mesure toute l'habileté de l'artiste en regardant les pages faites à la manière d'un livre pour enfant où l'illustration gentille avec des formes rondes comprend un élément sinistre, preuve de la présence de la perversion meurtrière insidieuse de Joker. Pour peu qu'il ait déjà lu ou vu une histoire de ce genre, le lecteur se doute bien de la tournure et des événements, et sait que l'intérêt du récit réside dans la manière dont le psychologue perd pied, les symptômes attestant de sa manipulation par Joker et de la capacité de conviction de ce dernier. De ce point de vue, le scénariste maîtrise ses effets : le lecteur est convaincu par les éléments qui font que le personnage principal perd pied, doute de son système de valeurs. Cela commence très élégamment par Joker faisant incidemment remarquer qu'il n'a peut-être aucune envie de guérir. En bon scénariste, Jeff Lemire a réservé une surprise de taille au lecteur en cours de route, mettant en cause la fiabilité du comportement d'Arnell.



Cette histoire relève d'un bel ouvrage, bien exécuté, avec une ambiance sur le point de basculer dans les ténèbres, des dessins réalistes, avec une mise en page bien stable, rendant ses écarts visuels ponctuels très significatifs et impressionnants, et une tonalité qui convainc doucement le lecteur de la folie profonde de Joker, et de la force de son esprit, inimaginable par le commun des mortels, même un professionnel. Le lecteur éprouve la sensation de la perte d'équilibre et de repères de Ben, ressentant une forte empathie pour lui, mais il manque le grain de folie nécessaire pour que le récit soit assez noir, ou assez oppressant pour être indispensable.



Entraînés par son sujet et par le succès de la série, Jeff Lemire, Andrea Sorrentino et Jordie Bellaire ont réalisé un quatrième épisode, cette fois-ci du point de vue de Batman. Enfant Bruce Wayne regardait une émission jeunesse à la télévision avec une marionnette (Mr. Smiles) sur la main du présentateur dont le visage n'apparaissait pas à l'écran. Mr. Smiles tenait des propos étranges sur incitant les enfants à sourire, semblant s'adresser directement au jeune Bruce et lui reprocher de ne pas sourire. Au temps présent, Batman intervient dans un immeuble où Joker est sensé se trouver. Il découvre des cadavres dans un présentoir de boucher, et un dessin sur une feuille : Mr. Pouts, un visage qu'il avait représenté enfant. Plus tard, Bruce Wayne est interné à Arkham Asylum et Ben Arnell est dans la cellule contiguë.



Logique que les responsables éditoriaux aient voulu prolonger les ventes de la série, et que le scénariste propose une suite en adoptant le point de vue de Batman. Andrea Sorrentino et Jordie Bellaire sont dans le même mode réaliste, avec une dose de désespoir dans les couleurs ternes et sombres. Mais ce n'est pas une suite : l'histoire suit surtout Bruce Wayne, et Ben Arnell est cette fois-ci un patient d'Arkham. Le scénariste joue sur la difficulté de savoir ce qui est réel, et ce qui correspond à la réalité déformée dans l'esprit de Bruce, par l'administration d'une drogue de Joker. Bien sûr, le lecteur effectue le parallèle entre le cheminement de Ben Arnell dans le récit principal et celui de Wayne dans cette coda. L'influence de Joker sur Bruce enfant est particulièrement malsaine, mais vraisemblablement totalement factice, ou pas. Difficile d'y retrouver ses petits. Mais ce n'est pas non plus totalement onirique. Le lecteur aurait bien aimé bénéficier d'un signe, comme Bruce dans la dernière page du récit, pour lui aussi s'y retrouver. Sympathique et malsain, mais pas totalement convaincant.
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Green Arrow, tome 1 : Machine à tuer

Si jamais vous n'êtes pas un habitué des comics et que, comme beaucoup sans doute, vous vous demandez si ça vaut le coup pour vous de lire ce recueil vu que vous n'avez jamais lu la série Green Arrow depuis sa création dans les années 40. La réponse est simple : OUI !



Je sais... Il n'y a pas de quoi. De rien et à bientôt.



Jeff LEMIRE ne fait pas totalement table rase du passé mais c'est tout comme. Les seize premiers numéros de Green Arrow depuis son reboot lors du 'new 52' ne valaient pas grand chose. C'était du super-slip de bas étage qui n'arrivait même pas à divertir.



Dans cet album, Oliver Queen (Green Arrow dans le civil) va découvrir que ce qu'il croyait savoir de sa vie n'était que la partie émergée de l'iceberg.

LEMIRE va donc poser de nouvelles bases à l'univers de l'encapuchonné vert. Mystères, révélations familiales, sociétés secrètes et nouveaux ennemis seront donc de la partie.



Les dessins d'Andrea Sorrentino apportent beaucoup de réalisme tout en conférant un aspect crépusculaire et sombre au ton général de la série. Son trait me fait beaucoup penser à celui de Jae Lee.

Tout comme la série à l'archer de chez Marvel (Hawkeye, sacrément recommandée), il y a beaucoup d'effets graphiques : ronds concentriques à la Vertigo d'Hitchcock, des cadrages pour isoler un détail ou souligner une action, des praxinoscopes étalés pour simuler une séquence cinétique, ...



Que vous soyez le cœur de cible ou non, vous passerez un bon moment avec le Green Arrow de Jeff LEMIRE.
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Gideon Falls, tome 1 : La grange noire

Ce tome est le premier d'une série indépendante de toute autre. Il contient les épisodes 1 à 5, initialement parus en 2018, écrits par Jeff Lemire, dessinés et encrés par Andrea Sorrentino, avec une mise en couleurs réalisée par Dave Stewart. Il comprend également les couvertures originales réalisées par Sorrentino et les couvertures alternatives réalisées par Jeff Lemire (*3), Jock, Tom Whalen, Cliff Chiang, Greg Smallwood, Dustin Nguyen, Skottie Young.



Norton Sinclair (un jeune homme) est en train de considérer un tas de sacs de déchets. Il porte un masque anti-poussière de type FFP2. Ayant pris sa décision, il enfile des gants de chirurgien pour fouiller dans les ordures. Il finit par détecter ce qu'il est venu chercher : une mince écharde de bois. Il la récupère précautionneusement et la met dans un bocal en verre qu'il referme avec un couvercle, et qu'il met dans sa besace. Il rentre chez lui, dans un appartement à la propreté douteuse. Il vient poser le bocal avec son écharde sur une étagère abritant plusieurs pots au contenu similaire. Il recule d'un pas et considère les 5 étagères remplis de bocaux. Il enlève son blouson, s'assoit sur son lit, et récite un Notre Père. Le père Wilfred arrive au terme de son voyage en voiture, dans la petite ville de Gideon Falls. Il remplissait la fonction de professeur au séminaire, mais l'évêque l'a envoyé là pour succéder au précédent prêtre. Après avoir garé sa voiture devant l'église, il est accueilli par Gene Tremblay, une femme âgée qui lui montre son logement et qui lui explique qu'elle s'occupait du père Tom qui l'a précédé.



Le père Wilfred (surnommé Fred) indique à Gene Tremblay qu'il souhaite rester seul pour se reposer. Juste comme elle part, il lui demande comment est décédé son prédécesseur. Elle lui répond qu'elle préfère ne pas en parler. De son côté, Norton Sinclair est en pleine séance avec sa psychothérapeute la docteure Angie Xu. Il a remis son masque anti-poussière qu'il conserve pendant la consultation. Il lui demande si elle croit au Mal. Elle évoque son obsession avec les déchets urbains. Il explique que c'est comme si une intuition le guidait pour choisir les morceaux de bois qu'il ramasse, peut-être même une voix. Elle lui répond qu'en tant que bouddhiste elle ne croit pas en l'existence d'un diable. Elle ajoute qu'il faut qu'il travaille à contenir son obsession, sinon elle se verra dans l'obligation de demander son retour en institution. Norton Sinclair termine la session en indiquant qu'il comprend la nécessité pour lui de reprendre du contrôle sur ses comportements. Il sort et commence à marcher pour rentrer chez lui. Il ne peut pas s'empêcher de ramasser un clou tordu dans la chaussée. La nuit, le père Wilfred se réveille au son d'une voix qui l'interpelle : il s'agit du père Tom qui se tient assis sur une chaise à côté de son lit.



Le lecteur est fortement intrigué par la couverture, avec cette presqu'île dont la forme dessine celle d'un buste humain de profil. Les auteurs ont décliné ce motif dans les autres couvertures, à partir de champs vus du ciel pour l'épisode 2, d'une marina pour l'épisode 3, d'une station d'épuration pour l'épisode 4, et de 2 autres paysages côtiers pour les épisodes 5 & 6, toujours en vue du ciel. Ces images annoncent une forme de relation entre un individu (ou plusieurs) et les sites concernés, comme s'il y avait imprimé sa marque, comme si sa conscience agissait sur la géographie des lieux. S'il est un lecteur habituel de comics, le lecteur est également curieux de découvrir une nouvelle série de Jeff Lemire, scénariste canadien prolifique et souvent original surtout sur les séries qui lui appartiennent en propre. Il est tout aussi curieux de découvrir une nouvelle collaboration entre Lemire et Andrea Sorrentino qui avaient imprimé la marque de leur forte personnalité sur les séries Green Arrow (épisodes 17 à 34) et Wolverine: Old man Logan. Il absorbe inconsciemment l'imagerie de la série véhiculée par les couvertures (et peut-être la quatrième de couverture s'il l'a lue) qui indique qu'elle s'inscrit dans le genre horrifique, ce qui fait naître plusieurs attentes en lui.



Le lecteur est un peu décontenancé par l'image d'ouverture qui se trouve à l'envers. Il s'agit d'un dispositif déjà employé par Lemire dans d'autres de ses séries, par exemple Trillium. Cette image renversée peut sembler gratuite, mais le scénariste réutilise ce principe de tête bêche par la suite, créant ainsi un motif visuel qui génère l'idée d'un lien entre 2 mondes, dans la tête du lecteur. Si cela lui a mis la puce à l'oreille, le lecteur relève d'autres occurrences de liens visuels par la suite, à commencer par ce clou ramassé par terre, qui répond au clou dans la main du père Tom, et que le lecteur associe aussitôt à l'image du Christ en croix présente par la suite. Les auteurs induisent par ce biais l'existence de liens entre des faits se produisant fortuitement et à des endroits éloignés, sous-entendant l'existence de forces invisibles, à l'œuvre de manière imperceptible par le commun des mortels, instillant l'idée qu'il existe des liens de cause à effet qui expliquent des faits a priori sans relation. Le lecteur se retrouve alors dans le bon état d'esprit pour une intrigue de complot et de forces occultes. Pour matérialiser ces manifestations surnaturelles, ils ont choisi la forme d'une grange noire (black Barn), plus anodine que réellement menaçante.



D'ailleurs, le lecteur est pris un peu à contrepied s'il connaît déjà le travail d'Andrea Sorrentino. L'artiste a su s'émanciper de l'influence de Jae Lee, très marquée à ses débuts. Il semble avoir choisi sciemment de se restreindre dans la composition de pages complexes, ce qui était une de ses marques de fabrique jusqu'alors. Le lecteur retrouve une page dont les cases sont disposées comme des rayons autour d'une case ronde dans le premier épisode, une similaire dans le deuxième épisode, des cases donnant l'impression de bandelettes arrachées dans le troisième et le quatrième, rien d'aussi flamboyant que par le passé. Il faut attendre l'épisode 4 pour Sorrentino se montre plus aventureux avec des cases représentées comme des facettes de cubes disposés pour former le symbole de l'infini, puis une traversée des apparences par Norton Sinclair d'ans l'épisode 5, et des effets plus étonnants dans l'épisode 6. Pour le reste, le lecteur a l'impression d'évoluer dans un monde triste et cafardeux, que ce soit dans les séquences centrées sur Norton Sinclair, ou celles centrées sur le père Wilfred



Effectivement, Dave Stewart réalise une mise en couleurs, à base de nuances grises et brunes, ternies. Celui lui permet de jouer un fort contraste avec une teinte rouge vif lors d'un moment de violence ou de passage vers le surnaturel. Ce choix de mise en couleurs engendre un effet de fadeur des dessins, sans aucune mise en relief autre que la couleur rouge utilisée avec parcimonie. Andrea Sorrentino donne l'impression d'avoir fait un choix similaire, en proscrivant les effets spectaculaires. Il reprend son mode de représentation habituel et personnel. Les dessins donnent l'impression de photographies retouchées et simplifiés pour chaque décor : l'appartement de Norton Sinclair, les champs de blé aux alentours de Gideon Falls, le parc où Sinclair & Xu s'assoient sur un banc, le cabinet de la docteure Xu, la cellule de prison de Wilfred, etc. Le lecteur observe que Sorrentino fait fortement varier la densité d'information visuelle dans les arrière-plans, mais que la mise en couleurs de Dave Stewart permet de conserver une impression homogène. L'artiste utilise une approche également quasi photoréaliste avec les personnages, mais avec des traits de contour plus fins, parfois jusqu'à en être cassants. De ce fait, ils bénéficient tous d'une apparence très distincte, à la fois pour la morphologie, le visage et la tenue vestimentaire. Dans le même temps, les simplifications apportées dans quelques textures permettent de plus facilement intégrer les protagonistes dans les décors, ou de les raccorder avec une manifestation surnaturelle.



Le lecteur plonge donc un monde proche du sien, mais baignant dans une ambiance vaguement dépressive qui constitue une indication sur l'état d'esprit de Norton Sinclair, obnubilé par sa recherche de fragments de bois, sur celui du père Wilfred avec un passé chargé, et même sur celui d'Angie Xu pas très sûre de pouvoir améliorer l'état de son patient. Jeff Lemire présente encore quelques personnages au lecteur, mais en nombre restreint : la shérif Clara Miller, ses adjoints Reggie et Tony Ballard, son père, un couple Joe Reddy & Janet, et l'évêque qui reste sans nom. La narration établit rapidement que le père Wilfred et Norton Sinclair sont liés par leur capacité à percevoir la Grange Noir, chacun à leur manière. Le scénario déroule l'intrigue de manière linéaire avec juste deux évocations légères du passé (l'histoire personnelle de Norton Sinclair qui reste assez superficielle) et l'existence du frère disparu d'un personnage. Le lecteur se laisse emmener dans les 2 lieux principaux, mais n'arrive pas à s'investir dans les 3 personnages les plus présents, ou à ressentir un soupçon d'effroi quant à la nature trop vague de la Grange Noire. La lecture est sympathique et professionnelle, mais dépassionnée, sans éclat, avec des rebondissements classiques.



Ce premier tome n'arrive pas à impliquer totalement le lecteur. Jeff Lemire & Andrea Sorrentino ont choisi de diminuer le niveau de spectaculaire ou de flamboyance visuelle de leurs précédentes collaborations, pour une narration plus réaliste et finalement plus terne. Le lecteur n'arrive pas à ressentir un niveau d'empathie suffisant pour les personnages, et il éprouve de forts doutes quant à la consistance potentielle du mystère de cette Grange Noire qui reste encore très générique à la fin de ce premier tome.
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Gideon Falls, tome 6 : The End

Ce tome fait suite à Gideon Falls, Volume 5: Wicked Words (épisodes 22 à 26) qu'il faut avoir lu avant. C'est le dernier de la série, et les 6 tomes forment une histoire complète : il faut donc commencer par le premier. Celui-ci reprend l'épisode 27 ainsi que 10 nouvelles pages supplémentaires, initialement paru en 2020, écrit par Jeff Lemire, dessiné et encré par Andrea Sorrentino, avec une mise en couleurs réalisée par Dave Stewart. Il est complété par 26 pages de bonus. Se trouve d'abord le script complet de l'épisode 27, et des 2 pages supplémentaires. Dans les 12 dernières pages, l'artiste explique et décortique plusieurs éléments constitutifs de la série, avec des illustrations et des schémas : la carte du multivers et le principe de passage d'un monde à un autre avec une chronologie, le principe de fonctionnement de la grange noire, la conception de la représentation du centre de l'univers, le pas-à-pas de la réalisation de l'illustration en double page de l'épisode 4. Il se termine avec la couverture alternative réalisée par Jeff Lemire.



Vide blanc infini avec juste un point noir en son centre. Le point noir grossit un peu en s'étirant de plus en plus dans une forme très aplatie. Au sein de ces ténèbres impénétrables, un individu reprend conscience, discerne ses mains sous ses yeux, et attrape un masque de tissu pour son visage. Norton Sinclair entend le bruit d'un grattement répété, très net insistant. Il s'approche du lac noir, situé près du Village, près du Centre. Il appelle son père et Clara d'une voix faible, sans réponse. Il se penche vers l'eau et voit une image déformée de lui-même grimaçant. Il se recule et se rend compte qu'il tient un morceau de bois e la main, un morceau de la grange. Il se souvient de l'explosion de la grange. Elle apparaît intacte juste derrière lui, dans un éclat de lumière. Il laisse tomber le bout de bois par terre et se met à courir à dans les bois, alors que les bruits de grattement ont repris. Il parvient à l'orée du bois et découvre une vue dégagée sur le village. Trois jeunes gens l'accueillent en l'appelant père. Ils portent un masque et celui devant déclare qu'ils sont ses enfants et qu'ils l'attendent depuis longtemps.



Dans la version totalitaire de Gideon Falls, Fred, Angie et Molly se tiennent devant la machine installée dans la station du père Burke. Il y a quelques villageois de présent. Le prêtre explique qu'il ne sait pas où se trouvent les autres, qu'il était dans une version futuriste de Gideon, horrible. Angie l'informe de la disparition de l'évêque Burke. Molly ajoute qu'elle a ressenti des tremblements et qu'ils ne devraient pas rester ici. Wilfred inique qu'il sait où vont se rendre les autres : ils vont rentrer à la maison. Dans la maison de Don, le docteur Stutton est en train de discuter avec Clarabelle. Deux enfants, Emma et Jasper, entrent et la sœur indique que son petit frère a besoin d'un vraiment médecin car il s'est fait mal au pied. Le médecin commence à s'occuper de Jasper. Clara regarde Emma d'un drôle d'air, car elle voit également derrière elle la coupure de journal épinglée, dont le titre évoque la disparition d'enfants. Soudain une énorme secousse se fait ressentir ébranlant la maison. Des cafards apparaissent dans les interstices entre les planches et Clara en écrase avec le poing. Puis elle demande à son père s'il a toujours son fusil de chasse.



Le temps est venu de la résolution de cette intrigue labyrinthique, des révélations, et d'une fin en bonne et due forme. Du coup, peut-être que le lecteur jette un coup d'œil au tome précédent pour être sûr d'avoir bien en tête qui se trouve où, disséminés dans plusieurs réalités alternatives, à des époques différentes. Il inspire un grand coup, et c'est parti. Le nœud de l'intrigue est de comprendre comment fonctionne la grange noire, ce qu'elle représente réellement et le rôle de Norton Sinclair. Le scénariste a fait le choix de ne pas se montrer complètement explicite : il n'apparaît un nouveau personnage qui vient tout reprendre depuis le début, et il n'y a pas de phénomène de compréhension soudaine pour un personnage ou pour un autre. Dans le même temps, le scénariste est passé dans un mode narratif privilégiant l'avancement de l'intrigue au développement des personnages. S'il s'est fortement investi en eux, le lecteur ressent encore l'incompréhension inquiète et même angoissée de Norton, la force de caractère et le courage de Clara, la résignation devant la fatalité du père Wilfred Quinn. Sinon, il est à craindre qu'il voie des individus ballottés par des événements échappant à toute forme de contrôle, sur lesquels ils n'ont aucune prise, et que très peu d'incidence (une fois au cours de ce tome). Le plaisir de lecture se reporte alors sur l'intrigue et sur les sensations apportées par la narration visuelle.



S'il est curieux, une fois le tome terminé, le lecteur va jeter un coup d'œil au script, très concis et même un peu court. En lisant ce qui correspond à quelques pages, il se rend alors de l'ampleur du travail réalisé par le dessinateur pour donner à voir ce que représente une dizaine de lignes d'indications par page, dialogues compris. Certes, il est probable que Lemire et Sorrentino aient eu des sessions de travail avant de lancer la série, pour que le premier explique au second les grands principes de l'intrigue, du fonctionnement des réalités et de la grange noire, et pour s'accorder sur les éléments visuels fondamentaux. Pour autant, la lecture du script permet de se rendre compte de tout ce qu'apporte l'artiste à l'histoire, y compris en éléments scénaristiques. Dans l'horizon d'attente du lecteur, figurent le fait de retrouver des visuels hallucinants au sens premier du terme, et des compositions de pages sortant de l'ordinaire. Le dessinateur le contente et même le gâte. La réapparition de la grange noire intacte en ombre chinoise sur un fond rouge pétant, fort bien choisi par Dave Stewart, avec des cases déstabilisées sur la page en vis-à-vis. L'illustration en double page montrant le sommet d'un gratte-ciel s'abattre sur le Village, avec le choc en retour dans la mégapole de Gideon Falls, une composition aussi évidente que sophistiquée avec une onomatopée mastoc. Le retour des deux rubans de cube entrecroisés, vision toujours aussi spectaculaire et signifiante. Une construction d'escalier de Penrose (1898-1972) dans une illustration à la Maurits Cornelis Escher (1898-1972). Dans le fil d'une séquence, Andrea Sorrentino parvient même à rendre très impressionnante et tout aussi spectaculaire, une double page blanche. Comme dans les tomes précédents, les protagonistes passent d'un monde à autre, en particulier dans la réalité du Centre, et l'artiste s'en donne à cœur joie pour jouer avec l'agencement des cases et les déformer comme si elles menaient effectivement à un endroit situé sur un plan de la page différent de la réalité physique (quasi) normale.



Si dans le tome précédent, ou peut-être également dans celui d'avant, le lecteur avait pu éprouver l'impression le temps qu'une planche ou deux que l'artiste était plus pressé que d'habitude, ici il n'en est rien. Il a peaufiné chaque page : les personnages avec cet équilibre incroyable entre photoréalisme et esquisse, les décors allant du détail à des plans panoramiques de très grande ampleur, le découpage de chaque planche à chaque fois conçu sur mesure en fonction de ce qui se passe. À nouveau, le lecteur n'en revient pas d'à quel point cette histoire est l'œuvre de Sorrentino plus encore que celle de Lemire. Il se dit que cela explique également que parfois certains éléments visuels ne sont pas repris par les personnages comme s'ils n'en étaient pas pleinement conscients ou que cela n'avait pas d'incidence concrète dans leur propos, le scénariste n'ayant pas repris ses dialogues pour prendre en compte les éléments apportés par l'artiste. Ce dernier épisode / tome mène donc à bien le mystère de la grange noire, de sa fonction, et peut-être même de son origine. Il continue de jouer avec les différentes époques dans une construction rigoureuse, mais pas forcément chargée de sens, plus un exercice de style virtuose pour une intrigue qui décoiffe qu'un élément de réflexion ou un révélateur de la psychologie d'un personnage, ou d'un fonctionnement systémique. La partie analytique de l'esprit du lecteur est donc satisfaite, mais sa sensibilité émotionnelle peut trouver ça un peu aride. Néanmoins, s'il n'est pas bien sûr de ce qu'il a lu, il dispose des pages explicitant les principes et les concepts de passage d'un monde à un autre, de fonctionnement de la grange noire, du centre de l'univers. Le récit se termine avec un épilogue de 6 pages : un dialogue entre Clara et Norton dans un grand parc. Cela permet de disposer d'une fin à échelle humaine, pouvant inciter le lecteur à considérer toutes ces péripéties comme correspondant à la perception de Norton Sinclair, individu à la psyché un peu malmenée. Avec ce point de vue, le récit regagne un peu d'épaisseur humaine.



Après leur collaboration sur Green Arrow, puis sur Old Man Logan, le lecteur était impatient de découvrir une série personnelle réalisée par ce duo de créateurs. Au vu du degré d'implication et d'investissement de l'artiste, il est probable que le scénariste et lui aient discuté au préalable du genre de récit qu'ils souhaitaient raconter, et que ce n'était pas un travail de commande impersonnel de Lemire vers Sorrentino. La narration visuelle de ce dernier est fascinante de bout en bout avec une ambiance pesante bien entretenue par la mise en couleurs de Dave Stewart, et des fulgurances visuelles mémorables. S'il est plutôt venu pour l'histoire, le lecteur se trouve vite immergé dans un mystère horrifique obsédant et angoissant. Il ressent le fait que l'intrigue prenne le dessus sur les personnages, rendant certains passages un peu désincarnés.
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Gideon Falls, tome 2 : Péché originel

Ce tome fait suite à Gideon Falls, tome 1 (épisodes 1 à 6) qu'il faut avoir lu avant. Il contient les épisodes 7 à 11, initialement parus en 2018, écrits par Jeff Lemire, dessinés et encrés par Andrea Sorrentino, avec une mise en couleurs réalisée par Dave Stewart. Ce tome contient les couvertures originales de Sorrentino, ainsi que les couvertures variantes réalisées par Tula Lotay, Jeff Lemire, James O'Barr, Steve Wands, Christian Ward, Mico Suayan.



Encore enfant, Norton Sinclair se tient dans une parcelle abandonnée, servant de dépotoir pour des sacs d'ordures, à genoux devant des sacs. Une voix désincarnée s'adresse à lui, lui enjoignant de la rejoindre et de servir de porte. Une femme s'approche de lui pour savoir qui il est et ce qu'il fait là. Au temps présent, Norton Sinclar est au même endroit, dans la même position en train d'observer un tas de sacs de déchets, avec Angie Xu (sa psychothérapeute) se tenant derrière lui. Ils enfilent des gants pour se mettre à chercher des morceaux de bois. À Gideon Falls, le père Wilfred rend visite à la shérif Clara Miller. Ils évoquent ce qui s'est passé les jours précédents. Elle se souvient de Joe Reddy la tenant en joue et l'attirant à l'extérieur, mais de rien d'autre. Le père Fred demande si elle a des nouvelles de son frère Daniel ; la réponse est négative. Elle lui fait comprendre qu'elle sait qu'il ne reste jamais plus de quelques mois dans une paroisse. Ils se quittent, et Clara Miller rentre chez elle, et retrouve le nounours de son frère.



Ce doudou lui rappelle un voyage scolaire en car, quand elle défendait son frère contre le harcèlement d'autres enfants. Elle se souvient que le chauffeur du bus l'avait admonestée gentiment. Son nom lui revient en mémoire : Joe Reddy. Elle appelle son père le docteur Sutton pour lui faire part de ce souvenir, et de sa conviction que Joe Reddy a enlevé son frère. Angie Xu et Norton Sinclair sont de retour dans l'appartement de ce dernier avec les bocaux contenant des échardes de bois, et le puzzle immense que cela constitue. Sinclair convainc Xu qu'il faut absolument retrouver d'autres morceaux pour reconstruire le bâtiment. Quelqu'un frappe à la porte. Contre l'avis de Sinclair, Angie Xu va ouvrir. Juste avant un grand coup de pied casse la porte, et le docteur Kadri entre avec 2 infirmiers très costauds. En tant que supérieur de la docteure Xu, il lui indique que son comportement avec son patient Sinclair n'est pas professionnel. Il ordonne aux 2 infirmiers de maîtriser Norton Sinclair et de le ramener à la clinique. Angie Xu a beau s'y opposer, elle ne peut pas changer le déroulement des choses.



Comme pour le premier tome, le lecteur est attiré par la couverture qui joue sur la forme de l'arbre pour dessiner une tête, la même forme que pour le tome 1. Parmi les couvertures des épisodes contenues dans ce tome, l'artiste réussit le même type de composition avec des oiseaux, et avec la trace de gouttes d'eau sur une vitre, pour un effet saisissant. Dès la première page, le lecteur retrouve également le dispositif narratif consistant à montrer un dessin tête-bêche, comme pour l'ouverture du premier tome. Cette fois-ci, les auteurs ne l'utilisent qu'avec parcimonie. Le lecteur attend également que les auteurs passent dans un mode plus inventif pour la mise en page, en se souvenant qu'il survenait plus dans les 2 derniers épisodes. Ici, il en va de même : pour chaque épisode 7, 8 et 9, seule une double page est conçue sur une disposition de cases plus aventureuse. La fréquence augmente dans les 2 derniers épisodes, en même temps que les manifestations surnaturelles se font plus intenses. Andrea Sorrentino fait preuve d'une sensibilité visuelle épatante, que ce soit lorsque les cases ne sont plus sagement alignées en bande, mais bousculée et de guingois du fait d'un événement représenté à l'échelle de la double page en arrière -plan par rapport aux cases ainsi chamboulées, ou que ce soit 2 fils narratifs qui s'entremêlent dans une structure à double hélice évoquant celle de l'ADN, ou encore des cases disposées sur une structure d'ondes en train de se propager. Dans ces moments-là, la narration visuelle amène une mise en perspective qui décuple l'impact du récit.



Du coup, le lecteur retrouve également les autres particularités narratives présentes dans le premier tome. Il replonge dans cette intrigue assez déstabilisante. Il est entendu qu'il existe par moment une grange noire, accessible par certains, et ayant une incidence néfaste sur le comportement des individus qui y pénètrent ou même qui perçoivent simplement sa présence. Le scénariste continue donc de faire récupérer des morceaux par Norton Sinclair, et de son côté le père Wilfred en apprend plus sur cette bâtisse difficile à trouver, grâce aux études menées par le docteur Sutton, le père de Clara Miller et de son frère Daniel. Le lecteur éprouve quelques difficultés à se sentir concerné par ce mystère. Il voit bien que le récit ménage le rythme de découverte de nouveaux morceaux de la grange noire, et qu'il est peu probable que Norton Sinclair soit un jour capable de la reconstruire tout seul, ou même avec l'aide d'Angela Xu. Du coup, le lecteur se désintéresse de savoir s'il trouvera de nouvelles échardes, et a du mal à se passionner pour le fait qu'il dispose d'une double porte entière, du fait que le scénariste s'en servira de manière arbitraire. De son côté, l'artiste représente la grange comme un bâtiment banal avec peu de caractéristiques, si ce n'est la lumière rouge visible par la fenêtre et émettant un rai de lumière dans l'encadrement de la porte, fleurant bon la série Z.



Le lecteur concentre plutôt son attention sur la progression en matière d'informations du père Wilfred d'un côté, de Norton Sinclair de l'autre. Là encore la narration donne l'impression que les nouvelles informations arrivent à un rythme très régulier, et fort opportunément. Difficile de croire que Clara Miller ou son père n'aient jamais eu l'occasion auparavant qu'on leur rappelle l'identité du conducteur du bus de ramassage scolaire. Mais, pour cette séance de souvenirs, Andrea Sorrentino réalise des traits de contour plus doux qui la rendent plus crédible, même si Dave Stewart continue d'utiliser des couleurs un peu cafardeuses, juste un peu plus pâles. En termes de péripétie, le scénariste se repose des conventions parfois un peu simplistes. Le lecteur observe avec une trace marquée d'incrédulité l'évasion organisée par Angie Xu, ouvrant de grands yeux quand il la voit enfoncer 5 centimètres d'aiguille de seringue dans le cou d'un garde. Ça fait quand même beaucoup comme longueur. Il ne peut aussi que constater que les 2 fils narratifs (celui à Gideon Falls, et celui dans la grande métropole) progressent au même rythme ce qui permet de manière bien commode aux personnes intéressées de se rencontrer au même endroit et au même moment.



Pour autant, il ne s'agit pas d'une lecture désagréable. Malgré le recours à des artifices narratifs visibles, es 2 créateurs réussissent à insuffler de la personnalité à leurs protagonistes. Le lecteur ressent toujours autant l'obsession de Norton Sinclair pour cette grange et ces morceaux de bois, ainsi que son insécurité, son inquiétude permanente. L'empathie fonctionne également bien pour ressentir la forme de résignation de Clara Miller, toujours aussi affectée par la disparition de son frère et par les actes de violence s'étant produits dans le tome précédent, et celle du père Wilfred qui évoque ici sa faute impardonnable. Il comprend également bien l'état d'esprit du docteur Sutton, totalement impliqué dans ses recherches depuis plusieurs décennies, ce qui l'a totalement coupé des autres êtres humains normaux. Sorrentino utilise régulièrement des gros plans sur les personnages, avec une sensibilité qui lui permet de faire passer leur état d'esprit. Cela n'appauvrit pas la narration visuelle, car il inclut quasi systématiquement des éléments de décor en arrière-plan, rappelant où se déroule la scène, ainsi que le lien entre le dialogue et le lieu. Malgré les choix surprenant (Angie Xu envoyant promener toute sa situation professionnelle pour les beaux yeux de Norton Sinclair à la santé mentale douteuse) et les effets de simultanéité, le lecteur se rend compte qu'il s'implique émotionnellement pour le devenir des protagonistes, grâce à la direction d'acteur, et à la justesse de leur jeu, naturaliste et en retenue. Il compatit avec la situation dans laquelle ils se trouvent. Les principaux personnages ressentent tous l'action d'un destin arbitraire pesant sur leur vie : l'absence de souvenir d'enfance pour Norton Sinclair, la disparition de Daniel pour Clara Miller, la faute pour le père Wilfred, la compassion d'Angie Xu pour Norton Sinclair. Tous se démènent pour comprendre, pour en savoir plus, pour retrouver du sens dans les événements, dans leur vie.



Avec ce deuxième tome, le lecteur reste encore partagé sur cette série. Il ne peut que soupirer à chaque fois que Jeff Lemire utilise un cliché éculé dans son intrigue, qu'un élément ou un autre manque de substance au lieu d'être vraiment mystérieux, ou que la temporalité de la survenance des événements est vraiment très opportune. Il a également souvent l'impression qu'Andrea Sorrentino s'économise, en réservant ses planches les sophistiquées pour les conséquences de l'existence de phénomènes paranormaux. Dans le même temps, il ressent la détresse des personnages, leur volonté chacun à leur manière d'essayer de s'extirper de la mélasse déprimante qu'est leur quotidien, fortement plombé par un événement traumatique qu'ils sont incapables de dépasser, parce qu'ils entretiennent l'espoir de pouvoir le comprendre et d'en annuler ainsi les conséquences.
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Gideon Falls, tome 1 : La grange noire

Un titre d'une grande intensité. L'intrigue est juste assez tordue, mais pas trop non plus, pas alambiquée comme les récits mystérieux/surnaturels/ésotériques peuvent l'être. Un vrai régal, une narration qui se déroule rapidement avec une alternance de points de vue : d'un côté le nouveau prêtre d'une bourgade moisie, de l'autre un jeune homme supposé fou. Ils ne se connaissent pas mais tous deux ont vu la grange noire. Ou plutôt, la grange noire s'est révélée à eux. D'essence maléfique, va-t-elle réussir à attirer les deux hommes, ou auront-ils à s'affronter d'une façon ou d'une autre ? À la fin du tome, nous avons déjà une petite idée et la suite s'annonce prometteuse ! Du moins, j'espère qu'elle le sera.

L'intrigue de Lemire est sublimée à la perfection par le dessin de Sorrentino et les couleurs de Stewart, et en particulier par le découpage des cases si caractéristique de Sorrentino. Graphiquement, on ne s'ennuie jamais, on s'enfonce peu à peu dans l'ambiance étouffante qui règne à Gideon Falls tout en appréciant les détails mis en lumière par un découpage très particulier et dynamique. J'en ai pris plein les yeux !
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Gideon Falls, tome 3 : Chemin de croix

Ce tome fait suite à Gideon Falls, tome 2 : Péché originel (épisodes 7 à 11) qu'il faut avoir lu avant. Il faut avoir commencé par le premier tome. Il comprend les épisodes 12 à 16, initialement parus en 2019, écrits par Jeff Lemire, dessinés et encrés par Andrea Sorrentino, avec une mise en couleurs réalisée par Dave Stewart. Il comprend les couvertures originales de Sorrentino, et également les couvertures variantes réalisées par Ming Doyle, Gabriel Walta, Veronica Fish, Ariela Kristantina, Ray Fawkes.



En 1886, le shérif et deux habitants viennent trouver le père Burke dans son église. La disparition d'Abel Lacroix a été signalée par sa femme et ses enfants. Cette fois-ci, on sait qui a fait le coup : Norton Sinclair. C'est clair : Norton Sinclair est le tueur. Le petit groupe se rend à cheval jusqu'à la maison de Norton Sinclair. L'un d'eux donne un grand coup de pied dans la porte. Ils découvrent un individu penché sur le cadavre d'Abel Lacroix dont le torse est éventré et dégoute de sang. Le tueur relève la tête : c'est l'homme qui rit, un individu à la peau grise, au sourire trop large avec trop de dents. Il s'adresse directement au père Burke. Il lui dit qu'il a brisé le mur et qu'il a découvert tout, qu'il a trouvé partout. Il ajoute qu'il est celui qui sourit dans les ténèbres et qu'ils se reverront bientôt. Le père Burke s'élance à sa poursuite et éprouve la sensation de tomber du ciel vers une cité avec des immeubles, un immense parc et des dirigeables.



Le père Burke reprend lentement conscience, couché sur le sable d'une zone désertique, un scorpion passant devant ses yeux. Il se lève et se met à marcher vers la ville située au pied d'une mesa. Dans la rue en terre, il observe des cadavres, une femme en pleurs, un habitant qui lui dit qu'il ferait mieux de partir. Il entre dans le saloon et demande s'il peut être servi. Il descend un verre de whisky et demande où est parti l'individu qui a massacré les individus dans la rue. Jed Hopkins, le barman, répond qu'il est parti à cheval il y a une heure, poursuivi par le shérif et quelques hommes. À la demande du père, Jed Hopkins lui dit qu'il prendre son cheval attaché à côté. Juste en franchissant les portes battantes, le père Burke demande le nom de la ville : Gideon Falls. Après quelques heures de chevauchée, au crépuscule, il retrouve le shérif et ses hommes. Ils sont tous morts, crucifiés. Le père Burke se retourne et voit l'homme qui rit à l'entrée d'une grange noire dont l'intérieur semble être éclairé en rouge.



La fin du tome précédent était assez cryptique, et le lecteur ne sait pas trop à quoi s'attendre dans ce tome. Malgré une intrigue qui donne parfois l'impression de se contenter d'aligner les clichés, et des dessins tellement épurés qu'ils donnent parfois l'impression d'être inconsistants, le lecteur revient quand même, un peu pour les couvertures ingénieuses, un peu pour l'atmosphère délétère, un peu pour savoir ce qu'il va advenir de Norton Sinclair et de son obsession pour les échardes, un peu pour savoir si le fond du mystère entourant la porosité de la réalité sera développé, pas du tout pour cette grange noire au symbolisme vide. Effectivement la couverture de ce recueil (celle de l'épisode 13) est une fois encore magnifique jouant sur la paréidolie entre les mécanismes d'horlogerie et le visage humain. Celle de l'épisode 12 joue aussi sur la ressemblance de forme entre un visage et une corde très particulière, et celle de l'épisode 14 est encore plus ambitieuse. Celles des épisodes 15 et 16 sont plus classiques. Parmi les couvertures variantes, celle réalisée par Ray Fawkes est la plus singulière, ce qui est logique au vu de ses propres créations comme la série Underwinter.



S'attendant quasiment à un tome sans surprise, le lecteur ressent plus l'atmosphère unique qui règne dans ces pages. Il est d'abord frappé par cette sensation pesante et voit qu'elle découle beaucoup de la mise en couleurs. Dave Stewart choisit des teintes sombres pour chaque couleur, un peu délavées. C'est même très surprenant comment il arrive à faire en sorte que le rouge plutôt vif utilisé pour l'éclairage intérieur de la grange noire donne également l'impression d'être sombre. Même s'il y a une majorité de scènes nocturnes ou de fin de journée, celles qui se déroulent en plein jour semblent aussi baignées dans une lumière filtrée, privée de toute sensation de chaleur. Il perçoit mieux comment la conjonction de traits de contour fins et fragiles et d'aplats de noir irréguliers montre une réalité râpeuse, cassante, friable et rêche. Les personnages évoluent dans des endroits à la fois décrits précisément, à la fois difficiles à appréhender entièrement. Cela s'avère à la fois déstabilisant et inquiétant à la lecture. Andrea Sorrentino joue également habilement sur la variation de la précision de la description. Le lecteur passe d'un grain de bois qu'il a l'impression de toucher en page 2, à un fond noir pour toute la page 3 le père Burke étant entièrement accaparé par le cadavre et l'individu penché dessus, la page donnant l'impression de voir la scène par ses yeux, avec un esprit focalisé sur les individus, oblitérant totalement ce qui les entoure. L'artiste réussit parfois cet effet au sein d'une même case. Le père Burke se retrouve dans un étrange village. Alors qu'il se tient dans une pièce en train d'observer une carte, une femme âgée apparaît dans l'embrasure de la porte. Son visage est détaillé, ainsi que les montants de la porte, mais l'espace derrière elle est totalement vide, comme s'il n'y avait rien. Là encore, le lecteur éprouve la sensation que l'esprit du père Burke se focalise entièrement sur la personne et son cadre (les montants de l'embrasure).



Est-ce l'intrigue de ce chapitre, ou autre chose, mais les visuels semblent plus prenants et plus surprenants que dans le tome précédent. La vue du ciel d'une ville avec des dirigeables est magnifique. La double page montrant une vue du dessus d'une rue pavée fait s'arrêter le lecteur. L'accumulation de souvenirs sous forme de cases venant remplir la tête d'un personnage constitue une image saisissante. Le lecteur a mal pour Daniel quand il tombe de l'arbre où il était grimpé avec sa grande sœur Clara. Bien sûr, le lecteur retrouve également les caractéristiques graphiques habituelles d'Andrea Sorrentino : cases de la largeur de la page, bordures de case parfois rouges, un dessin artificiellement décomposé dans plusieurs cases d'une même bande (par exemple un dessin en pleine page d'une rue avec une cathédrale au fond découpé en 20 cases), onomatopées agrandies pour que ses lettres forment la bordure des cases, fond rouge uni lorsque la case décrit un acte de violence (le père Burke en train de se faire matraquer par deux policiers). Mais le ratio entre les surprises visuelles et les dispositifs narratifs habituels est en faveur des premières, et les seconds sont entièrement au service de la narration, sans jamais devenir des automatismes. Le lecteur voit bien aussi que le scénario contient des passages décalés comme une mégapole sous haute surveillance, un individu en train de se préparer qui remet son œil de verre dans son orbite, ou encore cet étrange appareillage dans un mystérieux village.



Effectivement, Jeff Lemire donne l'impression d'ouvrir l'horizon de son récit, plutôt que de continuer à développer uniquement les mêmes fils (la collection d'échardes de Norton Sinclair, les meurtres bizarres à Gideon Falls). La date de début (1886) montre que cette histoire de grange noire date de nombreuses décennies dans le passé. La poursuite à laquelle se livre le père Burke confirme qu'il existe plusieurs réalités et que Gideon Falls est un point nodal dans chacune d'elles. Enfin les 2 principaux personnages se retrouvent dans des endroits inattendus ce qui permet au lecteur d'en apprendre plus sur eux. En outre, la présence du père Burke permet de reconnecter une scène du premier tome avec le fil de l'intrigue principale. Ces éléments apportent plus de profondeur au mystère de la grange noire. Elle reste toujours un symbole basique et peu parlant, mais elle se retrouve rattachée à de nombreux autres éléments plus originaux, et d'autres plus classiques (une organisation secrète, un individu démoniaque avec un sourire horrible). Lemire & Sorrentino continuent de jouer avec des motifs récurrents comme les masques de protection respiratoire portés par différentes personnes, ce qui donne une idée sur leur impact psychologique. Même si les personnages disposent de moins de place pour exister, l'extension de l'intrigue dans d'autres directions ravive la curiosité du lecteur et son intérêt pour la série.



Malgré les qualités formelles indéniables de la série, le lecteur n'était pas forcément très convaincu de continuer à la suivre, faute à une intrigue difficile à cerner, mais pas à comprendre. Avec ces épisodes, les auteurs donnent l'impression d'avoir mieux su tirer parti de leurs idées, même s'il reste quelques clichés. L'intrigue présente plus de surprises à la fois en termes de rebondissements, à la fois sur le plan visuel, la qualité de la narration s'en trouve meilleure et le lecteur se dit qu'il aimerait bien passer plus de temps dans cette ambiance inquiétante.
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Gideon Falls, tome 1 : La grange noire

La grange noire est le premier volume de Gideon Falls, une nouvelle série annoncée en 3 tomes. Les auteurs, Jeff Lemire et Andrea Sorrentino, continuent leur collaboration entamée dans les comics de super-héros. Mais cette fois, le changement de registre est radical. Gideon Falls relève du thriller horrifique. L'ambiance est particulirement étouffante, évoquant des séries comme True Detective et Twin Peaks. Le récit se scinde en 2 intrigues distinctes. D'un côté, nous suivons le père Wilfried qui est envoyé à Gideon Falls pour remplacer le curé local qui a disparu. De l'autre, les auteurs s'attachent à Norton Sinclair, jeune homme qui souffre de troubles psychologiques sévères. Ces 2 récits sont reliés par la présence fantasmatique de la grange noire, édifice mystérieux qui hante l'histoire de Gideon Falls. Son existence est incertaine, mais elle apparaît dans de nombreuses affaires inexpliquées depuis des décennies.

Ce premier volume sert d'introduction. Les qualités narratives de Lemire permettent de distiller les révélations et les questions avec soin, rendant la lecture très prenante. Le travail narratif de Sorrentino est également très réuss, alternant les pages très structurées consacrées au père Wifried et les mises en page souvent éclatées et psychédéliques quand il s'agit d'illustrer les névroses de Norton.

une fois de plus, Jeff Lemire propose un récit de genre qui, sans révolutionner le genre, est réalisé avec suffisamment de métier pour que cette série remplisse largement son contrat.
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Gideon Falls, tome 4 : Le Pentoculus

Ce tome fait suite à Gideon Falls Volume 3: Stations of the Cross (épisodes 12 à 16) qu'il faut avoir lu avant. Il comprend les épisodes 17 à 21, initialement parus en 2019, écrits par Jeff Lemire, dessinés et encrés par Andrea Sorrentino, avec une mise en couleurs réalisée par Dave Stewart.



Le docteur Sutton est couché dans un lit d'hôpital : il regagne lentement conscience. Dans un moment de clarté, il voit sa fille Clara Miller assise sur une banquette au pied de son lit, avec Norton Sinclair à ses côtés. Il ferme les yeux en sentant quelque chose d'horrible qui tire son esprit. Il se retrouve les pieds dans un liquide rouge à perte de vue (du sang ?), avec un étrange amas loin devant lui, et comme une masse nuageuse continuant à lâcher des déchets qui viennent s'accumuler sur le tas. Une voix désincarnée s'adresse à lui : elle lui dit qu'il se trouve au centre de tout, et qu'il n'y a pas de possibilité de retour en arrière. L'entité le voit pour ce qu'il est, et lui maintenant pour la voir pour ce qu'elle est. Il se met à hurler et la voix continue : il voit maintenant comment tout résonne à partir du centre, encore et encore, pour toujours et à jamais. Dans la grande ville où réside Norton Sinclair, la docteure Angie Xu amène le père Wilfred Quinn dans l'appartement de Sinclair. Ils rentrent à l'intérieur en discutant. Quinn ne comprend toujours pas comment il a pu arriver ici alors qu'il était en train d'examiner un tas de déchets à Gideon Falls. Xu lui redit qu'elle a vu son ami Norton disparaître, et le prêtre apparaître peu de temps après, au même endroit.



Quinn et Xu regardent la pièce principale de l'appartement de Sinclair, et le prêtre observe l'étagère sur laquelle sont rangés les bocaux, chacun d'entre eux contenant un fragment de bois de la grange noire. Quinn se souvient que la grange noire est réelle, qu'il a pénétré à l'intérieur, que le nom de Norton Sinclair lui dit vaguement quelque chose. Ils relèvent en même temps la tête car ils ont tous les deux entendus du bruit à l'extérieur dans le couloir devant l'appartement. Un grand individu afro-américain s'est introduit dans l'appartement et a fait perdre conscience à Xu en l'étourdissant avec un chiffon imbibé d'un produit chimique, puis fait de même pour Quinn. À Gideon Falls, Clara Miller et Norton Sinclair prennent un café à la cafeteria de l'hôpital : elle l'appelle Daniel. Il lui répond qu'il préfère qu'elle l'appelle Norton, et son attention est distraite par la poubelle dans un coin de la pièce. Il s'en approche et la renverse par terre. Il fouille les déchets à terre et en retire un clou. Soudain, ils entendent un fort hurlement. Ailleurs, Wilfred Quinn reprend connaissance, allongé sur un lit. Il se redresse sur son séant et il consulte la Bible posée sur la table basse à côté. Il se lève, finit de s'habiller, sort dans le couloir et pénètre dans la pièce contigüe. Angie Xu est allongée dans un lit : il la réveille doucement.



Avec un intérêt en dents de scie, le lecteur revient quand même pour ce quatrième tome, parce qu'il s'était passé beaucoup de choses dans le précédent. C'est encore le cas dans celui-ci : le docteur Sutton semble se retrouver devant le centre du mal, Wilfred Quinn et Angie Xu se retrouvent devant l'évêque Burke, l'apparence du Pentoculus et son fonctionnement sont explicités, les Ploughmen font leur apparition, et bien sûr l'homme qui rit est présent. Même s'il n'est pas toujours pas forcément convaincu par l'intrigue globale, ou s'il trouve les personnages manquants de charisme, le lecteur peut focaliser son intérêt sur l'intrigue, en assemblant un nombre significatif de pièces de puzzle supplémentaires. Il est toujours question de la grange noire, même si elle n'occupe par un rôle de premier plan dans ces scènes. Norton Sinclair en retrouve un autre morceau, et le père Quinn continue de s'interroger sur sa nature. Le lecteur voit réapparaître la grande croix agrémentée d'une demi-douzaine de petites croix comme greffée dessus, une variation bizarre et inexpliquée du symbole de l'Église catholique. Il comprend que l'utilité de mettre en scène ce symbole : un point de repère visuel évoquant la morale chrétienne, et par voie de conséquence l'existence du mal incarné, même si ici il ne prend pas le nom de diable, mais la forme de l'homme qui rit. Il peut enfin contempler l'apparence réelle de ce mal incarné, dont l'homme qui rit n'est visiblement qu'une émanation ou un agent subalterne. Il apprécie également de revenir dans l'étrange village en bordure d'un fleuve et de revoir la responsable de cette communauté, ainsi que de faire connaissance avec le mystérieux groupe des Ploughmen (Janet, Reg et Duncan) évoquant vaguement les Lone Gunmen (Melvin Frohike, Richard Langly, John Fitzgerald Byers).



Le lecteur revient également pour le plaisir de voir Andrea Sorrentino jouer avec la mise en page pour une narration visuelle inventive. Ça commence par un dessin en double page révélant la véritable forme de ce qui se tient au centre de toute chose, en négatif, avec des traits rouges sur fond noir. Quelques pages plus loin, l'artiste appose des cases circulaires sur un dessin de fond de la grange noire, jouant aussi avec des cases en cercles concentriques. Puis le lecteur découvre un dessin en pleine page avec Sinclair Norton en premier plan, et un collage de photographies en arrière-plan, à nouveau en négatif noir & rouge. Par la suite, Sorrentino continue de faire feu de tout bois pour des constructions de page sortant de l'ordinaire : un fond couleur rouge qui imbibe le bas de la page et semble couler vers le haut, une double page où le lecteur se retrouve devant 110 cases (autant d'images différentes sur des écrans de télévision, des silhouettes en ombre chinoise dans des cases de la largeur de la page pour montrer la progression de leur déplacement, des cases penchées qui basculent dans la dimension spirituelle, des cases comme des bandes déchirées sur la page, des onomatopées (Kritch) qui deviennent omniprésentes en envahissant les dessins, et ce dessin en double page très surprenant où les cases semblent s'envoler d'un livre ouvert.



Non seulement la narration visuelle tire profit de jouer avec le format, l'agencement et l'interaction des cases, mais en plus l'artiste développe des éléments visuels spécifiques qui apportent une forte identité au récit. Le lecteur se rend compte qu'il n'est pas près d'oublier la forme de ce qui se trouve au centre de tout, même si elle est dérivative de celle d'un insecte. Il retrouve ou découvre également d'autres visuels mémorables comme les morceaux de bois dans des bocaux, la croix monumentale avec les petites crois ajoutées dessus, le pentoculus, la barbe du docteur Sutton, le masque hygiénique de Norton Sinclair. Sorrentino et Lemire ont développé un monde visuel très particulier, le dessinateur et le metteur en couleurs donnant une consistance et un aspect visuel unique à la série. Les traits encrés de chaque case donnent à la fois l'impression d'une représentation très réaliste, photoréaliste même par endroits, et par moments une impression d'esquisse avec des surfaces irrégulières, des aplats de noir aux contours mangés, des traits tellement fins qu'ils se brisent et en deviennent discontinus. Ce mode de représentation diffuse une sensation de malaise, renforcée par des personnages qui ne sourient pas, qui semblent toujours sur le qui-vive et inquiets même s'il n'y a pas de danger apparent.



Le lecteur s'attache à nouveau aux pas de Norton Sinclair. Comme lui, il éprouve des difficultés à accepter la révélation de sa véritable identité, et il remarque que cela n'a finalement pas grande importance, ce qui diminue un peu son investissement dans ce point-là de l'intrigue. Il est également pris au dépourvu par un dessin de Sinclair avec une légère contreplongée, un angle de vue qui le montre comme un héros, d'autant qu'il vient d'éclater la tête d'un ennemi. Au fur et à mesure des séquences, il constate que Lemire a fait progresser son récit de sorte à ce qu'il y ait plusieurs personnages de premier plan : Angie Xu, le docteur Sutton, le père Wilfred Quinn, la shérif Clara Miller, répartissant les scènes sur eux, et diminuant d'autant leur exposition ce qui entraîne automatiquement une diminution de l'investissement du lecteur dans chacun d'eux. Il est probable que le lecteur se sente un peu détaché de chacun des protagonistes, car ils sont plus définis par leur situation que par leur personnalité. Du coup, il se rabat sur l'intrigue. Le scénariste passe de la bâtisse mystérieuse à ce qu'elle abrite, de la grange noire à la créature au centre de tout. Il donne l'explication du méli-mélo temporel, intéressant sans être renversant. Il fait avancer plusieurs fils narratifs qui continuent de se croiser, et commence à lever le voile sur le mystérieux village, et la vieille dame qui y réside. Il ne donne pas d'interprétation de la grange noire ou de la créature.



Le lecteur se sent plus ou moins impliqué dans cette intrigue au mécanisme bien réglé, mais aux enjeux basiques. Jeff Lemire donne l'impression d'écrire pour Andrea Sorrentino, afin de mettre en avant ses forces d'artiste. Ce dernier s'investit et réalise des planches mémorables, mais la tension narrative souffre du manque de consistance des personnages, et d'une utilisation trop premier degré des conventions de genre Horreur.
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Joker : Killer Smile

Je n'aime pas le Joker, enfin... ce n'est pas tant le personnage que je n'aime pas mais plutôt le fait que les auteurs en fasse une surutilisation qui m'exècre.

Le Joker étant un personnage bankable, il est utilisé dans tous les sens pour en faire des récits qui connaitrons un succès commercial à coup sur mais dont le succès critique lui reste à déterminer.

Et pourtant, même si je dis "ne pas aimer" le Joker, j'aime quand il est bien utilisé et qu'on ne nous ressert pas la même soupe encore et encore.

C'est la que Lemire arrive sur le personnage avec une série pour le Black Label (comprendre qui n'à aucun lien avec une quelconque continuité) et va donc pouvoir se faire plaisir.

Accompagné une nouvelle fois par un Andrea Sorrentino en forme, cela donne envie d'en savoir plus, mais qu'est ce que ça donne ?



Résumé :



Un psychiatre travaillant à l'asile Arkham va se donner pour mission de guérir le Joker.

Evidemment, l'ascendant psychologique ne sera pas en faveur du médecin, et ce dernier va peu à peu commencer à déprimer, avoir des hallucinations, et ramener ses problèmes au sein de son foyer et de sa famille.



Mon Avis :



Si le pitch a l'air assez simple et déjà vu, c'est dans son exécution que Lemire est vraiment original.

Le Joker n'est en fait qu'un personnage secondaire, nous allons suivre le psychiatre, sa psyché envahie par le clown et la folie dans laquelle ce dernier peut mener les gens.

Un récit assez court (3 épisodes + un épilogue) mais intense qui nous embarque dès les premières pages. Si j'ai été un peu moins conquis par le 3éme épisode, j'ai trouvé les 2 premiers vraiment parfaits et l'épilogue assez osé et allant sur un terrain auquel je ne m'attendais pas du tout.

Un récit que je ne peux que recommander aux fan de Batman, aux fans du Joker, aux fans de DC en général, mais aussi aux autres tant le récit pourrait au final ne pas être un récit sur le Joker mais un récit sur un psychopathe lambda.
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Gideon Falls, tome 4 : Le Pentoculus

Ce tome fait suite à Gideon Falls, Tome 3 : Chemin de croix (épisodes 12 à 16) qu'il faut avoir lu avant. Il comprend les épisodes 17 à 21, initialement parus en 2019, écrits par Jeff Lemire, dessinés et encrés par Andrea Sorrentino, avec une mise en couleurs réalisée par Dave Stewart.



Le docteur Sutton est couché dans un lit d'hôpital : il regagne lentement conscience. Dans un moment de clarté, il voit sa fille Clara Miller assise sur une banquette au pied de son lit, avec Norton Sinclair à ses côtés. Il ferme les yeux en sentant quelque chose d'horrible qui tire son esprit. Il se retrouve les pieds dans un liquide rouge à perte de vue (du sang ?), avec un étrange amas loin devant lui, et comme une masse nuageuse continuant à lâcher des déchets qui viennent s'accumuler sur le tas. Une voix désincarnée s'adresse à lui : elle lui dit qu'il se trouve au centre de tout, et qu'il n'y a pas de possibilité de retour en arrière. L'entité le voit pour ce qu'il est, et lui maintenant pour la voir pour ce qu'elle est. Il se met à hurler et la voix continue : il voit maintenant comment tout résonne à partir du centre, encore et encore, pour toujours et à jamais. Dans la grande ville où réside Norton Sinclair, la docteure Angie Xu amène le père Wilfred Quinn dans l'appartement de Sinclair. Ils rentrent à l'intérieur en discutant. Quinn ne comprend toujours pas comment il a pu arriver ici alors qu'il était en train d'examiner un tas de déchets à Gideon Falls. Xu lui redit qu'elle a vu son ami Norton disparaître, et le prêtre apparaître peu de temps après, au même endroit.



Quinn et Xu regardent la pièce principale de l'appartement de Sinclair, et le prêtre observe l'étagère sur laquelle sont rangés les bocaux, chacun d'entre eux contenant un fragment de bois de la grange noire. Quinn se souvient que la grange noire est réelle, qu'il a pénétré à l'intérieur, que le nom de Norton Sinclair lui dit vaguement quelque chose. Ils relèvent en même temps la tête car ils ont tous les deux entendus du bruit à l'extérieur dans le couloir devant l'appartement. Un grand individu afro-américain s'est introduit dans l'appartement et a fait perdre conscience à Xu en l'étourdissant avec un chiffon imbibé d'un produit chimique, puis fait de même pour Quinn. À Gideon Falls, Clara Miller et Norton Sinclair prennent un café à la cafeteria de l'hôpital : elle l'appelle Daniel. Il lui répond qu'il préfère qu'elle l'appelle Norton, et son attention est distraite par la poubelle dans un coin de la pièce. Il s'en approche et la renverse par terre. Il fouille les déchets à terre et en retire un clou. Soudain, ils entendent un fort hurlement. Ailleurs, Wilfred Quinn reprend connaissance, allongé sur un lit. Il se redresse sur son séant et il consulte la Bible posée sur la table basse à côté. Il se lève, finit de s'habiller, sort dans le couloir et pénètre dans la pièce contigüe. Angie Xu est allongée dans un lit : il la réveille doucement.



Avec un intérêt en dents de scie, le lecteur revient quand même pour ce quatrième tome, parce qu'il s'était passé beaucoup de choses dans le précédent. C'est encore le cas dans celui-ci : le docteur Sutton semble se retrouver devant le centre du mal, Wilfred Quinn et Angie Xu se retrouvent devant l'évêque Burke, l'apparence du Pentoculus et son fonctionnement sont explicités, les Ploughmen font leur apparition, et bien sûr l'homme qui rit est présent. Même s'il n'est pas toujours pas forcément convaincu par l'intrigue globale, ou s'il trouve les personnages manquants de charisme, le lecteur peut focaliser son intérêt sur l'intrigue, en assemblant un nombre significatif de pièces de puzzle supplémentaires. Il est toujours question de la grange noire, même si elle n'occupe par un rôle de premier plan dans ces scènes. Norton Sinclair en retrouve un autre morceau, et le père Quinn continue de s'interroger sur sa nature. Le lecteur voit réapparaître la grande croix agrémentée d'une demi-douzaine de petites croix comme greffée dessus, une variation bizarre et inexpliquée du symbole de l'Église catholique. Il comprend que l'utilité de mettre en scène ce symbole : un point de repère visuel évoquant la morale chrétienne, et par voie de conséquence l'existence du mal incarné, même si ici il ne prend pas le nom de diable, mais la forme de l'homme qui rit. Il peut enfin contempler l'apparence réelle de ce mal incarné, dont l'homme qui rit n'est visiblement qu'une émanation ou un agent subalterne. Il apprécie également de revenir dans l'étrange village en bordure d'un fleuve et de revoir la responsable de cette communauté, ainsi que de faire connaissance avec le mystérieux groupe des Ploughmen (Janet, Reg et Duncan) évoquant vaguement les Lone Gunmen (Melvin Frohike, Richard Langly, John Fitzgerald Byers).



Le lecteur revient également pour le plaisir de voir Andrea Sorrentino jouer avec la mise en page pour une narration visuelle inventive. Ça commence par un dessin en double page révélant la véritable forme de ce qui se tient au centre de toute chose, en négatif, avec des traits rouges sur fond noir. Quelques pages plus loin, l'artiste appose des cases circulaires sur un dessin de fond de la grange noire, jouant aussi avec des cases en cercles concentriques. Puis le lecteur découvre un dessin en pleine page avec Sinclair Norton en premier plan, et un collage de photographies en arrière-plan, à nouveau en négatif noir & rouge. Par la suite, Sorrentino continue de faire feu de tout bois pour des constructions de page sortant de l'ordinaire : un fond couleur rouge qui imbibe le bas de la page et semble couler vers le haut, une double page où le lecteur se retrouve devant 110 cases (autant d'images différentes sur des écrans de télévision, des silhouettes en ombre chinoise dans des cases de la largeur de la page pour montrer la progression de leur déplacement, des cases penchées qui basculent dans la dimension spirituelle, des cases comme des bandes déchirées sur la page, des onomatopées (Kritch) qui deviennent omniprésentes en envahissant les dessins, et ce dessin en double page très surprenant où les cases semblent s'envoler d'un livre ouvert.



Non seulement la narration visuelle tire profit de jouer avec le format, l'agencement et l'interaction des cases, mais en plus l'artiste développe des éléments visuels spécifiques qui apportent une forte identité au récit. Le lecteur se rend compte qu'il n'est pas près d'oublier la forme de ce qui se trouve au centre de tout, même si elle est dérivative de celle d'un insecte. Il retrouve ou découvre également d'autres visuels mémorables comme les morceaux de bois dans des bocaux, la croix monumentale avec les petites crois ajoutées dessus, le pentoculus, la barbe du docteur Sutton, le masque hygiénique de Norton Sinclair. Sorrentino et Lemire ont développé un monde visuel très particulier, le dessinateur et le metteur en couleurs donnant une consistance et un aspect visuel unique à la série. Les traits encrés de chaque case donnent à la fois l'impression d'une représentation très réaliste, photoréaliste même par endroits, et par moments une impression d'esquisse avec des surfaces irrégulières, des aplats de noir aux contours mangés, des traits tellement fins qu'ils se brisent et en deviennent discontinus. Ce mode de représentation diffuse une sensation de malaise, renforcée par des personnages qui ne sourient pas, qui semblent toujours sur le qui-vive et inquiets même s'il n'y a pas de danger apparent.



Le lecteur s'attache à nouveau aux pas de Norton Sinclair. Comme lui, il éprouve des difficultés à accepter la révélation de sa véritable identité, et il remarque que cela n'a finalement pas grande importance, ce qui diminue un peu son investissement dans ce point-là de l'intrigue. Il est également pris au dépourvu par un dessin de Sinclair avec une légère contreplongée, un angle de vue qui le montre comme un héros, d'autant qu'il vient d'éclater la tête d'un ennemi. Au fur et à mesure des séquences, il constate que Lemire a fait progresser son récit de sorte à ce qu'il y ait plusieurs personnages de premier plan : Angie Xu, le docteur Sutton, le père Wilfred Quinn, la shérif Clara Miller, répartissant les scènes sur eux, et diminuant d'autant leur exposition ce qui entraîne automatiquement une diminution de l'investissement du lecteur dans chacun d'eux. Il est probable que le lecteur se sente un peu détaché de chacun des protagonistes, car ils sont plus définis par leur situation que par leur personnalité. Du coup, il se rabat sur l'intrigue. Le scénariste passe de la bâtisse mystérieuse à ce qu'elle abrite, de la grange noire à la créature au centre de tout. Il donne l'explication du méli-mélo temporel, intéressant sans être renversant. Il fait avancer plusieurs fils narratifs qui continuent de se croiser, et commence à lever le voile sur le mystérieux village, et la vieille dame qui y réside. Il ne donne pas d'interprétation de la grange noire ou de la créature.



Le lecteur se sent plus ou moins impliqué dans cette intrigue au mécanisme bien réglé, mais aux enjeux basiques. Jeff Lemire donne l'impression d'écrire pour Andrea Sorrentino, afin de mettre en avant ses forces d'artiste. Ce dernier s'investit et réalise des planches mémorables, mais la tension narrative souffre du manque de consistance des personnages, et d'une utilisation trop premier degré des conventions de genre Horreur.
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Old man Logan All-new All-different, tome 2

Ce tome fait suite à Old man Logan All-new All-different T01 (épisodes 1 à 4, et numéro Wolverine: Old man Logan giant size special) qu'il vaut mieux avoir lu avant pour comprendre d'où sort ce vieux Logan et qu'elle est sa situation. Il comprend les épisodes 5 à 8, initialement parus en 2016, écrits par Jeff Lemire, dessinés et encrés par Andrea Sorrentino, avec une mise en couleurs de Marcelo Maiolo.



À X-Haven (la nouvelle demeure des X-Men), Logan a une discussion assez franche ave Ororo Munroe, pour lui expliquer qu'il doit quitter les X-Men pour quelque temps, mais qu'il reste à leur disposition si le besoin s'en fait sentir. Ororo n'a d'autre choix que d'acquiescer à sa demande, mais elle lui remet une balise de détresse lui permettant de les appeler, et leur permettant de l'appeler. Il décide de voyager en moto (sans casque et avec un petit logo X) pour se rendre dans le grand nord canadien à Killhorn Falls. Il songe à quel point il prend plaisir à se trouver dans un monde qui n'a pas été détruit.



Logan souhaite accomplir une visite dans cette ville septentrionale du Canada, dont la route qui y mène n'est viable que 3 mois par an. Le reste du temps, elle est prise dans la glace. Chemin faisant, il se souvient qu'après le massacre des X-Men dans le futur de sa ligne temporelle (celle de la Terre 807128), il a tenté de se suicider, en vain. Puis il est retourné sur le site du projet Arme X, où il a découvert un groupe d'individus qui ne l'ont pas accueilli à bras ouvert. Malgré tout, Maureen, la responsable du site a accepté qu'il réside dans le complexe. Arrivé à Killhorn Falls, Logan découvre une petite ville sans prétention, avec des habitants au mode de vie rude et vrai. Il s'y sent comme chez lui, mais des individus l'ont suivi.



Au cours du tome précédent, Andrea Sorrentino avait prouvé qu'il sait en mettre plein la vue, avec une narration visuelle tantôt sèche, tantôt spectaculaire. Jeff Lemire avait limité la casse, avec une histoire qui reprenait les intrigues secondaires laissées en suspens par Brian Michael Bendis : Logan avait une liste d'individus à abattre pour éviter que ne survienne son futur. Plutôt mis en confiance, le lecteur revient pour un deuxième chapitre, à nouveau assez court (4 épisodes), à nouveau complété par un ancien épisode. À nouveau, le scénariste fait le nécessaire pour structurer la situation de Logan : il est disponible pour les X-Men et le dit à Storm, mais il a sa propre vie à mener et il lui explique. Ainsi le personnage dispose de la latitude nécessaire pour avoir sa propre série, sans être obligé de prendre en remorque une palanquée de mutants. La scène suivante rassérène le lecteur puisqu'il découvre que Lemire prend en compte les conséquences du passé de Logan sur son état d'esprit du moment.



La scène d'après constitue un retour dans le passé (807128) de Logan, et un futur qui n'arrivera jamais pour la Terre principale. Jeff Lemire a donc décidé de poursuivre l'exploration de l'histoire personnelle de son personnage, après l'attaque des supercriminels qui a provoqué l'effondrement de la civilisation et qui a conduit aux événements de Wolverine: Old Man Logan (2008/2009) de Mark Millar & Steve McNiven. Il montre comment Logan, écœuré par le rôle d'instrument de mort qu'il a été contraint de jouer, avait décidé d'en finir avec la vie. C'est à la fois cohérent avec l'histoire de Millar & McNiven, et à la fois nécessaire pour comprendre les états d'âme du personnage. Loin de donner l'impression de juste rabâcher l'œuvre originale, Lemire sait lui donner du sens dans le cadre du traumatisme vécu par Logan, et dans le cadre de l'instant présent. En particulier, le lecteur ressent toute la frustration, mais aussi toute la résignation (voire la capitulation du personnage) quand il préfère se faire tabasser dans le complexe de l'Arme X, plutôt que de sortir ses griffes et de risquer un nouveau carnage.



Ayant ainsi établi que cette évocation du passé/futur dystopique ne sert pas à juste fournir le quota de destruction massive pour l'épisode en cours, Jeff Lemire peut le réemployer par la suite, tout en conservant le capital confiance du lecteur. Il ne s'en prive pas dans l'épisode 8, avec des séquences de mise à mort des superhéros lors de l'attaque initiale des supercriminels sur New York. Grâce à ces retours dans le passé/futur, le scénariste montre des événements traumatisants qui ont laissé leur marque sur ce vieux Logan, le faisant évoluer au-delà de ce que pouvait être l'original. Mine de rien, Jeff Lemire a réussi la gageure d'insuffler du neuf dans ce personnage. Il éprouve quand même encore quelques difficultés à respecter le fait que le pouvoir auto-guérisseur de Logan est censé être moins rapide.



Le lecteur redécouvre donc des saveurs inattendues dans le personnage principal, alors qu'il était devenu au fil des années quelque peu figé dans ses caractéristiques. En particulier, il s'agit d'un individu un peu plus sage, capable de réfléchir avant de foncer dans le tas tête baissée. Lemire réussit un très bon passage dans lequel Logan se dit en son for intérieur qu'il sait déjà ce qu'il va dire, avant même que les mots ne soient sortis de sa bouche, face à son ennemi du moment. Lorsque le lecteur découvre la raison pour laquelle Logan s'est rendu à Killhorn Falls, il se dit qu'il aurait dû y penser plutôt tellement c'est logique, et qu'en plus les motivations de Logan ne sont pas si stéréotypées que ça. En outre, le décalage temporel entre ce qu'il a vécu et l'état du présent place son ancienne relation dans une configuration d'une rare cruauté. L'épisode 8 revient ensuite sur l'angoisse de Logan de voir ce monde basculer du jour au lendemain dans le chaos, sous l'effet de l'attaque combinée de supercriminels, ce qu'il a déjà vécu, et ce qu'il tient pour inéluctable. Le scénariste réussit à sauter l'obstacle avec élégance parce que cet épisode revient sur le principe que Logan est maintenant prêt à accepter l'aide et le soutien d'autres personnes.



Au fil de ces 4 épisodes, Jeff Lemire redonne une personnalité plus développée à Logan. Il le fait interagir avec de nouveaux personnages, et des anciens sans jamais oublier qu'il est plus vieux et qu'il a vécu des événements que les autres n'ont pas connus et ne connaîtront jamais. Il met en scène l'une des caractéristiques de Logan : prendre en tutorat de jeunes demoiselles, comme il l'a déjà fait pour Kitty Pryde, pour Jubilee, ou pour Katie Power (voir l'épisode de fin de recueil). Bien sûr, comme il s'agit d'un comics de superhéros, il doit y avoir des supercriminels et des affrontements physiques, c'est une obligation du cahier des charges de ce genre. Lemire ramène donc des ennemis emblématiques de Wolverine : les Reavers (ici composés de Bonebreaker, Muzzle, Skullbuster, Pretty Boy) et leur cheffe. Ils attaquent Logan pour se venger, sans disposer de beaucoup de personnalité, même à eux 4 réunis, même en rajoutant leur cheffe, mais les combats sont mis en images par Andrea Sorrentino.



L'artiste avait fait une forte impression sur la série Green Arrow (également écrite Lemire) et il ne démérite pas ici. Aussi ridicule que puisse être Bonebreaker (un cyborg avec un tank à la place du bassin et des membres inférieurs), Sorrentino fait ressortir sa force de frappe, sa sauvagerie et les trajectoires de balle, face à l'avancée inéluctable de Logan qui a trop à perdre. Il utilise des zones noires aux formes effilées et déchiquetées pour rendre compte de la violence des chocs, et des lacérations par les griffes ou par les balles. Il travaille en synergie avec Marcelo Maiolo pour des cases où ne subsistent que les traits de contour et un contraste maximal entre le blanc de la page et le rouge soutenu symbolisant la dimension sanglante et l'affrontement de manière expressionniste. Le metteur en couleurs appose des couleurs qui semblent par moment maculées de saleté, comme si l'environnement lui-même était souillé.



Les histoires de Jeff Lemire comprennent souvent des moments forts, reposant sur une bonne connaissance des personnages, mais elles ont du mal à supporter une mise en images tiède. Par exemple, l'épisode 8 raconte une histoire dont la fin est déjà connue puisqu'elle a été révélée dans le récit de Millar & McNiven. Si elle avait été illustrée comme une histoire de superhéros de manière traditionnelle, les grosses ficelles seraient passées au premier plan et le lecteur aurait soupiré devant un affrontement convenu de plus. Les dessins de Sorrentino apportent la gravité nécessaire, parce qu'il prend cette histoire au sérieux. Il décrit des individus adultes pris dans des conflits qui les dépassent et soumis à une mort arbitraire et idiote. Il décrit d'autres adultes accablés par le poids de ces souvenirs. Du coup quand Giant Man est abattu par une méthode primaire mais efficace, le lecteur voit effectivement un géant s'effondrer, un moment mythique qui se déroule sous ses yeux, la chute d'un titan abattu de manière pitoyable.



Ainsi, tout au long de ces 4 épisodes, le lecteur découvre des images dantesques ou époustouflantes, ainsi que des séquences inoubliables. Logan chevauchant une moto sur une highway n'est pas très original, mais Sorrentino le représente sans casque, le visage fermé, avec le paysage qui défile derrière lui d'une manière originale pour montrer les lieux traversés. La scène du suicide raté de Logan après la mort des X-Men est bien pensée quant à la méthode, très impressionnante quant à l'impact sur le corps de Logan. Dans l'épisode 7, Logan prend conscience qu'où il aille, le chaos le rattrapera toujours. Pour mettre ce choc psychologique en images, Andrea Sorrentino utilise un dessin en double page sur la base du squelette de Logan, contenant les crânes de tous ses proches, tous ceux susceptibles de rester sur le carreau parce qu'ils l'ont connu. L'image se tient à la frontière du figuratif et du conceptuel, portant toute la force de l'horreur de cette responsabilité et de ces conséquences. Le lecteur ressent la force de cette émotion grâce à l'empathie dégagée par le dessin. De la même manière, les pages obligatoires de combat physique ne donnent pas une impression de mécanique bien huilée, mais de moments spécifiques au personnage, avec le poids de cette fatalité, et la volonté de ne pas se laisser faire, de refuser la position de victime. Le lecteur se rend compte que ces nuances auraient été perdues dans une représentation figurative traditionnelle, que l'impact du récit en aurait été amoindri et que le scénario serait apparu plus conventionnel.



Dans ce deuxième tome, l'équipe créatrice franchit un palier qualitatif en réussissant à faire vivre Logan devant les yeux du lecteur, en lui faisant dépasser les clichés inhérents au personnage pour redonner du sens à ce qu'il vit, à la fois en le mettant en perspective par rapport à son histoire personnelle, à la fois en montrant son implication dans les épreuves qu'il traverse, leurs conséquences sur lui et sur ceux qui l'entourent. Andrea Sorrentino et Jeff Lemire dépassent la narration mécanique pour mettre en scène un individu qui a vécu la défaite, qui porte la cicatrice correspondante et qui essaye de faire face tant bien que mal. Ils font vivre un individu qui se connaît assez pour identifier les schémas dans lesquels il retombe inéluctablement, tout en essayant de ne pas reproduire les mêmes erreurs. Ils vont même jusqu'à montrer un individu qui a accepté le fait qu'il a besoin du réconfort des autres pour supporter la réalité.
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Green Arrow, tome 1 : Machine à tuer

La série télé "Arrow" rencontrant un certain succès, les pontes de DC ne pouvaient laisser ce personnage dans les abîmes de médiocrité au sein desquelles ils l'avaient plongé lors des 3 premiers tomes V.O.. Nous sommes donc ici en présence du tome 4 de Green Arrow avec Jeff Lemire aux commandes. Cependant, vu la faiblesse des 3 précédents opus, Urban comics (filiale française de DC) a décidé de faire table rase du passé et de ne pas les publier, faisant de ce "Machine à tuer" le 1er tome en V.F.. Par conséquent, l'histoire démarre au numéro #17 de la série.

Ce court extrait résume assez bien la philosophie de DC: "Peut-être que repartir de zéro me permettra d'être un nouveau... et un meilleur Green Arrow" (Oliver Queen).



Et c'est gagné puisque le duo Lemire-Sorrentino fonctionne à merveille et offre un travail de qualité.



La première page nous montre un Oliver Queen à bout de force dans le désert. Après quoi, flashback de 3 semaines où l'histoire démarre sur les chapeaux de roue lorsque le lecteur et notre héros assistent impuissants à la destruction du monde d'Oliver Queen ainsi que de celui de... Green Arrow. Le responsable est un archer noir qui connait manifestement sa double identité. Pour comprendre ce qu'il se passe et avoir une chance d'arrêter son ennemi, Oliver devra plonger dans son passé familial... Je ne dirai rien de plus pour pas spoiler si ce n'est qu'Ollie va en baver !



Jeff Lemire modernise et approfondit la mythologie de l'archer vert en la liant à différents clans ancestraux qui ont chacun leur identité propre et une arme totem comme symbole. Le délire "société secrète" bien qu'un peu cliché fonctionne très bien grâce à l'ajout de ces factions armées.



En plus des scènes d'action palpitantes, l'intrigue est parsemée de révélations sur le passé du héros et sur les secrets que cachaient son père avant sa mort. Pour être le plus objectif possible, je dois avouer avoir vu venir une partie des révélations tant quelques-unes sont stéréotypées. Malgré cela, le plaisir de lecture reste entier.



De plus, le scénariste soigne la caractérisation de ses personnages et en particulier celle de ses méchants. Ils sont ici au nombre de 3 et leur importance grandira vraisemblablement au fur et à mesure du run de Lemire (qui s'étend sur 3 tômes). Le fait d'ajouter des personnages de la série télé "Arrow" est une idée lumineuse surtout lorsque ceux-ci apportent une vraie plus-value à l'histoire à l'image du personnage de John Diggle.



La partie graphique est à couper le souffle et donne une véritable identité à la série. Le rendu des scènes d'action est époustouflant de crédibilité tant elles sont dynamiques et bien découpées. Rendre palpitant un combat au tir à l'arc n'était pas gagné d'avance et Sorrentino relève le défi haut la main grâce à quelques astuces. Je citerai entre autre le fait de zoomer sur une partie spécifique du dessin pour amplifier le mouvement des protagonistes ou encore d'insérer les scènes d'action à l'intérieur des onomatopées. Malheureusement, si ce style graphique particulier m'a plu, il pourrait rebuter un certain nombre de personnes tant il se distingue de la norme actuelle.



Bref, la reprise en main de GA par le tandem Lemire-Sorrentino est une réussite et augure de bonnes choses pour la suite. :-)
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Wolverine - Old Man Logan, tome 2 : Bordert..

Ce tome fait suite à Berzerker (épisodes 1 à 4, et numéro Wolverine: Old man Logan giant size special) qu'il vaut mieux avoir lu avant pour comprendre d'où sort ce vieux Logan et qu'elle est sa situation. Il comprend les épisodes 5 à 8, initialement parus en 2016, écrits par Jeff Lemire, dessinés et encrés par Andrea Sorrentino, avec une mise en couleurs de Marcelo Maiolo. Il contient également l'épisode 205 de la série Uncanny X-Men, initialement paru en 1986, coécrits par Chris Claremont & Barry Windsor Smith, avec des dialogues de Claremont, des dessins, un encrage et des couleurs de Windsor Smith.



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- Old man Logan 5 à 8 - À X-Haven (la nouvelle demeure des X-Men), Logan a une discussion assez franche ave Ororo Munroe, pour lui expliquer qu'il doit quitter les X-Men pour quelque temps, mais qu'il reste à leur disposition si le besoin s'en fait sentir. Ororo n'a d'autre choix que d'acquiescer à sa demande, mais elle lui remet une balise de détresse lui permettant de les appeler, et leur permettant de l'appeler. Il décide de voyager en moto (sans casque et avec un petit logo X) pour se rendre dans le grand nord canadien à Killhorn Falls. Il songe à quel point il prend plaisir à se trouver dans un monde qui n'a pas été détruit.



Logan souhaite accomplir une visite dans cette ville septentrionale du Canada, dont la route qui y mène n'est viable que 3 mois par an. Le reste du temps, elle est prise dans la glace. Chemin faisant, il se souvient qu'après le massacre des X-Men dans le futur de sa ligne temporelle (celle de la Terre 807128), il a tenté de se suicider, en vain. Puis il est retourné sur le site du projet Arme X, où il a découvert un groupe d'individus qui ne l'ont pas accueilli à bras ouvert. Malgré tout, Maureen, la responsable du site a accepté qu'il réside dans le complexe. Arrivé à Killhorn Falls, Logan découvre une petite ville sans prétention, avec des habitants au mode de vie rude et vrai. Il s'y sent comme chez lui, mais des individus l'ont suivi.



Au cours du tome précédent, Andrea Sorrentino avait prouvé qu'il sait en mettre plein la vue, avec une narration visuelle tantôt sèche, tantôt spectaculaire. Jeff Lemire avait limité la casse, avec une histoire qui reprenait les intrigues secondaires laissées en suspens par Brian Michael Bendis : Logan avait une liste d'individus à abattre pour éviter que ne survienne son futur. Plutôt mis en confiance, le lecteur revient pour un deuxième chapitre, à nouveau assez court (4 épisodes), à nouveau complété par un ancien épisode. À nouveau, le scénariste fait le nécessaire pour structurer la situation de Logan : il est disponible pour les X-Men et le dit à Storm, mais il a sa propre vie à mener et il lui explique. Ainsi le personnage dispose de la latitude nécessaire pour avoir sa propre série, sans être obligé de prendre en remorque une palanquée de mutants. La scène suivante rassérène le lecteur puisqu'il découvre que Lemire prend en compte les conséquences du passé de Logan sur son état d'esprit du moment.



La scène d'après constitue un retour dans le passé (807128) de Logan, et un futur qui n'arrivera jamais pour la Terre principale. Jeff Lemire a donc décidé de poursuivre l'exploration de l'histoire personnelle de son personnage, après l'attaque des supercriminels qui a provoqué l'effondrement de la civilisation et qui a conduit aux événements de Wolverine: Old Man Logan (2008/2009) de Mark Millar & Steve McNiven. Il montre comment Logan, écœuré par le rôle d'instrument de mort qu'il a été contraint de jouer, avait décidé d'en finir avec la vie. C'est à la fois cohérent avec l'histoire de Millar & McNiven, et à la fois nécessaire pour comprendre les états d'âme du personnage. Loin de donner l'impression de juste rabâcher l'œuvre originale, Lemire sait lui donner du sens dans le cadre du traumatisme vécu par Logan, et dans le cadre de l'instant présent. En particulier, le lecteur ressent toute la frustration, mais aussi toute la résignation (voire la capitulation du personnage) quand il préfère se faire tabasser dans le complexe de l'Arme X, plutôt que de sortir ses griffes et de risquer un nouveau carnage.



Ayant ainsi établi que cette évocation du passé/futur dystopique ne sert pas à juste fournir le quota de destruction massive pour l'épisode en cours, Jeff Lemire peut le réemployer par la suite, tout en conservant le capital confiance du lecteur. Il ne s'en prive pas dans l'épisode 8, avec des séquences de mise à mort des superhéros lors de l'attaque initiale des supercriminels sur New York. Grâce à ces retours dans le passé/futur, le scénariste montre des événements traumatisants qui ont laissé leur marque sur ce vieux Logan, le faisant évoluer au-delà de ce que pouvait être l'original. Mine de rien, Jeff Lemire a réussi la gageure d'insuffler du neuf dans ce personnage. Il éprouve quand même encore quelques difficultés à respecter le fait que le pouvoir auto-guérisseur de Logan est censé être moins rapide.



Le lecteur redécouvre donc des saveurs inattendues dans le personnage principal, alors qu'il était devenu au fil des années quelque peu figé dans ses caractéristiques. En particulier, il s'agit d'un individu un peu plus sage, capable de réfléchir avant de foncer dans le tas tête baissée. Lemire réussit un très bon passage dans lequel Logan se dit en son for intérieur qu'il sait déjà ce qu'il va dire, avant même que les mots ne soient sortis de sa bouche, face à son ennemi du moment. Lorsque le lecteur découvre la raison pour laquelle Logan s'est rendu à Killhorn Falls, il se dit qu'il aurait dû y penser plutôt tellement c'est logique, et qu'en plus les motivations de Logan ne sont pas si stéréotypées que ça. En outre, le décalage temporel entre ce qu'il a vécu et l'état du présent place son ancienne relation dans une configuration d'une rare cruauté. L'épisode 8 revient ensuite sur l'angoisse de Logan de voir ce monde basculer du jour au lendemain dans le chaos, sous l'effet de l'attaque combinée de supercriminels, ce qu'il a déjà vécu, et ce qu'il tient pour inéluctable. Le scénariste réussit à sauter l'obstacle avec élégance parce que cet épisode revient sur le principe que Logan est maintenant prêt à accepter l'aide et le soutien d'autres personnes.



Au fil de ces 4 épisodes, Jeff Lemire redonne une personnalité plus développée à Logan. Il le fait interagir avec de nouveaux personnages, et des anciens sans jamais oublier qu'il est plus vieux et qu'il a vécu des événements que les autres n'ont pas connus et ne connaîtront jamais. Il met en scène l'une des caractéristiques de Logan : prendre en tutorat de jeunes demoiselles, comme il l'a déjà fait pour Kitty Pryde, pour Jubilee, ou pour Katie Power (voir l'épisode de fin de recueil). Bien sûr, comme il s'agit d'un comics de superhéros, il doit y avoir des supercriminels et des affrontements physiques, c'est une obligation du cahier des charges de ce genre. Lemire ramène donc des ennemis emblématiques de Wolverine : les Reavers (ici composés de Bonebreaker, Muzzle, Skullbuster, Pretty Boy) et leur cheffe. Ils attaquent Logan pour se venger, sans disposer de beaucoup de personnalité, même à eux 4 réunis, même en rajoutant leur cheffe, mais les combats sont mis en images par Andrea Sorrentino.



L'artiste avait fait une forte impression sur la série Green Arrow (également écrite Lemire) et il ne démérite pas ici. Aussi ridicule que puisse être Bonebreaker (un cyborg avec un tank à la place du bassin et des membres inférieurs), Sorrentino fait ressortir sa force de frappe, sa sauvagerie et les trajectoires de balle, face à l'avancée inéluctable de Logan qui a trop à perdre. Il utilise des zones noires aux formes effilées et déchiquetées pour rendre compte de la violence des chocs, et des lacérations par les griffes ou par les balles. Il travaille en synergie avec Marcelo Maiolo pour des cases où ne subsistent que les traits de contour et un contraste maximal entre le blanc de la page et le rouge soutenu symbolisant la dimension sanglante et l'affrontement de manière expressionniste. Le metteur en couleurs appose des couleurs qui semblent par moment maculées de saleté, comme si l'environnement lui-même était souillé.



Les histoires de Jeff Lemire comprennent souvent des moments forts, reposant sur une bonne connaissance des personnages, mais elles ont du mal à supporter une mise en images tiède. Par exemple, l'épisode 8 raconte une histoire dont la fin est déjà connue puisqu'elle a été révélée dans le récit de Millar & McNiven. Si elle avait été illustrée comme une histoire de superhéros de manière traditionnelle, les grosses ficelles seraient passées au premier plan et le lecteur aurait soupiré devant un affrontement convenu de plus. Les dessins de Sorrentino apportent la gravité nécessaire, parce qu'il prend cette histoire au sérieux. Il décrit des individus adultes pris dans des conflits qui les dépassent et soumis à une mort arbitraire et idiote. Il décrit d'autres adultes accablés par le poids de ces souvenirs. Du coup quand Giant Man est abattu par une méthode primaire mais efficace, le lecteur voit effectivement un géant s'effondrer, un moment mythique qui se déroule sous ses yeux, la chute d'un titan abattu de manière pitoyable.



Ainsi, tout au long de ces 4 épisodes, le lecteur découvre des images dantesques ou époustouflantes, ainsi que des séquences inoubliables. Logan chevauchant une moto sur une highway n'est pas très original, mais Sorrentino le représente sans casque, le visage fermé, avec le paysage qui défile derrière lui d'une manière originale pour montrer les lieux traversés. La scène du suicide raté de Logan après la mort des X-Men est bien pensée quant à la méthode, très impressionnante quant à l'impact sur le corps de Logan. Dans l'épisode 7, Logan prend conscience qu'où il aille, le chaos le rattrapera toujours. Pour mettre ce choc psychologique en images, Andrea Sorrentino utilise un dessin en double page sur la base du squelette de Logan, contenant les crânes de tous ses proches, tous ceux susceptibles de rester sur le carreau parce qu'ils l'ont connu. L'image se tient à la frontière du figuratif et du conceptuel, portant toute la force de l'horreur de cette responsabilité et de ces conséquences. Le lecteur ressent la force de cette émotion grâce à l'empathie dégagée par le dessin. De la même manière, les pages obligatoires de combat physique ne donnent pas une impression de mécanique bien huilée, mais de moments spécifiques au personnage, avec le poids de cette fatalité, et la volonté de ne pas se laisser faire, de refuser la position de victime. Le lecteur se rend compte que ces nuances auraient été perdues dans une représentation figurative traditionnelle, que l'impact du récit en aurait été amoindri et que le scénario serait apparu plus conventionnel.



Dans ce deuxième tome, l'équipe créatrice franchit un palier qualitatif en réussissant à faire vivre Logan devant les yeux du lecteur, en lui faisant dépasser les clichés inhérents au personnage pour redonner du sens à ce qu'il vit, à la fois en le mettant en perspective par rapport à son histoire personnelle, à la fois en montrant son implication dans les épreuves qu'il traverse, leurs conséquences sur lui et sur ceux qui l'entourent. Andrea Sorrentino et Jeff Lemire dépassent la narration mécanique pour mettre en scène un individu qui a vécu la défaite, qui porte la cicatrice correspondante et qui essaye de faire face tant bien que mal. Ils font vivre un individu qui se connaît assez pour identifier les schémas dans lesquels il retombe inéluctablement, tout en essayant de ne pas reproduire les mêmes erreurs. Ils vont même jusqu'à montrer un individu qui a accepté le fait qu'il a besoin du réconfort des autres pour supporter la réalité. 5 étoiles.



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- Épisode 205 "Wounded wolf" (1986, scénario Chris Claremont & Barry Windsor Smith, dessins, encrage et couleurs de BWS) - Yuriko Oyama a subi une opération qui l'a transformée en cyborg (Lady Deathstrike) avec des serres effilées capables de rivaliser avec les griffes de Wolverine. Elle a tendu une embuscade à ce dernier et Energizer (Katie Power) se retrouve mêlée à ce combat en pleine tempête de neige dans les rues New York.



En 1991, Barry Windsor Smith apporte une pierre incontournable à l'histoire personnelle de Logan : Wolverine : Weapon X. Auparavant, il a réalisé une poignée d'épisodes de la série Uncanny X-Men avec Chris Claremont : les numéros 186, 198, 205 et 214, tous exquis, et rassemblés dans X-Men: Lifedeath. Chris Claremont apporte sa tutelle et sa caution pour cet épisode. Il poursuit le développement des Yuriko Oyama, en la rattachant à Spiral, et aux Reavers de Donald Pierce, l'un des membres du Hellfire Club. Il joue avec la fibre paternaliste de Logan ayant déjà bénéficié à Kitty Pryde. Il montre ici comment sa sensibilité s'exprime pour protéger la jeune Katie Power, moins de 10 ans, membre de Power Pack.



Le reste de la narration est l'œuvre de Barry Windsor Smith. Le lecteur remarque tout de suite qu'il se passe quelque chose avec les couleurs. Elles sont plus claires et plus vives, mais pas appliquées de manière à couvrir toute une surface délimitée par les traits de contour. Avec les moyens techniques limitées de l'époque, l'artiste réussit à donner du volume aux formes par le biais de cette application qui ne couvre pas complètement les formes. Il utilise la palette vive et colorée à sa disposition pour transformer cette chasse à l'homme en une sorte de conte de Noël, telle qu'elle peut être perçue par Katie Power. Il utilise des traits fins encrés pour sculpter dans le détail les formes, pour leur donner de la texture. Il utilise les flocons de neige (oui, vous aussi, vous serez convaincu que la neige peut être rose) pour servir de toile de fond, comme une sorte de décor en mouvement masquant les bâtiments et le reste de l'environnement. Ce choix narratif renforce l'impression de conte, comme si Logan et Katie étaient coupés du monde réel et évoluaient dans une réalité parallèle qui masque leurs ennemis. Ces derniers peuvent alors surgir à tout moment, installant un climat d'angoisse. Le combat entre Logan et Lady Deathstrike devient un ballet, tout en restant une confrontation d'état d'esprit, ce qui donne du sens à leur affrontement qui n'est pas que physique.



Même si le lecteur peut s'agacer de la politique éditoriale de Marvel de compenser la faible pagination d'un recueil, avec un vieil épisode pour ne pas diminuer le prix de vente d'autant, il (re)tombe vite sous le charme de la narration virtuose et élégante de Barry Windsor Smith, bien épaulé par Chris Claremont. Logan ressort grandi et plus humain de cet épisode. Enfin ce numéro 205 vient apporter un complément très judicieux à l'histoire principale. 5 étoiles.
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Green Arrow, tome 3

La conclusion d’un run qui fait déjà office de classique.
Lien : http://www.bdencre.com/2015/..
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