Neuf ans, le nez en trompette, les cheveux coupés aux ciseaux à ongles, les yeux bridés, d'un bleu de gentiane, la bouche en avant comme un museau, "Qu'il est beau !" s'exclamaient les gens, les grands-parents. Fabrice le savait [...].
J'ai annoncé mon divorce à Charles d'une voix pétulante, et lui, inquiet, compassé, m'a presque présenté ses condoléances, l'idiot! J'ai ri, je riais en appelant Philippe puis Sophie, Vous ne connaissez pas la bonne nouvelle? Etrange circonspection de mes meilleurs amis, "Tu as bien réfléchi?" disaient-ils soucieux. Réfléchi. Un oiseau réfléchit-il avant de s'envoler si l'on ouvre la porte de sa cage? Soit, je risque de déchanter, du moins j'aurai recouvré l'usage de mes ailes.
Plus Fabrice fientait de trouille, plus il se montrait agressif. Les enfants ont des épines, tant qu'ils n'ont pas de défense.
- Dis, maman, qu'est-ce qu'il y a à l'Est ?
- La Russie !
- Je me disais bien... J'aimerais tellement que les Russes nous envahissent !
Un gros soupir.
- Quelle idée !
- Tu comprends, c'est ma seule chance de vivre une grande aventure.
Lorsqu'elle évoquait son enfance, Brigitte enviait sa mère : tenir ses enfants en laisse, quelle tranquillité ! L'idéal serait une grande cage, où on les regarderait pousser, comme des glaïeuls bien protégés.
Ou bien il construisait sa cabane : il s'empaquetait dans trois planches et un bout de carton. Si un courant d'air détruisait sa construction, il sanglotait, trépignait, s'emportait : "Le vent est un méchant !"
Il resplendissait d'insolence, Brigitte l'admirait, c'est une vertu, l'insolence, il faut savoir la cultiver, chez l'homme, elle devient noblesse.