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Citation de Bradomin


Aboiements furieux au point du jour : / j’ai fait pendre un esclave.
J’avais surpris / les reflets d’un embrasement
sur la cheville nue / de Chântra.
Il n’a rien dit, / signant ainsi son crime.
Chântra a jeté, entre elle et moi,
le long pan de son voile ;
avec la fixité d’une statue,
elle a raidi son corps, l’a tendu
comme un arc.
Je me suis précipité, face contre terre,
j’ai embrassé ses genoux,
le regard perdu, ma langue avide sur ses
pieds.
Elle n’a rien dit.
J’ai fermé la porte de sa chambre, / donné la clef
à la vieille édentée / qui en garde le seuil
couchée de tout son corps.
Je suis parti sept jours dans la montagne.
Veillant dans un abri de chasseur,
je voyais l’aurore / enflammer le vallon,
le soleil se pendre dans les arbres,
descendre l’essaim des ombres,
les étoiles fuser.
Des chiens hurlaient au point du jour :
j’avais fait pendre un esclave / et Chântra...
J’ai fumé trois jours encore / et trois nuits dans ma tanière.
Je ne voyais plus rien, / la noire Kâlî s’enroulait dans les flammes,
excitant les grelots de ses chevilles.
Au petit matin elle se dissipait / dans le brouillard vert
d’un lointain Udaipur.
J’ai fumé encore / et j’ai cru deviner, dans la vallée,
la luxuriance d’une battue :
brocarts et satins, / pashmînâ d’Amritsar,
tarpans de soie / sur l’herbe éclatante
et la bave des chiens.
J’ai senti la fourrure sous mes doigts,
l’odeur aigre du fauve, / son sang coagulé.
Je me suis déguisé, me suis coulé
en feulant dans les fourrés.
La Noire a crevé mon sommeil
de son masque hideux et sanglant.
Toute la nuit j’ai senti / la mort labourer mes veines.
La gueule en feu, habité d’un tonnerre / à faire rugir les montagnes,
je me suis désaltéré / à une flaque de boue
dans les relents de vieux cuir d’un / troupeau d’éléphants.
Haletant, je me suis affaissé, / j’ai laissé passer dans mes yeux
un vol de babouins qui ne reviennent / jamais.
Repu de nuit, la sueur glaçait mon front.
Maintenant,
une femme est à mes côtés,
pieds maquillés de henné.
Elle m’enveloppe de sa voix berçante,
me cajole
de ses mélodies.
Elle a défait ses cheveux, me dit que,
si je veux, elle est prête :
que le bûcher soit allumé.
Mais voilà qu’elle hurle que je suis fou;
dans l’orage de mes rugissements,
je ne l’écoute pas.
Pourquoi vouloir retenir mon âme ?
La Noire seule le sait, / mais qu’y puis-je ?
Je ne m’habite plus,
cette maison n’est plus la mienne.
("Le tigre" p.68).
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