Mao était fin lettré et, avant même d’entrer en poli¬tique, connaissait la sentence si fameuse, si décisive pour toute entreprise de guérilla, du traité de guerre des Trente-six stratagèmes dont l’auteur nous est inconnu mais que l’on sait inspiré du Yi-king : « Un grand général doit connaître l’art des changements. » « Toujours l’actif s’affaiblit et le passif se renforce », dit ce même traité. L’art des changements, c’est l’art de monter en puis¬sance se sachant faible, de transformer le discontinu en continu, et inversement. Sun-Tzu disait que « soumettre l’ennemi sans combat est ce qu’il y a de mieux », in¬dépendamment des forces des uns et des autres, mais dépendamment des ruses de chacun pour affaiblir mo¬ralement l’adversaire avant tout combat.
Il fallut près de vingt ans à Mao pour parvenir à la puissance étant faible. Le coup d’État n’est qu’affaire de patience et de prudence. L’art des changements, en matière de guerre comme ailleurs, est un art de la situation, un potentiel de situation, c’est-à-dire un potentiel à l’inverser ou à la confirmer. L’art du changement est un art de la connaissance des causes des choses – tout stratège doit être assez philosophe pour comprendre où veut le mener son ennemi, et où lui-même veut aller, pour en tirer parti. Le but de la stratégie est l’inversion des rapports, et les tactiques ne sont que les opérations d’inversion, les changements, les ouvertures à d’autres situations. Là encore, ce sont des plis : Mao ne croit pas qu’il y ait une situation qui puisse un jour se présenter sous un aspect immuable, rien n’est irréversible ; comme l’indique le Livre des mutations, toutes les situations présentent en leur creux une face et son envers, une situation et son changement, une virtualité de renversement et une virtualité de maintien, de conservation.
(p. 67-68)
Je ne fais là que tenter de rejoindre le but qu’avait affiché la Technique du coup d’État de Malaparte, mais en inversant l’objet, car l’histoire de la guerre depuis les années trente n’est que l’histoire du renversement du politique et de la guerre, et l’histoire du motif ambiguë de la marge et du centre, une histoire du pli. Je me suis intéressé à la technique politique préparant au coup d’État, amenant à la conquête, avant de concevoir un coup dans une simplicité qui ne couvrirait plus la réalité du monde – n’être fait que de sociétés concurrentes et sans frontières. Tout cela conduit pourtant au même, seule la manière, ou la matière, en ont varié : comment on prend un État, comment on le défend.