Antoine Laurain

Les trois toiles possédaient en effet quelque chose des dessins de la palissade du Louvre, pourtant elles portaient en elles une force à la fois tribale et urbaine qu'il n'avait jamais ressentie jusque-là. Elevé aux paysages du XVIIIe siècle, Bernard n'était pas préparé à un tel choc. La puissance qui s'en dégageait avait quelque chose de presque radioactif. Les traits, les silhouettes, les petits avions et les phrases raturées explosaient comme le message brouillé d'une civilisation disparue et que l'on retrouverait dans cinq mille ans; la nôtre. Les toiles enfermaient dans leurs cadres le message lointain des tout premiers rites de l'humanité. Les incantations des fêtes et les prêches magiques des cérémonies funéraires venues du fond des temps y fusionnaient avec le bruit des avions et les sirènes des voitures de police. Des hommes aux silhouettes carbonisées, comme pourvus de masques, fixaient le spectateur tandis que des avions enfantins passaient dans le ciel, heurtant des mots qu'on aurait cru sortis d'un scrabble éparpillé par un fou. Bernard resta muet plusieurs minutes devant les tableaux, son regard ne pouvait s'en détacher, à la manière de ces rongeurs hypnotisés lors d'une confrontation avec un serpent.
C'était la rupture définitive. Un autre Bernard Lavallière naissait ce soir entre les murs de béton froids et humides d'une galerie d'art contemporain.