Prt 2 : Conférence d´Antoine Marès; Les grandes dates mémorielles
Malgré des échecs traumatisants, il s’est construit sur ses succès initiaux et sa faculté à convaincre ses interlocuteurs. « Créateur » de la Tchécoslovaquie au berceau de laquelle il s’est trouvé, ce triomphe parisien lui a donné une confiance considérable en lui jusqu’en 1938. En 1945, il est persuadé qu’il a réussi son second pari en « effaçant Munich » et en rétablissant la Tchécoslovaquie. (…) Il n’a pas suffisamment considéré le nouveau paradigme de la Guerre froide naissante pour l’indépendance de son pays : de ce point de vue, ses adversaires anticommunistes peuvent légitimement l’accuser de s’être précipité dans la « gueule du loup » (…) Au-delà de ce qui pourrait passer pour un échec final, il faut retenir comme des héritages de la Première République – que Beneš a incarnée au même titre que Masaryk- le modèle démocratique tchécoslovaque, le rejet des extrémistes, l’explosion culturelle des années 1960 qui a renoué avec le passé de l’entre-deux-guerres et la non-violence qui a marqué la sortie hors du régime communiste. (…) Fondamentalement, sa tragédie réside dans le décalage entre un projet européen et les moyens d’un Etat de moins de 15 millions d’habitants. Il incarne surtout le drame des petits Etats d’Europe centrale face aux grandes puissances voisines.
Ces expulsions ont été particulièrement cruelles pour certaines catégories de citoyens : les juifs de retour des camps qui s’étaient déclarés allemands lors du recensement de 1930 et qui, par conséquent, risquaient d’être touchés par les mesures d’expropriation ou d’expulsion ; les Allemands qui n’avaient eu aucun sympathie particulière pour le national-socialisme sans pouvoir prouver qu’ils avaient été actifs dans la Résistance et même les antifascistes déclarés ont souvent été entraînés dans le maelström d’hostilité à l’égard des Allemands ; les membres des couples mixtes, qui en principe ont un droit d’option, ont été eux aussi souvent injustement touchés. En désespoir de cause, de nombreuses Tchèques exposent leur détresse à la « first lady » en lui demandant son aide pour sauver leurs couples dans des lettres pathétiques.
Le président tchécoslovaque est également convaincu – il l’a affirmé pendant toute la crise de 1938 et ne cessera de le répéter après le 30 septembre – que l’agression hitlérienne n’est que l’étape d’une expansion qui s’achèvera forcément par une guerre générale. Dans ces conditions, la Tchécoslovaquie doit-elle payer un prix exorbitant pour les autres ? Jouent aussi la réflexion de « sauvegarde biologique » et le complexe de vulnérabilité des 7,5 millions de Tchèques face aux 67 millions d’Allemands. A quoi servirait un sacrifice prématuré et aboutirait un tel baroud d’honneur ? Dans la décision de Beneš, l’homme de la SDN, le fait qu’il ne pouvait endosser seul la responsabilité de la guerre, comme l’annonçait la propagande de Goebbels, a eu également sa place.
Pour résoudre un problème, Beneš écrit un mémoire dans lequel il expose l’intérêt de ses interlocuteurs à abonder dans son sens. Puis il adresse le document au plus grand nombre de journalistes et de diplomates susceptibles d’influencer la décision. Ces rapports très structurés reproduisent les mêmes arguments au fil des mois, sous des formes différentes, enrichis par les dernières informations sur les Pays Tchèques. S’ils n’apportent pas de conception nouvelle par rapport aux grands axes tracés par Masaryk, ils les complètent, avec une souplesse tactique incontestable.
La difficile gestation des trois États baltes s'est reflétée dans leurs évolutions politiques, mais à la différence de l'Ukraine et de la Géorgie, ils ont pu affirmer leur indépendance et consolider leur ethnie dans des ensembles multinationaux: la réforme agraire a ainsi permis une redistribution des terres au détriment des Allemands en Estonie et Lettonie.
Churchill sur Benes :
C'était un maître de l'administration et de la diplomatie. Il savait comment supporter avec patience et courage de longues périodes de fortune adverse. Ce en quoi il a échoué - et cela lui a beaucoup coûté à lui et à son pays - c'est qu'il n'a pas pris de décisions radicales au moment décisif.