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Citation de CorinneCo


TREPLEV – Oui... Vous avez maigri, vos yeux sont plus grands. Comme c’est étrange de vous voir, Nina ! Pourquoi ne me laissiez-vous pas venir ? Pourquoi n’êtes-vous pas venue plus tôt ? Je sais que vous êtes ici depuis bientôt une semaine... Tous les jours, plusieurs fois, j’allais à votre hôtel, je restais sous votre fenêtre comme un mendiant.

NINA – J’avais peur que vous me détestiez. Je rêve toutes les nuits que vous me regardez sans me reconnaître. Si vous sa-viez ! Depuis que je suis ici, je ne cesse d’errer... près de ce lac. Je suis venue souvent près de votre maison, mais je n’osais pas entrer. Asseyons-nous. (Ils s’assoient.) Asseyons-nous, et parlons... parlons... Il fait bon ici, il fait chaud, intime... Vous entendez le vent ? Il y a ce passage dans Tourguenev : « Heureux celui qui par une pareille nuit possède un toit, un coin chaud. » Je suis une mouette. Non, ce n’est pas cela. (Elle se frotte le front.) Où en étais-je ? Oui, Tourguenev... « Et que Dieu vienne en aide à tous ceux qui errent sans abri... » Ce n’est rien... Elle sanglote.

TREPLEV – Nina, vous pleurez encore... Nina !

NINA – Ce n’est rien, ça me soulage... Il y a deux ans que je n’ai pas pleuré. Tard dans la soirée, hier, je suis allée au jardin, voir si notre théâtre était toujours là. Il est encore debout. Je me suis mise à pleurer, pour la première fois depuis deux ans, et ça m’a fait du bien ; mon cœur s’est calmé. Vous voyez, je ne pleure plus... (Elle lui prend la main.) Ainsi, vous êtes devenu écrivain... Vous êtes écrivain, et moi, actrice... tous les deux dans le tourbillon... Jadis, j’étais heureuse comme une enfant, je chantais le matin en me réveillant, je vous aimais, je rêvais de gloire, et maintenant ? Demain de bonne heure je partirai pour Eletz, en troisième... avec des moujiks ; à Eletz, des marchands cultivés m’assommeront de compliments. La vie est brutale !

TREPLEV – Pourquoi aller à Eletz ?

NINA – J’ai accepté un engagement pour tout l’hiver. Il est temps d’y aller.

TREPLEV – Nina, je vous maudissais, je vous détestais, je déchirais vos lettres et vos photographies, mais à chaque instant, je me rendais compte que mon cœur vous était attaché pour toujours. Je n’ai pas la force de ne plus vous aimer. Depuis que je vous ai perdue, et qu’on a commencé à publier mes récits, la vie m’est devenue insupportable ; je souffre. Ma jeunesse m’a été arrachée brusquement, il me semble qu’il y a quatre-vingt-dix ans que je suis au monde. Je vous appelle, je baise la terre que vous avez foulée ; partout je vois votre visage et ce doux sourire qui a illuminé les meilleures années de ma vie.

NINA, éperdue. – Pourquoi dit-il cela ? Pourquoi ?
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