Papillon de mai - Description du mensonge (Antonio Gamoneda)
texte © Antonio Gamoneda, tous droits réservés
musique, instruments, voix, mise en images © Franklin Hamon, tous droits réservés
Enterrez-moi, car seuls résonnent encore des bruits de
luttes, et l'homme,
qui fut le support d'une aura illuminée,
égaré dans ses propres limites,
émonde les forêts de l'au-delà
et en mutile les racines.
(Clara Janés)
LA TIERRA Y LOS LABIOS
(La terre et les lèvres - extrait)
Mon obscure jeunesse résonne, mon coeur
étrangement grave, résonne aussi.
Dieu est silencieux. Pas moi. Qui sait
pourquoi tant et tant de peine toujours.
Il semble que la douleur vient m'emplir
jusqu'à la hauteur de mes yeux. Ma voix
contient la vie et la mort, mais il n'est
pas de clé pour l'amour ; juste une chaîne.
Lumière lointaine qui me consume
sans me laisser te voir ni te toucher :
voici un homme, mais en train de pleurer.
Il demande à vivre, mais dans le feu.
Dis-le moi, que faire du désir fou
d'être eau dans la soif et soif dans la source ?
Traduction de "La tierra y los labios" réalisée en hommage à Antonio Gamoneda pour ses 90 ans le 30 mai 2021 par Laurence Breysse-Chanet et ses élèves de Master recherche 1 et 2 en études romanes (espagnol), Sorbonne Université.
"La tierra y los labios" a été écrit par le poète entre ses 16 et 23 ans (1947-1953).
HIVER
La neige craque comme du pain chaud
et la lumière est pure comme le regard de certains êtres humains
et je pense au pain et aux regards
tandis que je marche sur la neige.
Aujourd’hui c’est dimanche et il me semble
que le matin n’existe pas uniquement sur la terre
mais qu’il est entré doucement dans ma vie.
Je vois la rivière comme un acier obscur
descendre parmi la neige.
Je vois l’aubépine : flamber le rouge,
l’aigre fruit de janvier.
Et les chênes, sur la terre brûlée,
résister en silence.
Aujourd’hui, dimanche, la terre est semblable
à la beauté, à la nécessité
de ce que j’aime le plus.
La rouille s'est posée sur ma langue comme la saveur
d'une disparition.
L'oubli est entré dans ma langue et je n'ai eu d'autre
conduite que l'oubli,
et je n'ai accepté d'autre valeur que l'impossibilité.
Comme un bateau calcifié dans un pays d'où la mer s'est retirée,
j'ai écouté la reddition de mes os s'établissant dans
le repos ;
j'ai écouté la fuite des insectes, la rétraction de
l'ombre pénétrant ce qui restait de moi ;
j'ai écouté jusqu'à ce que la vérité eût cessé d'exister
dans l'espace et dans mon esprit,
et je n'ai pu endurer la perfection du silence.
La lumière bout sous mes paupières.
D'un rossignol enfoui dans les cendres, de ses noires entrailles musicales, surgit une tempête. Les pleurs descendent aux vieilles alvéoles, je discerne des fouets vivants
et le regard immobile des bêtes, leur aiguille froide dans mon coeur.
Tout est présage. La lumière est la moelle de l'ombre : les insectes vont mourir sur les bougies du petit jour. Ainsi
brûlent en moi les significations.
(p.17)
Un jour le monde devint silencieux ;
les arbres, là-haut, étaient profonds et majestueux,
et nous sentions sous notre peau
le mouvement de la terre.
Tes mains furent douces dans les miennes
et j'ai senti en même temps la gravité et la lumière,
et que tu vivais dans mon coeur.
Tout était vérité sous les arbres,
tout était vérité. Je comprenais
toutes choses comme on comprend
un fruit avec la bouche, une lumière avec les yeux.
Leo Zelada (1970 - ), poète péruvien
Poétique minimale
Je n'écris pas pour complaire aux gens.
Ni pour qu'ils me couvrent d'applaudissements.
Il ne s'agit pas non plus d'impressionner qui que ce soit parce que je fais de la poésie.
J'écris tous les jours. Mais pas pour moi-même.
Je crée plusieurs poèmes de nuit, et les détruis presque tous.
Parce que le poème, ce n'est pas seulement exprimer un sentiment vain.
C'est quelque chose de plus. Je n'aime pas écrire de grand poèmes néo-baroques.
Ni lire des poèmes emplis de jargon faux.
Je recherche la parole précise. La prose seule émet du bruit.
L'image m'approche du poème. Mon esthétique est le mystère de l'eau.
Je vise une poétique minimale. La poésie est un acte sacré.
Traduit de l'espagnol par E. Dupas
Tu dors sous la peau de ta mère et ses rêves pénètrent dans tes rêves. Vous allez vous éveiller dans la même confusion lumineuse.
Tu ne sais pas encore qui tu es ; tu demeures indécise entre ta mère et un frémissement vivant.
Les spirituals (chanson religieuse) et les blues (évidence profane) ont une double fonction, qui s'ajoute à leur fonction esthétique : exprimer la souffrance et s'en consoler.
Un jour le monde devint silencieux ;
les arbres, là-haut, étaient profonds et majestueux,
et nous sentions sous notre peau
le mouvement de la terre.
Tes mains furent douces dans les miennes
et j'ai senti en même temps la gravité et la lumière,
et que tu vivais dans mon coeur.
Tout était vérité sous les arbres,
tout était vérité. Je comprenais
toutes choses comme on comprend
un fruit avec la bouche, une lumière avec les yeux.