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Citation de enjie77


Aussi nettement que je me rappelle mon premier voyage en train, je me rappelle la première fois que je suis arrivé sur les quais d'une gare frontalière : dans mon souvenir, l'éclat de la nuit est le même et aussi les attentes de l'imagination, la peur de l'inconnu qui accélérait mon pouls et m'affaiblissait les genoux. Des gardes civils avec une sale tête puis des gendarmes hostiles et grossiers examinaient les passeports dans la gare de Cerbère.
Cerbère ; parfois les gares ressemblent dans la nuit au royaume d'Hadès et leur nom comporte déjà un début de maléfice ; Cerbère, où les gendarmes français, pendant l'hiver de mille neuf cent trente-neuf, humiliaient les soldats de la République espagnole, les injuriaient et les bousculaient à coups de crosse ; Port-Bou, où Walter Benjamin s'est suicidé en mille neuf cent quarante ; Gmünd, la gare frontière entre la Tchécoslovaquie et l'Autriche, où, de temps en temps, se sont rencontrés Franz Kafka et Milena Jesenska, rendez-vous clandestins dans la parenthèse de temps entre des horaires de trains, dans la brièveté exaspérée des heures qui déjà commençaient de s'épuiser dès qu'ils s'apercevaient, dès qu'ils montaient vers la chambre inhospitalière de l'hôtel de la gare, où le proche passage des trains faisait vibrer les vitres de la fenêtre.
Quel choc ce devait être que d'arriver dans une gare allemande ou polonaise dans des wagons à bestiaux, d'entendre dans les haut-parleurs les ordres criés en allemand et de ne rien comprendre, de voir au loin des lumières, des barbelés et de très hautes cheminées qui crachaient de la fumée noire! Cinq jours durant, en février mille neuf cent quarante-quatre, Primo Lévi a voyagé en train vers Auschwitz. Par les fentes entre les planches dont il approchait sa bouche pour pouvoir respirer, il a vu les noms des dernières gares d'Italie et chaque nom était un adieu, une étape dans ce voyage vers le nord et le froid de l'hiver, noms indéchiffrables de gares en allemand puis en polonais, nom de villes reculées que personne n'avait alors entendus, Mauthausen, Bergen-Belsen, Auschwitz. Margarete Buber-Neumann a mis trois semaines depuis Moscou pour parvenir au camp de Sibérie où elle devait purger une peine de dix ans et quand après trois ans seulement, on lui a ordonné de monter à nouveau dans un train, pour Moscou, elle a pensé qu'on allait la libérer mais le train ne s'est pas arrêté à Moscou, il a continué son voyage vers l'ouest.

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