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Citation de Ledraveur


DU VIEIL HOMME A L'HOMME NOUVEAU
Sans entrer dans chaque détail pour justifier ce que je vais dire maintenant, je peux cependant affirmer que vous en trouveriez beaucoup de traces dans d'autres traditions et, ici ou là, chez les premiers auteurs chrétiens du II au VI siècle. La vérité — ou l'enseignement spirituel donné par le maître au disciple — est désignée par différents termes, le premier étant le mot pierre. La forme la plus immédiatement accessible de la vérité est la vérité écrite, la vérité « figée » qui recèle une certaine valeur, mais dans laquelle il ne faut pas s'emprisonner. La pierre dans les Évangiles désigne cette vérité dogmatique. Par exemple, les Dix Commandements donnés à Moise au sommet du Sinaï dans l'Ancien Testament sont gravés dans la pierre. Les temps anciens nous ont laissé de nombreux témoignages d'inscriptions dans la pierre, comme les hiéroglyphes des temples égyptiens — et on ne peut nier qu'il y a eu une certaine influence égyptienne sur la tradition hébraïque puis la tradition chrétienne. Le mot pierre se réfère à ce qui est écrit, transmis. Le fait de simplement lire les Upanishads, la Bhagavad-Gita ou la Bible correspond à ce niveau « pierre ». Il n'y a là rien de méprisant en soi pour le roc — ni pour saint Pierre. Quand le Christ dit qu'il faut bâtir sa maison sur le roc et non pas sur le sable, nous devons nous souvenir que, si ces termes évoquent immédiatement la solidité d'une part et la fragilité de l'autre, dans le symbolisme universel le sable composé de milliards de grains indique la multiplicité et le roc, le monolithe, désigne au contraire l'unité.
Pour que l'enseignement ne soit pas seulement un avoir intellectuel ou moral, pour qu'il nous transforme, il faut qu'il devienne vivant ; il est alors désigné par le mot eau. Par exemple, il est dit dans l'Ancien Testament que Moise des noces de Cana ?
p. 77
Combien cette histoire serait déplacée dans les Évangiles si elle ne revêtait pas un sens extrêmement profond. Tout de suite le Christ annonce qu'à partir de maintenant il va changer l'eau en vin, c'est-à-dire que la compréhension juste, vivante de l'enseignement, ne sera pas récupérée par le mental mais que l'enseignement va vivre en nous. « Ce n'est plus moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi » est l'achèvement de cette transformation en nous de l'eau en vin.
La vérité nous parvient d'abord sous la forme de la pierre, ensuite sous la forme de l'eau qui désaltère, enfin sous la forme du vin qui peut nous enivrer ; ce mot enivrer qui revient souvent dans la littérature chrétienne mais également chez les mystiques soufis — alors que les musulmans ne boivent jamais d'alcool — ne doit pas être pris dans un sens péjoratif. Il ne se réfère pas à un état d'ébriété, mais à l'ivresse mystique de celui qui est passé à un autre plan d'être, un autre plan de conscience. Voilà pourquoi Jésus dit à Thomas dans l'Évangile de Thomas : « Tu as bu et tu t'es enivré à la source bouillonnante que j'ai moi-même mesurée1. » La transformation de l'eau en vin est la préfiguration du sang du Christ versé. Le symbole du vin est présent lors de la première manifestation du Christ comme sauveur aux noces de Cana, il est à nouveau présent quand sa mission s'achève lors de la Cène, le dernier repas pris avec ses disciples avant la crucifixion. Le passage de la pierre à l'eau et de l'eau au vin peut aussi ne pas s'opérer. On peut rester attaché à la lettre, c'est-à-dire au niveau pierre de la vérité. Par exemple, il est dit qu'un des possédés guéris par le Christ « se déchirait avec des pierres ». Faut-il entendre par là qu'un malheureux ramassait des cailloux pointus pour s'écorcher ? Oui, peut-être. Mais il existe une autre manière de se déchirer que bien des êtres humains ont connue — et …
p. 79
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1. Évangile de Thomas, 13, 13-15.


… qui est, selon moi, une des plus cruelles et des plus douloureuses — c'est de buter sur la lettre de l'enseignement et de se débattre dans les contradictions : les protestants ont dit ceci, les catholiques ont dit cela et les orthodoxes disent encore autre chose ; et le Christ a donné un enseignement qu'on me dit être dualiste, le Védanta est un enseignement non dualiste, alors où est la vérité ? Tant qu'on s'en tient aux formulations, même en admettant qu'on connaisse l'hébreu, le grec, le sanskrit et l'arabe, on peut véritablement se torturer. Et, s'il n'y a pas un homme transformé, un sage, un maître pour nous sauver de cette torture, nous pouvons souffrir longtemps sans parvenir à réconcilier ces contradictions. Au nom du Christ, certains se sont meurtris avec des interdits et des dogmes sans comprendre que l'essentiel réside dans ce passage de l'amour ordinaire, phileo, à l'amour supérieur, agapè, dont je parlais tout à l'heure.
p. 80
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