« Au loin, un marin marche le long de la digue, tout près du bord comme s’il jouait avec l’idée d’un vertige, l’oeil vissé sur les moellons de pierre appareillée qui plongent dans la vase lisse et veloutée. J’ai suivi des yeux un moment l’étrange silhouette à contre-jour, grande et un peu cassée, légèrement claudicante — une mèche s’obstine à tomber, il se passe souvent la main dans les cheveux et dans le triangle de son bras levé naît à chaque fois un bout de soleil. Je suis restée un moment à le regarder — j’ai eu vaguement envie qu’il vienne, qu’il continue de marcher ainsi, droit devant jusqu’à moi — qu’il approche, qu’il avance, qu’il me distraie du sourd énervement du jour. Puis j’ai oublié : d’autres marins étaient dans mes pensées, d’autres hommes vivaient dans mon esprit et des lignes distraites ont couru sur la toile, un peu plus intéressantes. C’est toujours comme ça, je n’arrive à vraiment peindre que quand je pense à autre chose. »