Aude Courty

Certaines personnes savent reconnaître le mal sous ses multiples déguisements, et réussissent à libérer sa forme la plus primitive, privée de ses artifices. Mais le mal est habile, capable de prendre les traits de l'innocence ou de la banalité pour mieux se rendre imperceptible aux yeux humains. Il s'agit de savoir où et comment regarder.

— Excuse-moi, c'est toi qui as choisi un sujet sur les loups-garous ?
En soupirant je lui répondis, lasse :
— Oui, c'est bien moi.
— Et alors, est-ce que tu as vu le loup ?
J'entendis des éclats de rire fuser derrière elle, qui gloussait également à s'en décrocher les mâchoires. Sans lui concéder un seul regard, je pris mon sac et allai me réfugier à l'arrière. Mon intégration à la faculté n'avait pas été une réussite : en raison des différents thèmes que je proposais en exposés, toujours marqués par l'empreinte du paranormal, mes camarades de promotion avaient jugé préférable de m'exclure de leur groupe si soudé. Un intérêt prononcé pour les fantômes et les monstres dénotait, selon eux, une déconnexion totale du réel et un manque cruel de maturité. Eux-mêmes prônaient la primauté d'une culture universitaire élitiste, la grande littérature pouvant écraser sans remords le roman populaire...

Je ne m'étais jamais rendue en Creuse. Du moins, pas physiquement. Car, au fil de mes lectures, j'avais parfois pu parcourir ses landes indomptées, ses rochers appréciés par les sorcières pendant leurs nuit de sabbat, au travers de ces récits d'ancêtres relatant d'étranges événements, un passé commun légendaire.

Malheureusement, l'existence humaine n'est pas un roman, elle ne peut s'écrire si ce n'est gravée dans le marbre, support qui n'autorise ni gomme ni ratures.

Au-delà des circuits fantastiques, le lycanthrope pouvait se confondre avec le tueur en série, avide d'un profil récurrent de victimes. Ce qui associait encore le meurtrier obsessionnel au loup-garou, était la férocité avec laquelle il détruisait les corps de ses proies, pressé de réduire à néant toute reconnaissance physique possible, toute trace d'humanité...

Les premières impressions sont souvent les bonnes, et les réactions les moins pondérées, les moins réfléchies et les plus spontanées n'aboutissent pas toujours à des regrets.
Ce sont là quelques-uns des ingrédients indispensables à une vie pleinement vécue, à une existence non plus seulement motivée par l'instinct de survie, mais, avant tout, par la recherche du bonheur.