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Citation de PATissot


Pourtant, dans le Reich, le sang avait vraiment coulé. L'Allemagne et le monde avaient, pour la première fois, reconnu le vrai visage du nouveau régime. Le 30 juin 1934, Hitler abattit, dans une opération foudroyante, toute l'opposition dans son propre parti, celle des SA et des SS, et surtout, en dehors du parti, celle qui se dressait encore sur le chemin de la dictature complète. On l'avait appris par la radio et la presse. Des photos dans les journaux montraient des SS armés jusqu'aux dents dans les rues de Berlin et de Munich. Le coup était surtout dirigé contre les SA. Leur puissant chef, Röhm, avait soi-disant essayé de supplanter Hitler et de prendre le pouvoir, en s'appuyant sur ses millions de chemises brunes et sur l'Armée, qui voulait se débarrasser de Hitler.
Combien y avait-il eu de morts ? On n'en savait rien. Les rumeurs parlaient de milliers. Un de mes cousins de Munzingen, qui avait été secrétaire particulier du vice-chancelier von Papen, nous raconta un peu plus tard comment les SS avaient envahi ses bureaux à Berlin. Ils étaient entrés dans les pièces, à la recherche des suspects. Ils avaient froidement abattu, à sa table, un des collaborateurs de Papen. " Nous entendions le cliquetis des pistolets des SS dans notre dos, dans le couloir, et nous nous attendions à être tous liquidés ", nous dit-il.
Quelle horreur ! C'était donc ça, l'ordre nouveau ? Mais pour l'amour de Dieu, qu'était-il arrivé à l'Allemagne ? Était-il encore temps de changer le cours des événements ? Et l'Armée ? Ne pouvait-elle faire quelque chose ?
L'Armée, la Reichwehr, ne pouvait plus rien changer. Elle n'en avait probablement même pas envie.
Peu de temps après, Hitler rétablit la Wehr-Hoheit, la faculté pour l'Allemagne de se donner une armée à sa mesure et à sa guise. Autrement dit, il réarmait l'Allemagne. Il avait ainsi, comme il disait, brisé les dernières chaînes du Diktat de Versailles. Il avait réintégré l'Allemagne dans les rangs des nations maîtresses de leur propre destin. Il avait effacé la honte et l'humiliation de la défaite de novembre 1918.
Quand mon père entendit ce discours à la radio, il tira son grand mouchoir de sa poche et se moucha bruyamment. C'est la seule fois où je l'ai entendu pleurer. Il approuvait à fond cette décision de Hitler, mais il gardait ses distances vis-à-vis des nazis. Il continuait à se méfier de la politique étrangère du régime. Il répétait sans cesse qu'il ne savait pas très bien où tout cela allait mener l'Allemagne.
Peu de temps auparavant, il avait renoncé à toute vie publique, puisque celle-ci était désormais devenue un engagement forcé. Lors d'une manifestation patriotique sur la place du Marché de Wittlich ( Dieu sait qu'il y en avait ! ), à laquelle il participait en tant que président des Anciens Combattants, un jeune voyou en chemise brune avait remarqué, dans les rangs des vétérans, deux Israélites couverts de décorations et bien connus dans la ville.
" Les Juifs n'ont plus de place parmi nous, qu'ils quittent immédiatement les lieux, ou on les chassera ! " cria le jeune homme.
Mon père l'entendit. Il était dans son uniforme de Général-Major de l'ancienne armée impériale et devait faire, ce soir-là, le principal discours du haut du balcon du Rathaus.
" Que personne ne touche à nos deux camarades, ou c'est moi qui quitte immédiatement les lieux ", dit-il tranquillement.
Les nazis furent bien obligés de s'incliner. Mon père fit son discours. Ensuite, il rentra chez lui et nous annonça son intention de ne plus jamais participer à une manifestation en uniforme. Il manqua à sa parole une fois : lorsque la ville fit un triomphe à mon frère Erbo, l'aviateur, qui avait été décoré de la Croix de Fer de chevalier pour ses vingt premières victoires aériennes.
Ainsi étions-nous, et d'une curieuse façon, confrontés pour la première fois avec l'un des aspects les plus odieux du règne de terreur que les nazis avaient établi en Allemagne : le fameux problème juif.
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