ode à la colombe, III
feuille de papier – monument – en toi la colombe tresse son nid
feuille de papier, non pas le marbre, toi seule tu accueilles le rêveur.
ici parmi les échos primitifs, les formes enfouies dans l'argile,
j'assemble rimes et rythmes pour assouvir la faim de ma colombe.
soleil couchant en-chante la lampe, sous son éclairage magique
je bâtis avec les sons des os ensanglantés, un temple.
la parole restée inassouvie à jamais inaccomplie,
rougeoie le volcan de poésie scellé dans la profondeur du bronze.
avec ma plume je suis le chef de mon orchestre silencieux :
avec les gouttes de pluie descendent par le plafond des âmes.
mes paroles déplacent les cerises emmurées dans les arbres
elles affluent sur leurs queues pourpres pour vivre dans les mots.
un ver entre dans le temple. cette magie lui est étrangère.
les véritables cerises devenues paroles le réduisent en sable.
colombe, ma sœur, roucoule : ordonne la venue des cerises,
tu es la mesure et le mesureur, héritier de visions disparues.
ode à la colombe (1955)
Traduit du yiddish par Rachel Ertel | p. 195