■ Le prénom des gens : Chantal, d’une réputation bourgeoise en France au succès en Allemagne.
Baptiste Coulmont est professeur de sociologie à l’université Paris-VIII et auteur de « Sociologie des prénoms » (La Découverte, 2014). Cette semaine, il explique pourquoi « Chantal » n’est plus donné en France mais rencontre un vif succès en Allemagne.
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Parfois, des noms de famille deviennent prénoms. Chantal est, à l’origine, le nom de la baronne Jeanne de Chantal, devenue sainte à la fin du XVIIIe siècle. Mais ce n’est qu’à partir de 1940 que ce prénom se répand. D’origine aristocratique et adoubé par l’Eglise catholique, ce prénom acquiert assez vite une connotation « bourgeoise ». Dans les années 1950, le frère de Chantal, c’est Guy. Mais, horreur, voilà qu’un écrivain humoriste – Jacques Chazot – devient célèbre, en 1956, avec le personnage de Marie-Chantal, archétype de la grande bourgeoise trop précieuse, trop pompeuse, trop parisienne. Au mendiant qui lui dit « Merci », elle répond : « Merci qui ? »
Marie-Chantal, qui n’avait jamais été beaucoup donné à des bébés, continue, jusqu’aujourd’hui, à vivre comme stéréotype. Stéréotype physique, mais également linguistique. La Marie-Chantal a aussi un accent, et elle vous dit « Merde ! », comme le souligne la linguiste Marie-Anne Paveau.
Dès lors, la carrière du prénom Chantal est sur le déclin, pour disparaître des choix des parents dans les années 1980. Mais pas partout : Chantal fait partie des prénoms que nous avons réussi à exporter. Si la Grèce redevient monarchie, elle aura peut-être une Marie-Chantal pour reine (la princesse royale, Marie-Chantal Miller, née à Londres d’un père multimilliardaire américain). Petit succès en Allemagne aussi, où l’on relève tellement de bébés Chantal, à partir des années 1990, qu’un terme émerge : « Chantalismus ».
Certains Allemands seraient atteints de Chantalismus, une sorte de maladie culturelle consistant à donner des prénoms exotiques ou anglo-américains à leurs enfants (Ayno-Sky, Bellafina, Noemy et Checillia…). En Allemagne, donc, le frère de Chantal, c’est Kevin. La connotation sociale du prénom est entièrement inversée. En passant le Rhin, les associations de ce prénom à l’Eglise (version « catho prout prout »), à Paris, à l’aristocratie (Madame de Sévigné était la petite-fille de Jeanne de Chantal)… et à « Marie-Chantal » ont toutes disparu.
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• article du 15/09/2019 dans le Monde
>> https://www.lemonde.fr/m-perso/article/2019/09/15/le-prenom-des-gens-chantal_5510765_4497916.html
Il est donc d'autant plus étonnant de constater que ce livre est la première étude sociologique publiée en France sur ce sujet. Petit sujet, il est vrai, et un peu ridicule. (p.251)