Baudouin Dupret

Il est inutile sans doute de rappeler le lot des châtiments corporels executés au nom de la charia. En tous les cas ce livre oublie totalement cet aspect et donne la priorité au droit des familles et au statut personnel qui s'applique aux musulmans dans le monde.

La famille, lieu d'amour et des soins apportés aux enfants est aussi le lieu de l'autorité patriarcale et le lieu de la transmission des traditions et donc de l'islam pour les musulmans. L'état religieux prend ensuite le relais dans les pays musulmans, mais au delà de la garantie du respect des traditions il doit aussi s'adapter à l'évolution du monde quitte à abandonner certains archaïsmes. La modernité qui fait peur aux islamistes parait en effet aussi inexorable que la charia est immuable. Un état de droit musulman doit donc faire cohabiter la charia avec le droit positif construit par les hommes.

Il en est ainsi depuis 14 siècles, la charia n'est pas suffisante pour répondre aux besoins d'une société qui évolue sans cesse. D'ailleurs le terme charia englobe aujourd'hui des sources construites au fil du temps et n'est donc plus limitée strictement à la révélation du Coran. A certains moments ce sont des pans entiers des codes de lois occidentaux qui ont été intégrés dans les pays musulmans en même temps que la charia permettait d'affirmer politiquement l'identité des nouveaux états musulmans.

Ce livre est un voyage dans les tribunaux du monde musulman. C'est la seule manière de se rendre compte concrètement des difficultés que posent l'application de la charia. C'est un récit de l'ambivalence, de la dualité, des conflits qui vont jusqu'à la sortie de l'Etat de droit comme en Iran. le panorama est assez large pour identifier le contenu pratique de la charia et les problèmes récurrents de son application. Curieusement l'Arabie Saoudite et les pays pétroliers du golfe persique sont absents de ce panorama. Je reste donc avec ma question sur la vision du monde musulman contre l'empire de l'argent et de ses abberations qui rebutent tant les islamistes et presque tout le monde en réalité. Ce récit de la charia passe aussi par l'Amérique du nord et l'Europe et montre comment le droit positif dans ces pays permet en général assez facilement, au cas par cas, de répondre aux besoins de justice des membres des communautés musulmanes.

Le climat du livre n'est donc pas à l'alarmisme mais à la vigilance. Des pays musulmans comme la Tunisie ont éliminé les principales menaces que représente la charia vis à vis de l'égalité des droits des femmes et de la liberté de conscience, mais l'islam reste la religion d'état. Un brusque retour en arrière est toujours possible comme l'a montré la révolution islamique en Iran. Ailleurs on retrouve des obstacles quotidiens par exemple vis à vis du mariage, des divorces des couples mixtes, et de la liberté de conscience des enfants. (liberté de conscience de l'enfant compromise par toutes les religions ou presque). Comme d'autres pays musulmans, la Syrie a émis des réserves sur la liberté de consience au moment de la ratification de la convention internationale des droits de l'enfant de 1989.

Partout il est nécessaire de soutenir les femmes musulmanes dans leur combat pour l'égalité. Mais lorsque certaines soutiennent que la solution à l'oppression est dans le Coran c'est à dire dans la charia, je crois qu'elles se mentent à elles-mêmes. Parfois les obstacles proviennent des autres communautés religieuses. Au Liban en 1998, dans un marchandage intercommunautaire, la communauté chrétienne a choisi de s'opposer à un projet de loi sur le mariage civil. Même posture de marchandage de la part d'un député copte dans les débats parlementaires en Egypte.

Finalement, une fois le droit expurgé des archaïsmes de la charia, il reste la spiritualité et le mythe moderne d'un état de droit qui peut être à la fois bon et juste.