Béatrice DOUVRE Autrui ou la Compassion de l'impossible chez Rimbaud (ÉCLAIR BRUT, 2021)
Une création radiophonique, par Éclair Brut, basée sur une étude intitulée "Le pas de lespérance. Anorexie et orexie dans luvre poétique dArthur Rimbaud" publiée dans les 'Les Cahiers de La Baule' n°67-68 en 1993. Lecture principale : Alice de Pommayrac. Autres extraits : Denis Lavant, Lorànt Deutsch et Bruno Sermonne.
Je suis perdue, les chemins croisés meurent autour de moi, je n'ai plus qu'un amour, blessé, mélancolique. Je veux le merveilleux dans des bras de velours, l'attente brève, l'affolement limpide, et le baiser des lèvres pures.
(" Journal de Belfort")
J’ai baptisé le feuillage, les mains posées sur les perfections éphémères.
Journal de Belfort (1993-1994)
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Mots humides
Ô baiser manquant
Bras qui n’étreignent
Des barques loin du bord
Au ventre ceint de miel
Pour des scories de lune
Marécages
Aux yeux ouverts
Saules bougés d’un vent
Silencieux
Je me rappelle
Une marche au bord des bois voûtés
Avec au coeur une liberté
Des mains de fougères
Aux terminaisons ondoyantes.
‘Sur un sol insensé’, 1994.
à B. H.
Les mains demandaient d’être prises
Qui éclairaient, conscientes, plus que les mots
On eût dit qu’une neige
Embuait les paumes
Soulevait quelquefois un doute transparent
Les mains demandaient, au monde, d’être prises
À la voix déposée, au souffle qui maintient
Mais le temps ne les touchait pas
Qui les tenait ardentes près de nous.
‘Soleils courts’, 1991.
L’été nocturne
Dans les herbages jaunes de cet été
Te souviens-tu, nocturne était notre tristesse
Cet été-là, au baiser de la boue
Au chant furieux mêlé au rien
A ces palais de feuilles tombées irrévélées
Et c’est là que ta voix se posait, tremblant
Sous mille fleurs conquises des arbres éternels
S’émeuvent autour de toi ces fleurs qu’on dit sans nom
Mais les fleurs ont un nom mais ta voix s’y absente
Ces fleuves labourés de barques qui s’achèvent
Perdues merveilleusement sur l’écume étagée
Des accords se poursuivent en leur exil noir
Sur ces eaux si amères où je parle en ton nom.
J'ai pris tes mains de silencieux, et j'ai fermé ta corolle, j'ai louangé ton front secret.
'Journal de Belfort, 1993-94'
p. 171
Au commencement regard, mon amour j'aimais
La clarté, tiède éclose un matin à tes yeux,
Ma barque ivre de nuit malgré l'appel du port.
Les fileuses
Des mains brunes ce soir ont recueilli
Longuement l'eau patiente du soir
Du vent passait
Dans le vent des doigts
Amers des fileuses
Et au-devant
Les troupeaux sont la pierre même
Étrangement
Debout dans la paille limpide
Venue
Des mains fidèles des fileuses
Au front de vent
Écaille brouillée de pierre blanche…
Écaille brouillée de pierre blanche. Vol arrêté au-dessus du monde, c’est un instant d’éternité, dans cette chambre, d’un autre siècle ; un instant, la vie illuminée comme par l’odeur, quelquefois, d’un parquet, qui remonte. Le même lit, la même toile, mais la fenêtre close, le même vrai lieu, d’errance en moire, de crime en oiseau. Dehors est doux dans le tintement des gouttes claires, malgré les derniers noirs, malgré le sanglot profond, scellé, tel un pépin d’orange.
Étrangère, native des anges las, je navre les regards.
L’on me vêt de feuilles, de forêts, de virginalités.
La confiance m’éclaire maintenant et me porte ; je danse sur des rythmes anciens, je m’épuise de semences mortes comme des pièces d’argent semées sur l’asphalte.