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Citation de Aproposdelivres


(début du livre)
SON ESPRIT N'ÉTAIT qu'un cri.
Une plainte.
Dans sa tête, elle criait de désespoir, elle hurlait sa rage, sa souffrance, sa solitude... - tout ce qui, mois après mois, l'avait dépouillée de son humanité.
Elle suppliait aussi.
Pitié, pitié, pitié, pitié... laissez-moi sortir d'ici, je vous en supplie...
Dans sa tête, elle criait et elle suppliait et elle pleurait. Dans sa tête seulement : en réalité, aucun son ne sortait de sa gorge. Elle s'était réveillée quasi muette un beau matin. Muette... Elle qui avait toujours aimé s'exprimer, elle à qui les mots venaient si facilement, les mots et les rires...
Dans l'obscurité, elle changea de position pour soulager la tension de ses muscles. Elle était assise par terre, adossée au mur de pierre, à même le sol de terre battue. Elle s'y allongeait, parfois. Ou bien elle rejoignait son matelas pouilleux dans un coin. Elle passait le plus clair de son temps à dormir, couchée en chien de fusil. Quand elle se levait, elle faisait des étirements ou bien elle marchait un peu - quatre pas et retour, pas plus : son cachot mesurait deux mètres sur deux. Il y faisait agréablement chaud ; elle savait depuis longtemps qu'il devait y avoir une chaufferie de l'autre côté de la porte, à cause de la chaleur mais aussi des bruits : bourdonnements, chuintements, cliquetis. Elle ne portait aucun vêtement. Nue comme un petit animal. Depuis des mois, des années peut-être. Elle faisait ses besoins dans un seau et elle recevait deux repas par jour, sauf lorsqu'il s'absentait : elle pouvait alors passer plusieurs jours seule, sans manger ni boire, et la faim, la soif et la peur de mourir la taraudaient. Il y avait deux judas dans la porte : un tout en bas, par où passaient les repas, un autre au milieu, par où il l'observait. Même fermés, ces judas laissaient deux minces rayons lumineux trouer l'obscurité de son cachot. Ses yeux s'étaient depuis longtemps accoutumés à ces demi-ténèbres, ils distinguaient des détails sur le sol, sur les murs que nul autre qu'elle n'aurait pu voir.
Au début, elle avait exploré sa cage, guetté le moindre bruit. Elle avait cherché le moyen de s'évader, la faille dans son système, le plus petit relâchement de sa part. Puis elle avait cessé de s'en préoccuper. Il n'y avait pas de faille, il n'y avait pas d'espoir. Elle ne se souvenait plus combien de semaines, de mois s'étaient écoulés depuis son enlèvement. Depuis sa vie d'avant. Une fois par semaine environ, peut-être plus, peut-être moins, il lui ordonnait de passer le bras par le judas et lui faisait une injection intraveineuse. C'était douloureux, parce qu'il était maladroit et le liquide épais. Elle perdait connaissance presque aussitôt et, quand elle se réveillait, elle était assise dans la salle à manger, là-haut, dans le lourd fauteuil à haut dossier, les jambes et le torse attachés à son siège. Lavée, parfumée et habillée... Même ses cheveux fleuraient bon le shampooing, même sa bouche d'ordinaire pâteuse et son haleine qu'elle soupçonnait pestilentielle le reste du temps embaumaient le dentifrice et le menthol. Un feu clair pétillait dans l'âtre, des bougies étaient allumées sur la table de bois sombre qui brillait comme un lac, et un fumet délicieux s'élevait des assiettes. Il y avait toujours de la musique classique qui montait de la chaîne stéréo. Comme un animal conditionné, dès qu'elle entendait la musique, qu'elle voyait la lueur des flammes, qu'elle sentait les vêtements propres sur sa peau, elle se mettait littéralement à saliver. Il faut dire qu'avant de l'endormir et de la sortir de son cachot, il la faisait toujours jeûner pendant vingt-quatre heures.
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