De Rip Van Winckle :
Quiconque remonta un jour l’Hudson en bateau n’a pu oublier les monts Kaatskill. Formés d’une branche disjointe de la grande famille des Appalaches, ils dressent, à l’ouest du fleuve, leurs flancs bombés jusqu’à une altitude respectable, dominant la campagne alentour. Chaque changement de saison, chaque altération du temps, et même chaque heure du jour modifie les couleurs et les formes magiques de ces montagnes ; aussi sont-elles considérées par toutes les braves ménagères loin à la ronde, comme d’excellents baromètres. Quand le temps est au beau fixe, leurs versants se vêtent d’azur et de pourpre, et l’on peut voir le soir leurs contours hardis trancher sur le ciel clair. Mais parfois, quand le reste du paysage est sans nuage, elles coiffent leurs cimes de capuchons de vapeurs grises, qui, dans les derniers rayons du soleil couchant, rougeoient et s’embrasent comme autant de couronnes glorieuses.
Au pied de ces montagnes féeriques, le voyageur aura peut-être pu distinguer un léger panache de fumée montant d’un village dont les toits couverts de bardeaux luisent parmi les arbres, à l’endroit précis où les nuances bleutées des pentes se fondent dans le vert tendre de la campagne proche. C’est un petit village très ancien, bâti par une poignée de colons hollandais quand la province venait à peine d’être fondée, vers le début de l’administration du bon Peter Stuyvesant (qu’il repose en paix).
Une langue acérée est bien le seul outil tranchant dont le fil s'aiguise à l'usage.
Dans ''Rip Van Winkle'' de Washington Irving.