Bertrand Dadolle

Dehors, le tonnerre grondait toujours. La pluie lourde et grasse tombait sans accalmie. Nous quittâmes Osti Saint-Crémois à allure mesurée dans une petite fourgonnette bleue de France. Je percevais à travers le rideau d’eau, le vert impérial de la végétation luxuriante. Le lichen abondait sur les écorces tandis que fougères et herbes folles prospéraient à la base de la pléthore de fûts de toutes espèces confondues.
Une vingtaine de kilomètres plus loin, nous nous garâmes sur le bas côté, mîmes les feux en warning, descendîmes une pente abrupte et accidentée, puis pénétrâmes sous la cathédrale de branches et de feuillages qui s’offrit devant nous. À l’intérieur la lumière s’obscurcit ; l’odeur de la chlorophylle était saisissante ; le brouhaha des flèches d’eau qui percutaient les feuillages faisait un barouf impressionnant ; quelque part des bêtes aboyaient.
Nous retenant parfois aux branches, nous marchâmes sur un tapis de feuilles mortes rousses durant une centaine de mètres, lorsqu’enfin, à l’abri dans un ciré que le commandant m’avait prêté, je ne pus que me rendre à l’évidence[...]

Tel un clébard qui doit lever le gibier, mes bouts d’enquête ont toujours flirté à ras de terre. Le pif au sol, le museau dans la chierie, c’est là que je trouvais : des boulettes de shit collées aux moquettes ; de la came cachée dans les chaussettes ; des cadavres de jeune femme ou de vieil homme, étalés, la gueule dégoulinante dans le caniveau ou sur un carrelage blanc ; les corps déchiquetés et éparpillés sur les voies ferrées.
Symptôme de mon métier, mes genoux ont été labourés à force de prosternations et de génuflexions, ramassant les indices au sol, broutant une piste, suppliant un poil, une empreinte ou un grain de poussière sur le plancher, de bien vouloir parler. Bref, une vie de prière qu’un tapis oriental dirigé vers la Qibla n’aurait pas plus jalousé