Avant de connaître Alain, Benoît, Franck, Dominique, Laetitia, Mado et Rémi, Marie-Françoise, Ruslan, Roselyne et Thierry, je n'avais eu vent que de quelques fils de leurs vies. Loin de rencontrer des personnes réductibles à leur fragilité, j'ai rencontré des êtres généreux, viscéralement animés par une foi en la vie et en l'humanité. Je les remercie chaleureusement de m'avoir accueillie, souvent chez eux, et d'avoir accepté de dérouler, avec confiance et authenticité, le fil parfois sinueux de leurs histoires de vie.
Avec la charte des droits et libertés des personnes accueillies, rendue obligatoire depuis 2005 dans toutes les institutions qui les accueillent, la vie amoureuse et sexuelle des personnes en situation de handicap mental, longtemps taboue, est reconnue comme un droit. Cette inscription dans le droit oblige à lever le voile sur une réalité qui n'a pas attendu cette reconnaissance pour exister. Jamais on n'a su empêcher les hommes et les femmes, aussi fragiles soient-ils, de s'aimer, de faire l'amour voire d'avoir des enfants. Ce qui est nouveau, c'est d'accepter comme normal et sain que ces personnes, que l'on considère différentes, aient, à l'instar des personnes dites ordinaires, des désirs et des besoins affectifs et sexuels. Dès lors, la mission des institutions qui les accueillent et les accompagnent ne peut plus être de mettre sous cloche leurs penchants et leurs désirs, mais au contraire de faire en sorte que les personnes en situation de handicap puissent avoir une vie amoureuse la plus épanouie possible, dans le respect de leur histoire, de leurs corps et de leurs partenaires.
On leur a aussi laissé un moment pour dire comment ils ou elles se ressentent en tant qu'homme ou que femme dans un couple. Et on s'est rendu compte que les représentations sont très diverses. Pour certaines femmes, être en couple, c'est juste se tenir la main, se faire des bisous et s'appeler tous les jours. Il y en a qui sont vraiment heureuses et épanouies simplement d'avoir un prénom en tête et une personne qu'elles peuvent aimer à leur manière. Il y en a d'autres pour qui un couple, c'est forcément avoir des relations sexuelles. L'atelier, c'était un moment où on pouvait leur dire : "Vous avez le droit, c'est votre représentation. Vous pouvez être en couple sans vivre ensemble, vous pouvez être en couple en vivant ensemble. (...) On a tous et toutes des représentations différentes de la vie affective et sexuelle. C'est important que vous puissiez le dire et vous sentir à l'aise avec ça."
J'ai des séquelles de mémoire, et je peux pas faire certaines choses comme conduire. Mais je vis avec ce handicap. Avec la volonté de continuer et d'aller de l'avant. Et puis, j'ai réalisé mon rêve d'être maman.
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Mes vœux ont été exaucés. Delphine est devenue tout ce que j'aurais voulu qu'elle soit. Elle a aussi passé son permis parce que je voulais pas qu'elle soit comme moi. Moi, je ne conduis pas et je me suis toujours dit que dans la vie, si t'as pas de voiture, t'as pas de travail, alors je lui ai payé son permis.
Par contre, je voudrais pas qu'elle m'apprenne des choses. J'ai l'impression de pas être utile, quand c'est elle qui m'apprend des choses. Ça me plait pas. C'est plus à moi en tant que mère de lui apprendre des choses. Un jour, elle était jeune, elle était encore à la maison et je lui avais dit : "Inverse pas les rôles. C'est moi la mère. Tu feras ce que tu auras envie quand tu seras chez toi."
Aujourd'hui, elle prend sa vie en main. Je suis heureuse pour elle. Je suis plus derrière elle.
Notre rôle, c'est d'abord de les écouter attentivement, et ça, tout le monde peut le faire, qu'on soit gêné ou à l'aise avec ces questions de sexualité. On essaie de garder une distance, de ne pas y mettre trop de nous, de notre façon de voir les choses.
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Moi, je ne suis pas d'accord avec le fait que ce soit toujours la femme qui fasse la vaisselle, mais je ne vais pas arriver en leur disant : "Voilà, ça fait trois jours que je viens et trois jours que c'est Madame qui fait la vaisselle. Tu vas t'y mettre aussi." Surtout pas. C'est peut-être leur fonctionnement de couple. On ne peut pas non plus dire : "Elle a trois partenaires, ce n'est pas respectueux." On ne peut pas juger de ça. On doit juste s'assurer qu'il y a du consentement et des protections et leur donner des conseils et des moyens pour que ça se passe au mieux dans les conditions qu'ils ont choisies.
Priscilla : J'ai 31 ans, je suis aide-soignante diplômée depuis 2005 et j'ai commencé à travailler à 19 ans. Ma maman aussi était aide-soignante. Et moi non plus je n'étais pas prédestinée à le devenir.
En grandissant, je me suis rendu compte que ma mère a toujours tout fait pour moi. Que ce qu'elle pouvait m'apprendre, elle me l'avait appris. Des choses qui peuvent paraître anodines : faire cuire des pâtes, préparer à manger. A l'adolescence, on grandit, le corps change, j'ai pu compter sur elle pour m'expliquer, j'ai pu me confier à elle. Comme tout parent, elle m'a apporté de l'amour, du soutien, elle a été capable de se priver pour moi, pour que je sois heureuse. Elle a toujours tout fait pour que j'aie une vie comme tout le monde.
Si, au quotidien, chacun bricole un système où il essaie de conserver ou reconquérir le maximum de liberté, beaucoup reste à penser et à inventer collectivement pour que notre société soit à la hauteur des ambitions de la loi du 11 février 2005. À commencer par la formation des personnes en situation de handicap qui ne bénéficient pas toutes d’un accompagnement administratif, juridique et humain qui leur permettrait d’être sereines face à la complexité du statut et du rôle d’employeur.
Pendant longtemps j'ai pensé que c'était moi qui était fragile. Mais je me suis aperçue que ce sont les situations qu'on traverse qui rendent fragile.
La première chose que je leur dois, c'est une écoute.