ELLE m'y a guidé. Aujourd'hui les conversations sont fortes et enfumées, les voix gutturales et graves. Je sens une émotion lourde. Malgré moi, je m'y immisce.
C'est simple car si l'aveugle ne voit pas, on ne voit pas l'aveugle non plus. C'est comme cela.
On peut lui reprocher tous les défauts de la terre, mais il s’est mis une limite à ne jamais franchir dans l’acceptable pour sa conscience. Jamais il ne touchera aux filles et elles auront à boire et à manger. Ce qui leur arrive par la suite il ne veut pas savoir, ce n’est plus son problème. Il touche son fric, il oublie et passe à autre chose. Il sait que c’est sans doute très con, mais cela lui donne l’impression de conserver un soupçon d’humanité. Il est marchand, pas barbare.
- Votre amabilité me touche Madame Seznec mais au cas où vous ne l’auriez pas noté, j’ai du mal à y voir clair dans ce fatras, ironisais-je.
- Ne jouez pas au martyr. Vous êtes jeune, en bonne santé... de moins en moins d’après ce que je vois, et vous avez toujours deux bras et deux jambes. Prenez un chien, cherchez une copine, j’en sais rien, mais faites quelque chose. Deux yeux en moins ce n’est pas la fin du monde !
Péremptoire la mamie. Rien à rajouter...
Mon commissaire avait été compréhensif, limite sympa en me forçant à prendre un congé sans solde illimité. "Reviens quand tu veux, quand tu iras mieux, quand tu pourras..." m’avait-il dit d’un ton mi-désolé mi-inquiet. Aller mieux... Était-ce même possible ? Et pour quoi faire. Je m’en foutais du mieux, je cherchais désormais le pire.
Ce job est vraiment trop facile, pense-t-il. Ils ne peuvent pas mettre un flic à chaque coin de rue, derrière chaque fille. Le filon n’est pas près de se tarir.