Haïr le visage de ses enfants, lui rappelant, à vie, leur père. Haïr les blagues qu’il leur avait apprises. Haïr les rires. Haïr ces photos sur les meubles, ses cheveux en bataille, ses tatouages. Haïr les souvenirs. Haïr ses amis qui appellent pour apporter du réconfort. Haïr le téléphone qui sonne. Haïr ce t-shirt XXL dans lequel elle se glissait pour dormir. Haïr toutes ses fringues, conservées sur les étagères, pliées. Être incapable de les toucher de peur d’y attraper son odeur. Haïr s’habiller, se maquiller, se faire belle. Pour qui ? Pour quoi ? Haïr tout homme osant lui offrir un sourire. Les pensées positives. Haïr les projets, les vacances scolaires, les RTT. Haïr les fêtes de fin d’année, les anniversaires. Haïr l’envie de se flinguer et la volonté de ne pas le faire.
Et puis les grands yeux turquoise de Marie lui étaient tombés dessus. Comme ça, lourdement. Ça l’avait aplati au sol comme un géant écraserait un bonhomme de papier. Aujourd’hui encore, lorsqu’il les voyait, ses épaules ne pouvaient s’empêcher de des-cendre de quelques centimètres. Il avait mis plusieurs jours avant de se rendre compte qu’il y avait un corps autour de ces yeux. Des cheveux blonds, bouclés jusqu’aux épaules, un nez légère-ment pincé, une bouche qui avait été dessinée dans le seul but de pouvoir rire toute la journée et deux petits seins qui semblaient déjà avoir compris qu’ils dirigeraient un jour le monde.
Et il avait vu l’amour. Le cœur de l’homme. Sa rencontre, sa livraison à l’autre, sa délivrance et sa mise à nu. Il avait vu des êtres s’aimer pendant des jours, pendant des années. Il avait vu leurs joies, leurs tâtonnements. Il avait vu les débuts, les regards brillants, les voix incertaines, les mots parfois trouvés, les mains qui se croisent enfin, les lèvres qui se découvrent pour le plus grand des délices. Il avait vu combien Deux est immortel quand Un est éphémère.
Tout ceci n’est qu’une histoire de fantômes, vous savez. D’esprits, bons ou troubles, d’âmes perdues. Je suis l’une d’entre elles. C’est moi l’homme que vous voyez là-bas, chanceler dans le blanc. Une poussière sombre sous le mariage machinal du vent et du froid. Devant, derrière, autour, tout est inatteignable. C’est un monde dans le monde, et il n’a rien, absolument rien en commun, avec ce que vous avez déjà connu.
Le hasard est un chien. Il aboie un jour pour découvrir un trésor sous nos yeux, et le lendemain, sans prévenir, mord jusqu'au sang.
La Mongolie se présentait à eux. Majestueuse, intemporelle, d’une beauté violente.