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Citation de dourvach


Le Livre... Jadis, au petit matin de mon enfance, à la première aube de ma vie, sa douce lumière éclairait l'horizon. Il reposait glorieux sur le bureau de mon père qui, plongé en lui, frottait en silence, patiemment, d'un doigt huméctéde salive le dos des feuillets jusqu'à ce que le papier aveugle s'embrumât, se brouillât, réveillât le troublant pressentiment. Soudain, le papier tombait en miettes, dévoilant un bord ocellé, et mon regard défaillant glissait dans le monde vierge des couleurs divines, dans l'humidité merveilleuse de couleurs limpides. Ô écailles brusquement tombées des yeux, ô invasion de clarté, ô doux printemps, ô père...
Parfois mon père se détachait du Livre et s'éloignait. Je restais seul, alors le vent traversait les pages et les images se levaient.
Et quand je le feuilletais, un frisson parcourait les colonnes du texte, laissant s'échapper d'entre les lettres des vols d'hirondelles et d'alouettes. Une page après l'autre s'envolait ainsi, s'éparpillant, se fondant doucement dans le paysage qu'elles imprégnaient de couleurs. Parfois le Livre dormait et le vent soufflait sur lui doucement comme sur une rose à cent pétales, ouvrant la corolle, ouvrant une à une les paupières, écartant un à un les pétales de velours, aeugles et endormis, qui dans leur noyau cachaient la graine d'azur, la moelle chatoyante, le nid piaillant de colibris.

(Bruno SCHULZ, "Le Livre", premier texte du recueil "Le sanatorium au croque-mort" ("Sanatorium pod Klepsydra", 1937) - traduit par Thérèse Douchy, éditions Denoël, 1974, pages 7-8)
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