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Critiques de Catherine Fay (118)
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La Nuit du bûcher

Après le magnifique billet d'Eduardo (Creisifiction), j'ai su que je lirai ce roman sur l'Inquisition : Une religion qui veut s'imposer comme moyen de gouverner le monde en tuant ceux qu'elle perçoit comme « hérétiques », ça rappelle encore malheureusement des choses aujourd'hui. L'expérience des uns ne sert visiblement pas de leçon aux autres…





Dans "La nuit du bûcher", un carme espagnol vient à Rome pour apprendre à débusquer plus efficacement les hérétiques qui simuleraient leur chrétienté, à mieux les torturer, mieux les convertir (c'est sûr que ça fait envie)… Et mieux les brûler ! Car on ne brûle pas de la même manière un hérétique converti et un non converti - ce dernier aura droit au bûcher de bois vert qui se consume extrêmement lentement.





Notre carme se fait donc une fierté d'apprendre avec les plus grands inquisiteurs afin de pouvoir propager ce savoir chez lui, comme par exemple comment exploiter la jeunesse malléable, les enfants des familles pour dénoncer les parents ou toute parole suspecte prononcée à la maison ou par des proches… L'un d'entre eux n'a-t-il pas fermé ses fenêtres devant le spectacle d'un bûcher ? Hérétique ! La délation est, de manière générale, un devoir pour prouver que l'on est un chrétien zélé pratiquant et non un vague semblant de converti.





Les simples sympathisants de l'Inquisition qui ne se mouillent pas - « Les personnes vivant dans le péché de l'indifférence, en d'autres terme : enclins à l'hérésie » - sont donc tués aussi, mais rassurez-vous ils ont des morts plus douces comme la pendaison. Et puis jamais d'écartèlement c'est interdit, on n'est pas des bêtes… « Nous appliquons consciencieusement ces préceptes de pitié et de compassion ».





L'idée est que « Tant que les hérétiques ne se rétracteront pas, tant que les païens ne se feront pas baptiser et tant qu'il n'y aura pas qu'un seul bercail et un seul berger, il n'y aura pas d'ordre dans toutes ces régions ».





Les livres sont évidemment les premiers craints et sacrifiés, qui permettent aux idées de se diffuser et, surtout, aux âmes libres de réfléchir par elles-mêmes, et donc de risquer de se détacher du dogme auquel on veut les attacher et les soumettre.

« Le véritable danger ce sont les livres (…). La méthode souveraine dans le combat contre l'hérésie était de réduire à néant tous les livres, auteurs et lecteurs louches parce qu'il n'y aurait pas d'ordre dans le monde tant que vivraient des hommes qui feraient l'expérience de penser par eux-mêmes. »

Et si pour arriver à cela, les bûchers individuels ne suffisent plus, qu'à cela ne tienne : il faudra interner les gens à grande échelle, pour les brûler par milliers…





Alors très vite, à travers les mots que fait prononcer Sandor Marai à son évêque pour défendre l'Inquisition de l'Eglise, le lecteur attentif percevra non-seulement, dans un premier temps, les failles et l'inhumanité d'un raisonnement poussé à l'extrême, que l'on retrouve aujourd'hui dans d'autres religions.





Mais, dans un second temps, il y percevra aussi une dénonciation plus large des méthodes et arguments avancés, qui ont pu être utilisés plus tard par d'autres dictatures politiques : En faisant parler de grands inquisiteurs, Sandor Marai suggère des superpositions de lieux, de temps et d'agissements, créant une réflexion plus vaste. La délation, les rafles, les corps brûlés, ça ne vous rappelle rien ? Voilà à quoi mènent toujours ces raisonnements et arguments, nous avertit-il de manière plus ou moins subliminale.





« Alors oui, avec le temps, il deviendra réellement un chrétien, c'est à dire une créature qui ne pose pas de questions et ne discute pas, parce qu'il a la certitude que l'univers de la chrétienté est le plus parfait de tous. C'est pourquoi il est souhaitable d'exclure tous ceux dont on peut supposer que le doute est resté vivant dans leur âme. Viendra un temps où il faudra enfermer les suspects en groupe, sans discernement, sans tenir compte de l'individu. »

« Arrivera une époque où l'on regroupera sans ambages ni perte de temps tous ceux qui seront soupçonnés d'hérésie à cause de leur origine ou pour d'autres raisons, dans des champs clos par des barrières de fer, pour des périodes plus ou moins longues. » « Quand le temps sera venu, il enverra les coupables non pas par un mais par groupes entiers, plusieurs centaines d'hommes à la fois, dans l'autre monde. »





Roman réflexion plus qu'émotion, il m'a peut-être manqué, pour en garder un plus grand souvenir à terme, de m'enflammer pour un personnage ou une intrigue. A la place, l'auteur instaure un léger suspense bienvenu sur l'issue de ce récit, et parvient à ne pas nous rendre antipathique son carme inquisiteur. D'une grande fluidité, ces 280 pages ont par ailleurs le bon goût de nous épargner nombre de détails, descriptions et pratiques de cette période. Vous n'y trouverez donc pas la reproduction de grands procès à sensation, ni de scènes insoutenables de torture. Mais en se focalisant sur celle emblématique du bûcher, la logique qui y mène ainsi que les méthodes utilisées pour y parvenir, l'auteur génère une réflexion qui demeure malheureusement universelle et intemporelle : A cette logique inquisitoriale, sous les mots des hauts dignitaires de l'Eglise qui la défendent et la propagent, se superposent les logiques, justifications et modèles d'autres types de dictatures comme par exemple les exterminations nazies, ou encore les extrémistes religieux actuellement. « Dieu a besoin du Diable ». A travers sa plume et ses tournures, Sandor Marai parvient même à nous transmettre le sentiment de sa propre ironie à travers les arguments qu'il prête aux inquisiteurs (comme dans l'extrait que j'ai posté à part en citation). Il tente ainsi de démontrer ce que l'on sent être pour lui la bêtise des arguments d'autorité de ceux qui exercent le pouvoir.





Le carme narrateur sera-t-il satisfait de sa formation romaine, ou le fait d'approfondir cette doctrine et de pousser ses idées au bout du raisonnement lui en fera-t-il voir les limites…? L'homme est-il fait pour être un mouton, ou un être doté du libre arbitre…?





En écrivant cette lettre au nom de son personnage, Sandor Marai écrit en réalité un réquisitoire contre l'inquisition et tous les pouvoirs totalitaires, qui reprennent à chaque fois les mêmes arguments d'autorité pour justifier leurs propres horreurs, copiées-collées.





« Car maintenant il ne s'agit pas de savoir qui a raison. Maintenant ce qui compte, c'est de savoir qui possède la force de faire croire au monde sa propre vérité. »



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Dernier jour à Budapest

Ma passion pour la Hongrie a commencé il y a près de dix ans grâce à un roman de Sandor Marai. Depuis, après un voyage à Budapest et plusieurs autres romans de cet auteur et d'autres, cette passion n'a cessé de croître. Ainsi, la lecture de Dernier jour à Budapest s'inscrit dans cette lignée. Cette fois-ci, Marai livre un vibrant hommage à un autre auteur hongrois, Gyula Krudy. Il ne le nomme jamais directement mais c'est assez clair : il l'appelle Sinbad, du nom d'un personnage récurrent de ses nouvelles. Je ne connaissais pas Krudy, je n'ai jamais lu de ses oeuvres. Pour l'amateur de littérature hongroise que je suis en train de devenir, le nom est bien paru à quelques reprises mais je ne m'y étais pas encore mis. Au sortir de ce roman, Dernier jour à Budapest, je ne suis pas certain avoir acquis une très grande connaissance de Krudy. C'est un dandy, un homme qui aime les plaisirs de toutes sortes, mais qu'est-ce qui le distingue ? Qu'est-ce qui le motive à écrire ? Où trouve-t-il l'inspiration ? En quoi son oeuvre est originale ? Plutôt, le lecteur a droit à son flânage, le temps d'une soirée, d'une nuit. Au lieu d'aller acheter une robe pour sa fille, comme il l'a promis, il se laisse constamment distraire, entrainer d'un café à un club. Et il recommence.



Toutefois, malgré cette légère déception, le roman a réussi à me captiver. Marai ne voulait pas rédiger une biographie, son but était tout autre : faire revivre une époque à travers la lentille d'un de ses personnages littéraires parmi les plus originaux, intéressants. Et c'est tout un exploit. Il a réussi à continuer à me faire rêver de la Hongrie et de sa capitale. Grâce à Dernier jour à Budapest, j'ai pu déambuler avec Sinbad dans une ville qui me devient presque familière, empruntant les mêmes rues, les mêmes passages, le même pont, me rendant dans les mêmes quartiers, rencontrant des amis dans des cafés, etc. Comme j'aurais aimé flâner en compagnie de Krudy ! Aussi, j'ai rencontré une quantité incroyable d'auteurs et d'artistes en tout genre. Même si la plupart m'étaient inconnus, ça n'a pas dérangé. Bien sur, il y a plusieurs notes de bas page (tant de l'éditeur que de la traductrice) ainsi que, à la fin, une liste des écrivains cités. Et, malgré tous ces noms de personnages et de lieux, tous aussi improbables les uns que les autres, je ne me suis jamais senti perdu. Au contraire, j'avais l'impression de constamment découvrir. Tellement que je referme ce roman avec une longue liste d'auteurs et de livres à lire. Trop longue, sans doute, mais qu'importe.



Encore plus, par moment, j'avais l'impression de me sentir Sandor Marai qui, lui-même, se prenait pour Gyula Krudy. Et, avec eux, j'éprouvais une nostalgie pour une époque révolue, un monde magique. Quel émerveillement !
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Libération

Sándor Márai nous raconte une très belle histoire, qui a des parfums d’autobiographie tant il réussit à communiquer au lecteur l’atmosphère étouffante de ce huis-clos, pendant lequel une quarantaine de personnes se retrouve dans une cave, sous les bombes communistes, tandis que les derniers nazillons continuent à chasser le juif avec des délateurs toujours actifs.



On voit évoluer les personnages, les espoirs que certains mettent dans la libération par les communistes, les nostalgiques du nazisme, chacun tentant de de survivre s’entraidant au départ, puis la méfiance émerge… On retrouve tous les types d’individus qu’une société peut rencontrer.



« Que se passe-t-il dans l’âme des hommes à présent qu’ils ont perdu ce qui fait d’eux des êtres humains? Que se passe-t-il dans l’âme d’un être resté fidèle à un pacte implicite et explicite entre les hommes et la solidarité, dans un monde qui renie toute loi humaine et qui, pris d’une rage insensée se détruit? » P 49



Elisabeth est une héroïne passionnante, on la voit évoluer dans ses gestes mais aussi dans sa pensée, la manière dont elle écoute les autres, le raisonnement que s’affine de plus en plus. Elle résiste car elle doit survivre et retrouver son père qui se cache, emmuré vivant dans l’immeuble d’en face.



Sándor Márai nous livre un dialogue extraordinaire entre Elisabeth et un autre « réfugié » de la cave, où il est question d’amour, de haine, de folie entre autres, et le mot libération qui sert de titre au roman est à prendre dans tous les sens du terme: se libérer de l’emprisonnement dans cette cave où l’hygiène et la nourriture font défaut, se libérer du joug des nazis et de leur sympathisants hongrois, se libérer aussi de l’enfermement psychologique dans des idées toutes faites et qu’il convient de nuancer. La libération vient-elle de l’extérieur ou de l’intérieur? Les Russes vont-ils libérer ou vont-ils enfermer davantage?



Je ne connaissais pas cet auteur au destin tragique: antifasciste dans une Hongrie proche des nazis, puis mis au ban par le gouvernement communiste, il a dû s’exiler en 1948 et s’installer en1952 aux USA où il se suicidera en 1989, ce qui fait penser bien-sûr à Stefan Zweig. Son style m’a beaucoup plu, ainsi que sa manière de penser, d’analyser de l’intérieur un personnage féminin subtil, tout en finesse auquel je me suis beaucoup attachée.



Très belle découverte, due complètement au hasard qui me donne l’envie d’explorer l’œuvre de l’auteur. J’espère vous avoir donner envie de lire ce roman ou un autre de Sándor Márai qui est devenu un auteur culte de la jeunesse hongroise et dont la réputation s’étend au monde entier.
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La Nuit du bûcher

Je n'aurais sans doute jamais chroniqué ce roman de Sandor Marai La nuit du bûcher si je n'avais pas lu l'excellente critique qu'en a fait Creisification sur Babelio. Talent méconnu de la littérature de la Mittleuropa, Sandor Marai mérite qu'on le lise à plus d'un égard. Il a eu en effet le triste privilège de connaître à travers l'histoire tourmentée de la Hongrie, les trois régimes totalitaires qui ont marqué le XXème siècle à savoir le fascisme italien le nazisme et le communisme. Deuxième raison pour lui rendre hommage, c'est une plume remarquable, incisive, subtile à tel point que j'ai relu en diagonale le roman pour mieux en apprécier les effets de style.

Ce roman contrairement à d'autres de ses écrits prend ses distances par rapport à L Histoire contemporaine car il nous transporte à Rome en 1598. L'Inquisition fait rage. On brûle allègrement les hérétiques. Et nous allons suivre les pérégrinations d'un jeune carme espagnol, mu par le désir de parfaire son expérience dans l'art de débusquer les hérétiques et leur faire subir le châtiment qui convient. L'un des moyens les plus "en vogue" en Italie est de faire "rôtir" les malheureux condamnés sur un bûcher sur la place de Campe de' Fiori, lors d'une "justizia", un vrai spectacle romain suivi avec ferveur aussi bien par les bourgeois que le petit peuple de Rome !

Cette peinture de la Rome inquisitoriale permet à l'auteur de rappeler les mécanismes à la base de tous les régimes totalitaires qu'ils soient d'origine religieuse ou politique :suspicion généralisée, pratique de la délation y compris au sein de la famille, condamnation de la littérature et de tout ce qui touche à la liberté de pensée et d'expression sans oublier bien sûr la pratique de la torture censée favoriser l'aveu d'une culpabilité qui ne fait aucun doute... pour les tortionnaires en tout cas.

J'ai vraiment apprécié la façon dont l'auteur nous fait entrer par glissements successifs dans la pensée des "gardiens de la Volonté Divine" - les hommes d'Eglise chargés de l'Inquisition - Il nous permet ainsi de suivre leurs grands discours où ils se coupent peu à peu de la réalité et s'enferment dans une logorrhée proche du délire. J'ai senti planer ainsi en arrière fond l'ombre de tous les "grands fous" de l'Histoire du XX ème et du XXI ème siècles.

Face à cette machine à broyer les corps et les esprits, un beau personnage de résistant : un prêtre apostat Leornardo qui va jusqu'au dernier moment refuser d'embrasser la Croix et offrir à ses bourreaux , son indifférence sans faille voire son mépris . L'acmé du roman sera pour moi cette magnifique scène d'une intensité poignante, où il renverra aux spectateurs l'image du Christ torturé sur la Croix. Temps suspendu, foule figée avant que ne s'abattent sur le supplicié les cris de haine... Derniers moments du supplicié qui ne regardera jamais vers le Ciel et restera seul dans sa solitude et son désespoir...

Dernier point sur lequel je voudrais insister c'est la lecture constamment décalée que l'on fait puisqu'à chaque instant le récit admiratif que le jeune carme nous offre est battu en brèche par la lecture critique que nous faisons de cette sombre période de notre Histoire européenne.

Cette contre-lecture est jouissive et c'est en partie pour cette raison que j'ai relu le roman en diagonale afin de mieux savourer tous les passages où à coup d'humour noir et au second degré l'auteur s'en donne à coeur joie !
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La Nuit du bûcher

Fin du 16ème siècle en pleine Inquisition, un jeune carme espagnol quitte sa ville Avila avec d’autres pèlerins pour rejoindre Rome. Il a pour but de parfaire ses connaissances en matière de lutte contre les hérétiques auprès des Italiens. Il est reçu par le consulteur Robert Bellarmin qui accepte qu’il soit initié aux pratiques des hérétiques pour mieux les reconnaître et les punir, c'est-à-dire majoritairement les envoyer au bûcher…La force et l’intérêt de son récit c’est de décrire de l’intérieur l’état d’esprit de ces hommes, aveuglés par la foi, persuadés d’agir pour le bien de ceux qu’ils qualifient d’hérétiques, décrivant en toute bonne foi les tortures infligées pour les faire avouer, les procès expéditifs puis l’exécution en place publique. Aucune haine ne les anime, simplement une conviction d’agir pour sauver le monde et les hommes d’un fléau. Et pour cela tous les moyens sont bons : dénonciations, trahisons, enfants incités à dénoncer leurs parents, les voisins, les familles, tous doivent signaler le moindre faux pas, la moindre phrase suspecte…Un climat que l’on peut retrouver dans toute dictature basée sur la parole unique et la terreur. C’est là que l’histoire de Sándor Márai qui a connu le nazisme et le communisme rejoint celle de L’Inquisition car les mêmes mécanismes sont en œuvre.



Mais à la fin de son séjour notre carme va suivre la dernière nuit d’un condamné resté célèbre dans l’Histoire, Giordano Bruno. Et là, face à cet homme libre, que huit années de procès n’ont pas fait renoncer à ses convictions, il va être saisi du sentiment de l’inutilité et peut-être de la monstruosité de sa tâche…renforcée par une dernière conversation avec Robert Bellarmin et la lecture du « Manuel de l’Inquisiteur » de Nicolau Eymerich. Jetant le livre à l’eau, il choisit l’exil.



Livre puissant qui souligne l’extrême cruauté des hommes envers leurs semblables particulièrement lorsqu’elle sert une cause divine ou politique, en fait un pouvoir absolu qui s’arroge un droit de vie ou de mort sur tout individu, utilise la censure car les livres sont plus dangereux que les armes et la croyance beaucoup plus utile que la connaissance, et règne par la division. Et malheureusement toujours terriblement d’actualité.

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Dernier jour à Budapest

Daté de 1940, le roman a été rédigé dans une époque troublée, celle de la seconde guerre mondiale, pendant laquelle la Hongrie s’est trouvée dans le camp fasciste, dirigée depuis les années vingt par Horthy, qui a instauré un pouvoir autoritaire et conservateur. Márai, qui a commencé à publier très jeune, avec un grand succès, a adopté pendant cette période, la posture de l’exil intérieur.



Dernier jour à Budapest prend toute sa signification dans ce contexte : dédié à un grand écrivain hongrois de la génération précédente, Gyula Krúdy mort en 1933, qui a connu la Hongrie d’avant l’époque terrible dont date le livre, le roman est autant un hommage à Krúdy, que le rappel nostalgique, mi-remémoré, mi-rêvé d’un monde qui n’existe plus et qui se pare des couleurs chatoyantes d’un passé mythique et idéal. Le titre du livre résume très bien cette double thématique : le dernier jour de la vie de Krúdy, mais aussi le dernier jour d’une culture, d’art de vivre propre à Budapest, à la Hongrie.



Il s’agit donc de conter, ou plutôt d’inventer, le dernier jour de la vie de Krúdy. Un jour pendant lequel il va déambuler dans la ville, en parcourant les lieux qui lui sont chers, et en évoquant les souvenirs. Un lâche prétexte : Krúdy, en mal d’argent, comme il l’a toujours été, doit trouver une somme importante pour acheter une robe pour sa fille. Mais on ne se refait pas : il ne peut s’empêcher de festoyer, passer du temps avec ses amis, de jeter la somme péniblement gagnée par ses écrits par les fenêtres, de faire le grand seigneur. Dans ses déambulations, la ville de Budapest revit à l’époque de sa splendeur, les lieux, les gens de lettres et les habitudes littéraires passent, en vrai ou en souvenirs de Krúdy. Une façon de faire ses adieux, un manière de bilan aussi sans doute.



Mais au-delà, c’est aussi une sorte d’adieu fait par Márai à sa ville, à son pays. Parce qu’il ne trouve plus ce monde qu’il aimait dans la nouvelle réalité hongroise, et aussi, même s’il ne le sait pas encore, qu’il sera moins de dix ans après obligé de quitter physiquement cette ville et ce pays. L’exil intérieur sera suivi d’un exil réel et irrévocable. Cela donne un côté poignant à ce livre.



Je me suis lancée dans cette lecture parce que j’aime beaucoup les livres de Gyula Krúdy et que j’étais curieuse de voir ce que Márai pourrait faire de cette figure. Je trouve qu’il a parfaitement reconstruit l’ambiance des romans de Krúdy, son style, les errances de ses personnages, la nostalgie d’un monde en train de finir, le doux-amer des souvenirs plus réel que la réalité en train de se faire, le rôle central des mythes. C’est peut être un peu plus amer, et un peu moins lâche que la trame des romans de Krúdy, dont les fins sont souvent comme délavées, dissoutes.



Je ne sais pas comment ce livre peut être ressenti par des lecteurs qui ne connaîtraient pas du tout Krúdy et la littérature hongrois e, car il y a beaucoup de références aux auteurs et aux livres, mais pour ma part j’ai apprécié cette déambulation rêveuse et triste dans un monde en train de finir.
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Les étrangers



Sandor Marai nous offre avec Les étrangers un de ces plus beaux textes.

C'est le récit à la troisième personne d'un jeune hongrois docteur en philosophie qui arrive à Paris à la fin des années 20, après avoir passé une année à Berlin où il n'a pas fait grand chose.

Le livre est composé de deux parties, la première étant consacrée à sa vie dans le Paris des années folles où il croisera de nombreux artistes, étrangers pour la plupart d'entre eux. Notre personnage, dont nous ne connaîtrons ni le nom, ni le prénom, a rêvé de cette ville sans trop savoir ce qu'il était venu y chercher. Il vit au jour le jour dans des hôtels miteux, sans aucun projet, ni recherche d'activités. Il ne semble pas avoir prise sur les évènements et les rencontres. Il ne sait pas ce qu'il fait là mais il sait qu'il ne veut pas retourner en Hongrie, ni donner de nouvelles à sa famille.

Il est entre parenthèses, préoccupé essentiellement par la gestion de son maigre pécule dont il ne reste rien à la fin de la première partie.

Il se fait quelques vagues relations avec lesquelles il arpente les rues et les cafés de la capitale et rencontre une jeune femme, Eva, dont les mains, qu'il a l'impression de reconnaître, l'attirent, comme les siennes, il l'apprendra plus tard, ont attiré Eva.

Ce sont ces mains d'ailleurs qui, dans la deuxième partie, l'agrippent pour le faire monter dans un train en direction de la Bretagne.

Changement de décor : nous sommes dans le Finistère, en bord de mer, et le couple nouvellement formé vit une étrange liaison. Les corps se parlent dans des décors incandescents mais les mots sont absents.

Cet épisode fait l'objet des plus belles pages du livre : description de la maison des pêcheurs où ils vivent, fêtes champêtres, feu de forêt, journées sur le bateau de pêche ou baignades dans l'océan. Nous ressentons le ravissement de Marai découvrant cette nouvelle contrée.

Etranger à lui-même, aux autres, à sa maîtresse, au pays, le jeune hongrois comprendra qu'il est temps de retourner chez lui.

Magnifique roman d'apprentissage où le cheminement du personnage passe par l'inaction, le déphasage, l'absence à soi et aux autres.

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La Nuit du bûcher

Sándor Márai est sans aucun doute, avec Stefan Zweig, Joseph Roth et Arthur Schnitzler, un des plus grands écrivains issus de cette effervescence culturelle et artistique qui aura traversé la Mitteleuropa au début du XXe siècle. Témoin direct comme eux de la disparition de l'Empire austro-hongrois et, plus particulièrement comme Zweig et Roth, de la montée des totalitarismes, après avoir connu le succès et la reconnaissance de ses compatriotes, Sándor Márai sera lui-aussi contraint à l'exil, son oeuvre condamnée à un long oubli, avant d'être enfin réhabilitée (à titre posthume), reconnue et intégrée au patrimoine littéraire de son pays d'origine, la Hongrie.

Bénéficiant au départ, comme Zweig, d'une éducation bourgeoise (et aristocratique de surcroît, pour ce qui concerne Márai), à la fois cosmopolite, libérale et éclairée, il défendra longtemps un idéalisme dont les référentiels moraux et éthiques sont en train de se désagréger rapidement en Europe («Tant qu'on me laissera écrire, je montrerai qu'il fut une époque où l'on croyait en la victoire de la morale sur les instincts, en la force de l'esprit et en sa capacité de maîtriser les pulsions meurtrières de la horde», écrit-il, par exemple, en 1935).



Avec l'ascension progressive et spectaculaire des régimes fascistes et totalitaires sur une grande partie du continent européen, au fil des évènements dramatiques d'un siècle tourmenté et affichant le même âge que lui (Sándor Márai est né en 1900), son idéalisme, ancré dans de solides valeurs morales et dans la force de l'esprit humain, se verra peu à peu teinter d'un certain pessimisme et scepticisme quant aux capacités de l'homme à maîtriser ses pulsions de destruction.



LA NUIT DU BÛCHER (1974), n'est pas, malgré les apparences, une oeuvre dont les arcanes semblent totalement commodes à pénétrer, y compris par un lecteur avisé, habitué et amateur du genre. Présenté comme un roman historique autour de l'Inquisition à Rome à la toute fin du seizième siècle, rédigé sous la forme d'une longue missive adressée par un jeune carme, inquisiteur espagnol à ses frères condisciples de l'ordre crée depuis peu par St Jean de la Croix et qu'il avait laissés à Avila, d'où il était parti pour un long pèlerinage à Rome afin de venir s'instruire auprès de «l'Office suprême de l'Inquisition », haut-lieu «où on en savait davantage que partout ailleurs », ce récit pourtant tout à fait clair, classique, structuré, à la fois érudit et élégant (saluons au passage la belle traduction de Catherine Fay) risque néanmoins, une fois sa lecture entamée , de susciter très rapidement un vague sentiment de perplexité, voire de frustration chez le lecteur qui s'attendrait à un peu d'action, ou à des vrais récits de procès diligentés par le Saint Office, ou bien à des reconstitutions détaillées d'interrogatoires sous torture, voire pourquoi pas, à quelques dialogues chargés de sous-entendus entre inquisiteurs et hérétiques tout aussi emblématiques que celui pressenti par l'intervention ici de l'hérétique des hérétiques, Giordano Bruno , dont pourtant notre lecteur ayant déjà parcouru plus de deux tiers du volume, et probablement beaucoup moins vaillant qu'au départ, n'entendra en fin de compte le moindre son de voix !

C'est une lecture, de mon point de vue, qu'il ne faut pas balayer trop vite, à ne pas consommer trop «verte», au risque de paraître alors, non pas indigeste, mais tout de même quelque peu insipide...Certes, nous apprenons beaucoup de choses sur le protocole strict régissant la préparation des "giustizie" ("justices", nom donné aux exécutions publiques à Rome) et sur la confrérie chargée de leur encadrement. Néanmoins, il n'y pas d'intrigue à proprement parler, pas de grandes révélations ni de rebondissements spectaculaires, pas de héros clairement identifiables, pas la moindre trace de défiance envers la voix du maître, aucun acte ourdi dans l'ombre, aucun jugement silencieux susceptible de désavouer l'autorité suprême ou la doctrine du Saint-Office !



Sándor Márai, en fin observateur de l'âme et de la psychologie humaine, préfère attaquer le problème du mal par l'angle de la subjectivité de l'inquisiteur. Son approche se fait par le point de vue de l'homme qui a une croyance totale et absolue dans les valeurs qu'il prône et à qui «tout ce que le Saint-Office proclame et accomplit semblait naturel et juste, à l'instar d'un être raisonnable et sain d'esprit qui ne doute pas de la réalité de la nature, de la lumière du soleil ou de l'air».



Arrivé à Rome, notre jeune inquisiteur espagnol sera accueilli chaleureusement au sein de la charitable et sympathique Confraternita di San Giovanni Decollato. "Au couvent de Saint Jean-Décollé, ils attendaient minuit, le moment où arrivait l'émissaire avec la nouvelle qu'à l'aube il y aurait une giustizia sur quelque place publique à Rome et qu'on aurait besoin du travail des confortateurs cette nuit-là. Chacun de ces hommes était un croyant choisi pour sa dévotion. Aucun salaire n'étant attribué à cette besogne de la nuit, c'est gratuitement, avec générosité, qu'ils acceptaient d'accomplir, jusqu'à minuit et plus tard si nécessaire, le grand devoir qui consistait à fortifier l'âme de ceux qui partaient à la mort".

Le jeune carme espagnol (nous ne connaîtrons ni son nom, ni son âge exact) découvrira ainsi, peu à peu, lors d'un séjour fort agréable et instructif le fonctionnement de cette «confrérie charitable aux nobles intentions»!!



LA NUIT DU BÛCHER est généralement considéré comme un réquisitoire d'une grande subtilité contre toutes les formes de totalitarismes et contre l'emprise que ceux-ci sont susceptibles d'exercer sur la capacité de discernement des hommes. Fruit de l'expérience de vie de l'auteur, marqué profondément par la guerre, les régimes totalitaires, l'exil, la pertinence de cette analyse n'est absolument pas à être questionnée.

Il n'est pas nécessaire, semble-t-il, de rappeler qu'au cours de l'histoire de l'humanité aucun système de croyances institutionnalisé n'aura exterminé autant d'êtres humains que l'Eglise catholique. Les parallélismes idéologiques avec les systèmes totalitaires y sont nombreux : la déshumanisation de l'hérétique systématiquement recherchée, ce jusqu'au pied du bûcher, l'annihilation de toute volonté de résistance, les purges à grande échelle, la promotion de la délation, la condamnation de tout esprit critique et de toute diffusion d'un savoir s'opposant à la pensée unique... Sándor Márai nous rappelle d'ailleurs à propos de ce dernier point, en note de bas de page, le célèbre mot prononcé par Le Cardinal de Retz : «Les hommes ne croient rien tant que ce qu'ils ne comprennent pas». le message est clair : Circulez ! Il n'y a rien à comprendre, il suffit d'y croire !



Notre carme espagnol annonce d'entrée de jeu qu'il écrit sa lettre depuis Genève, en Helvétie. Pourquoi à la fin de son séjour romain, a-t-il décidé de ne plus rentrer en Espagne ? Serait-on en mesure d'espérer qu'un réveil de conscience sonne enfin pour notre "héros" inquisiteur ? A partir de quel moment le germe d'une dissidence peut s'instiller dans un esprit en état de «croyance absolue» ? Cesserait-on vraiment par ailleurs, d'une fois pour toutes, de croire en quelque chose d'absolu ? Quand l'homme cessera enfin de croire au mythe d'un «Seul Berger et un Seul Troupeau» ?

Et cessera-t-il un jour de vouloir créer, puis chasser l'hérétique ? Notre élève espagnol n'entendra-t-il au siège romain de l'Inquisition de la part de Son Excellence même, le Cardinal Bellarmino, que «bien que certains d'eux soient réduits en cendres, leur procès n'a pas de fin (...) il se peut que l'inquisiteur ait besoin de l'hérétique» ?



Au moment de sa condamnation, au bout de sept longues années de procès, Giordano Bruno n'intentera plus aucun recours, ne prononcera plus aucune parole. Tout au long de sa dernière nuit avant la giustizia, indifférent aux requêtes des confortateurs, il ne manifestera aucun repentir à l'approche du terrible supplice du bûcher, refusant d'embrasser le crucifix et de regarder ses bourreaux.



Sommes-nous irrémédiablement condamnés à la dialectique du maître et de l'esclave ? L'exil, qu'il soit extérieur ou intérieur, serait-il le seul moyen d'échapper à ce que Hegel avait appelé «la lutte à mort pour la reconnaissance» propre à la condition humaine?



«Chi' e vuol aper convien che prima mora» («Il y a une clarté que l'homme ne peut percevoir qu'au seuil de la mort») Michel-Ange.



LA NUIT DU BÛCHER est peut-être avant tout un roman de la maturité, de la lucidité et du désenchantement.





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Libération

J’ai été agréablement surpris par ce roman, Libération. Je ne savais pas trop à quoi m’attendre, en fait je n’avais pas vraiment d’attente. Ce n’était qu’un énième livre de Sandor Marai, un auteur que j’affectionne particulièrement. Avec un titre pareil, je me doutais qu’il s’agissait de la libération de la capitale hongroise. C’est tout. Eh bien, au lieu de suivre des péripéties guerrières, on s’attarde sur le point de vue des civils. Le roman s’ouvre sur Elisabeth Sos, une infirmière dans un Budapest encore occupé par les Allemands. Il y a des rafles, les Juifs se cachent, et tous ceux qui se montrent ouverts à leur endroit – ou bien des libres penseurs – sont en danger. C’est le cas du père d’Elisabeth. Après s’être réfugié quelques mois à la campagne, il s’est risqué en ville et elle doit lui trouver un abri sécuritaire. Puis les Russes arrivent, ils bombardent Budapest mais les Allemands sont décidés à protéger chaque mètre carré de la capitale. Avec les bombardements, les immeubles qui s’écroulent, les habitants cherchent refuges dans les sous-sols. Ça devient un mode de vie, enfermée avec des étrangers, comme des notables, le charbonnier, etc. S’ensuit les suppositions sur l’ « après ». Les Russes seront-ils pires que les Allemands? Imposeront-ils un régime communiste? Le notable et le charbonnier s’entendront-ils toujours demain, ou le deuxième supplantera et spoliera le premier? La méfiance s’installe, les passions se déchainent. Puis les Russes arrivent et l’intrigue fonce vers son dénouement à la vitesse grand V. Le roman se lit très bien, je l’ai achevé en trois jours. Il est à la portée de tous, je crois. Aussi, malgré l’atmosphère oppressante dans laquelle les personnages vivaient, Libération ne m’a pas paru excessivement sombre ni lourd. C’est un tour de force de Marai, bien que ce roman ne soit pas un de ses meilleurs, selon moi. Dans tous les cas, il constitue une lecture qui plaira à ceux que cette époque de l’histoire intéresse.
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La Nuit du bûcher

En 1598, un jeune moine castillan, originaire d'Avila, séjourne à Rome pour quelques mois chez ceux qui sont devenus maitres dans l'art de l'inquisition, il est là pour observer leur méthodes et les transmettre à ces frères en Espagne , nous appellerions cela "stage de perfectionnement" à notre époque . C'est un élève appliqué qui commence par apprendre l'italien puis assiste aux  veilles des "confortateurs", des hommes , certains laïcs, qui se réunissent pour inciter au repentir les hérétiques et vérifier  la sincérité des conversions .



L'inquisition, dans ce roman n'est en fait qu'un prétexte, un exemple historique du totalitarisme dans toutes ces formes, là, en l'occurrence la religion catholique pour un écrivain qui a fui sa Hongrie natale devenue communiste après avoir été nationaliste et proche du troisième Reich .



On ne peut s'empêcher de penser également à l'Holocauste lorsque le Padre Alessandro explique au jeune moine que les sentences individuelles ne suffiront pas ...

L'arrivée de l'imprimerie est perçue elle aussi comme dangereuse car échappant au contrôle de l'église et par la diffusion plus facile des oeuvres considérées comme hérétiques ou païennes  , on est pas loin des bûchers de livres .



On sait d'emblée que le moine ne retournera pas à Avila, qu'il choisit l'exil à Genève ; les raisons de son revirement ne sont pas uniquement dues , comme le résumé de l'ouvrage le laisse supposer ou la traduction du titre, à la dernière nuit avant son exécution de Giordani Bruno , un religieux qui ne renie rien et ne se laisse pas fléchir par les propos des confortateurs , ce qui ébranle fortement le jeune castillan , c'est un processus beaucoup plus complexe , lent et insidieux qui, à mon avis, vient aussi de sa dernière conversation avec le cardinal Bellarmin, celui qui l'avait accueilli lors de son arrivée et dont les paroles avant son retour en Espagne ouvrent une brèche dans la certitude du jeune homme , cela rejoint les convictions de l'écrivain lorsqu'il a lui même choisi l'exil comme le moine dont il nous conte l'histoire : la liberté de penser que l'on ne peut ôter à l'homme même en l'incarcérant, en muselant sa parole ou en le condamnant au feu du bucher !



Une écriture remarquable et un sujet de réflexion qui est toujours , malheureusement d'actualité .



Je vous encourage à lire ce texte parfois un peu ardu mais si marquant .
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La Nuit du bûcher

Michel Onfray vitupère dans plusieurs de ses livres contre toutes les religions à l’origine de bien des violences, de bien des guerres. On peut le trouver parfois excessif certes mais voici un roman qui lui donne mille fois raison et qui de plus est superbement écrit.



L’Italie à l’approche de 1600, Sándor Márai nous propose ni plus ni moins que d’assister à la formation d’un moine de l’Inquisition, quand je dis formation je devrais dire perfectionnement car notre jeune moinillon a déjà été à bonne école à Avila.

En Espagne l’Inquisition s’est déjà exercée à faire parler, à faire abjurer juifs et musulmans et notre jeune moine à déjà eu l’occasion de voir les effets des tourments infligés : « suspension par la corde, le supplice de l’eau, du feu et du brodequin français » il y a admiré les religieux qui encourageaient le bourreau à « arroser le bois sec de poix » afin que le bûcher monte haut et clair dans la nuit castillane.

L’Inquisition italienne trouve cela un peu tiède et notre moine est reçu et hébergé par une confrérie de volontaires qui vont le former par l’exemple car ils ont pour mission d’inciter au repentir « par tous les moyens » les hérétiques soumis à leurs bons offices.

Pendant les 16 mois de son apprentissage notre futur inquisiteur obéit sans se rebeller, obéit comme ont obéit les dignitaires nazis, les procureurs soviétiques ...



Il tient une sorte de journal pendant son séjour et c’est par sa voix que le lecteur entre dans ce monde de ténèbres où il importe de

« réduire à néant tous les livres, auteurs et lecteurs louches parce qu’il n’y aurait pas d’ordre dans le monde tant que vivraient des hommes qui feraient l’expérience de penser par eux-mêmes » car l’invention de l’imprimerie est un quasi péché qui permet la diffusion d’idées subversives.



Un grain de sable va venir se glisser dans les rouages si bien huilés de l’Inquisition lorsque notre apprenti rencontre Giordano Bruno lors de « l’ultime nuit » avant l’exécution de sa sentence.

C’est un roman parfait dans sa froideur, dans sa simplicité apparente, le réquisitoire est long mais le propos est fort et ce type de livre est en soit une arme contre tous les totalitarismes qu’ils soient politiques ou religieux. Sándor Márai a souffert de l’exil et il trouve là l’occasion de nous inviter à affirmer avec force notre liberté de penser et de croire.
Lien : http://asautsetagambades.hau..
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La soeur

À paraître le 19 juin.



Noël 1943. Dans un hôtel transylvanien, le narrateur retrouve une connaissance, un célèbre pianiste hongrois. Le musicien est solitaire et a abandonné son instrument. Les autres occupants de l’hôtel sont plus ou moins maussades en raison du temps détestable qui règne à quelques jours du réveillon. Le morne quotidien des personnages est soudain bouleversé par le suicide d’un couple au sein de l’hôtel. « Comment espérer, comment croire que de grandes nations puissent se comprendre, et vivre en paix sur terre les unes à côté des autres alors que certains individus se sacrifient d’une façon aussi désespérée et irrationnelle à des passions et des émotions insensées ? » (p. 42) Le temps d’une soirée, le drame rapproche le narrateur et le pianiste. Ce dernier promet de lui envoyer un manuscrit où il raconte pourquoi il a cessé de jouer.



1939. Z., célèbre pianiste est invité à Florence pour donner un concert. Mais le voilà frappé d’un mal étrange et douloureux : il ne peut plus jouer, ses doigts refusant d’obéir. « La maladie m’a épargné, […]. Elle ne m’a confisquée que la musique. » (p. 66) Reste à savoir d’où vient ce mal paralysant : serait-ce l’amour contrarié que le maestro porte à la trop belle épouse d’un ambassadeur qui cause cette souffrance infernale que seul l’opium peut endormir ? Commence alors un sordide jeu de cache-cache avec la douleur, mais il se noue également des relations particulières entre le malade et quatre religieuses chargées de le soigner, Dolorissa, Cherubina, Carissima et Matutina. « Je m’attelais à la maladie, comme à une quelconque tâche, un voyage aventureux ou un travail dont on ne mesurerait pas les véritables difficultés dès le début. La seule chose que je devinais était que cette tâche allait se révéler compliquée et longue à accomplir. » (p. 150)



La structure du roman est très classique. Le narrateur, dans une longue introduction, raconte comment il est entré en possession de l’histoire, puis présente le texte lui-même. D’ordinaire, je suis plutôt bienveillante envers l’artifice du manuscrit retrouvé ou du récit rapporté. Ici, j’ai trouvé la ficelle un peu grosse, « comme si le but de ce voyage n’avait été que la découverte de la vérité sur le sort de Z. » (p. 72) C’est bien, l’auteur me met directement les mots dans la bouche…



J’ai découvert Sandor Marai avec Les braises, un roman qui ne m’avait pas vraiment convaincue. Toutefois, j’avais gardé l’envie de lire autre chose de cet auteur. Désormais, je crois qu’il n’est pas fait pour moi. Le style est parfois dodelinant, voire lénifiant. Cela laisse tout le temps à l’intrigue de se nouer, mais le rythme dilatoire atténue tous les effets et tous les rebondissements. La plume est belle et le talent est là, mais je m’ennuie avec cet auteur.

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L'étrangère

Viktor Henryk Askenazi, professeur à l'Institut des Langues Orientales, quarante-sept ans, « un homme plus très jeune, à la calvitie précoce, au regard myope. », a choisi de fuir sa vie, d'aller voir de l'autre côté du miroir, là où les conventions qui régissent les relations sociales ne sont pas les mêmes pensent-il. Oubliant qu'elles sont différentes mais tout aussi contraignantes.

Il a l'orgueil de penser qu'il pourra

vivre en harmonie avec sa conscience.

Hélas non. Cela n'est pas aussi simple.

Il s'éprend d'une danseuse, connue l'année précédente « en des circonstances indignes » précise-t-il montrant s'il en était besoin que la chape de plomb du social lui pèse encore.

Pour fuir la contrainte nouvelle qu'il s'est lui-même créé il décide de céder « aux conseils de ses amis » et de passer « quinze jours dans un tout petit endroit »

Via Munich, il se rend à Split où un bateau le dépose sur une île de l'Adriatqiue.

« La pension Argentina a troqué son statut de demeure luxueuse pour celui d'honnête maison « bourgeoise », forcée de s'adapter au niveau de vie et au bon vouloir de ses hôtes »

Il découvre un nouvel univers, se moque des conventions que les pensionnaires s'imposent :

« Il éprouvait une certaine compassion à leur égard mais, dans l'ensemble plutôt de l'indifférence; c'est avec la condescendance de l'érudit qu'il se promenait dans ces espaces charmants mais manquant tout de même d'authenticité. »

Il s'en veut maintenant de ne pas avoir fait comme font tous ses collègues cacher à sa femme Anna sa liaison avec Élise, la danseuse et faire comme si…

Réquisitoire contre l'hypocrisie sociale, L'étrangère est d'une férocité rare contre le narrateur lui-même qui s'enferme dans ses fausses certitudes qui finiront par le conduire à l'irréparable.
Lien : https://camalonga.wordpress...
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La Nuit du bûcher

On tranche, on brûle, on juge, on sentence, on chasse, on pend. Au nom d'une loi, au nom d'un dieu, ou au nom d'une idéologie. Tous les crimes contre l'humanité ont leurs penseurs. Discours ou prêche, défilé ou procession, à chacun ses martyrs, à des millions : des fosses communes ou le silence d'une montagne de cendres.

Livre indissociable de la vie de Sandor Marai. Fuyant la guerre, le fascisme, le stalinisme, son écriture récite la seule prière digne d'être lue parmi les hommes : « Savoir vaut davantage que croire ».

Nous sommes au 16e siècle. Rome. L'inquisition espagnole veut apprendre de la grande inquisition italienne. Procès, tortures, exécutions. On rédige, on instruit, on prend note. Grand traité, petit manuel du parfait inquisiteur. Giordano Bruno ne lâchera rien. L'univers infini, existe, nous le savons. Mais celui qui ne fait pas d'un dieu ou une d'une idéologie le centre du monde est coupable d'hérésie. Hérésie ...du grec αἵρεσις / haíresis : choix, préférence pour une idée ou pensée.

Un choix, ...une liberté. A parler librement, à penser librement. Penser par exemple qu'  « un homme est peut compter plus qu'un troupeau ». S'interroger : «  Qu'est-ce qui est préférable : l'insouciance dans un endroit où l'on ne peut rien écrire ouvertement ou l'inquiétude dans un autre où l'on peut scribouiller en liberté ? »

Ce qui est remarquable dans ce roman c'est la malheureuse éternité de ce qu'il contient et l'espoir qu'il recèle.

C'est également ce que ce 16e siècle, et les siècles qui l'ont précédé, colportaient déjà à notre porte.

Ce que l'histoire engendre, porte dans ses entrailles. Ce que l'on peut y lire, ce qu'il faudrait comprendre, ce qu'elle annonce.

« Là où l’on brûle les livres, on finit par brûler des hommes. » écrivait Heinrich Heine, .. et là où on brûle un homme, tout est fini.

Effroyable récit où l'on voit un peuple, une société entière, du plus petit au plus grand, du plus riche au plus pauvre, tous être certains.

Certains. Certains de ce qui est dit, proclamé, jugé, certains , sans qu'aucun doute, sans qu' aucune question ne viennent arrêter la main du bourreau. Assassins de bonne foi. Où commence la complicité , où s'arrête la soumission ? L'habit ne fait pas le moine, quelque que soit son obédience.

Comment alors reconnaître un diable ou un bon dieu ? Et si tout cela , pour finir, ne regardait qu'eux..

Et quant aux hommes.. il leur reste l'avenir pour faire infiniment mieux.



Astrid Shriqui Garain











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Dernier jour à Budapest

Dernier jour à Budapest est un livre à tiroirs. C'est le dernier jour à Budapest de l'écrivain hongrois Gyula Krudy mort en 1933 à l'âge de cinquante-quatre ans, et ce sont également, à titre prémonitoire, les derniers jours à Budapest de Sandor Marai qui s'exilera en Italie, puis aux Etats-Unis huit ans après avoir écrit ce livre. Ce sont enfin les derniers jours d'une certaine Hongrie, dont Sandor Marai et son mentor, Gyula Krudy étaient nostalgiques, une Hongrie puissante qui était l'autre membre de l'Empire austro-hongrois, regroupait, entre autres, une partie de la Slovaquie, de la Roumanie, de l'Ukraine et de l'Italie; une Hongrie qui sera dépecée, au moment de l'éclatement de l'Empire, à la fin de la guerre 14-18, et qui perdra la moitié de sa superficie et de sa population.

Sandor Marai était, au moment de l'écriture de ce livre, un "emigré interne" face à la montée du fascisme puis du communisme.

Pour évoquer ce pays et ce peuple qui ne sont plus, à ses yeux, Il fait le choix de s'exprimer au travers de Krudy, nommé Sindbad, l'un des personnages récurrents de ses romans, et tente de recréer l'univers de l'écrivain, au cours d'une déambulation dans la ville. Krudy, dont l'oeuvre est tombée dans l'oubli, n'a pas un sou devant lui et doit écrire une chronique par jour. Il divague de café en café, rencontre ses homologues, parcourt la ville en tous sens à la recherche de lieux et de paysages de sa jeunesse. Il déroule le fil de ses souvenirs et de ses remémorations et c'est l'occasion des plus belles pages de ce livre, celles qui sont consacrées aux ambiances et à l'atmosphère des endroits et des maisons du passé, chargés de sensations et de traces olfactives.

Derrière la quête de plaisirs sans fins, pointent la tristesse, la désillusion et le dépit du romancier.

Moins accessible que des livres magnifiques comme L'héritage d'Esther ou La soeur, du fait de la méconnaissance que j'ai de la ville de Budapest et des nombreux écrivains hongrois cités ici, Dernier jour à Budapest nous offre néanmoins de très beaux moments de grâce poétique. Il aiguise par ailleurs notre curiosité et nous donne diablement envie d'aller à la rencontre de l'oeuvre de ce Gyula Krudy, dont on dit qu'il a écrit des centaines de romans.
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La Nuit du bûcher







Le titre français est trompeur car ce roman ne raconte pas une nuit mais plusieurs mois de 1598-1600. Par ailleurs on ne peut pas vraiment en parler comme d’un roman historique car on trouve quelques anachronismes, par exemple il y est fait allusion par la bouche du héros à la guerre de cent ans, nom bien postérieur à la fin du 16ème siècle.

C’est plutôt un prétexte pour réfléchir sur le totalitarisme.



Un moine inquisiteur d’Avila est envoyé par son ordre à Rome pour “prendre des leçons” de méthodologie inquisitoriale. Reçu par le consultore Bellarmin, il est admis au cœur de la confrérie de San Giovanni Decollato. Il y apprend l’Italien et assiste aux soirées qui rassemblent les “confortatori” clercs et laïcs qui lorsque qu’il doit y avoir une “giustizia” se hâtent vers la cellule du condamné pour le conforter, l’inciter une dernière fois à abjurer ses erreurs, le pousser à demander lui-même la punition. La description de ces confortatori derrière l’admiration pour leur abnégation, souligne avec humour leur goût pour le vin grec qui leur est servi pendant leurs veilles.

Le padre Alessandro auquel il est plus particulièrement confié au sein de la Confrérie réfléchit beaucoup à la sainte mission confiée à l'Inquisition. Màrai le fait prédire qu’un jour le Saint Office ne pourra plus se contenter de juger un homme à la fois, procédure trop fatiguante et coûteuse, mais qu’on rassemblera en un seul lieu bien isolé du bon troupeau, tous ceux qui pourraient être coupable du crime de penser par eux-mêmes. Il ne sait pas encore comment cela sera possible mais il en est sûr.

En récompense de son zèle, le carmélite sera autorisé à accompagner les confortatori la nuit précédent son retour à Avila. Ce condamné n’est autre que Giordano Bruno qui se sera mesuré au cours des sept années d’instruction de son procès également à Bellarmin lui même.

Après avoir assisté sans faiblir au bûcher, et avoir pris congé de ses hôtes et de Bellarmin, devenu cardinal, qui lui parle longuement, le moine se met en route mais décide vite et sans avoir consciemment compris pourquoi, de se défroquer et partir pour Genève. Ce que nous savons dès les premières lignes puisque ce roman est constitué d’une longue confession écrite du moine à l’un des ses ex-condisciples où il explique d’emblée qu’il ne reviendra jamais à Avila. Ce qui est étonnant c’est qu’il déclare croire encore à la Cause mais non à son efficacité, il y aura toujours un homme qui voudra penser par lui même et contaminera les autres.

A Genève, lui qui avait l’habitude d'obéir mais jamais de s’inquiéter de pourvoir à ses besoins, va apprendre aussi le prix de la liberté.



Le contrôle des lectures et des pensées, l'obéissance au dogme plutôt que la réflexion et le libre arbitre, la surveillance des voisins et même des membres de la famille et la délation sont des règles prônées par l’Inquisition mais aussi par le régime communiste sous lequel avait vécu Màrai avant de quitter la Hongrie

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La soeur

Un musicien célèbre qui tombe gravement malade après un concert est pris en charge dans une clinique où on soigne autant l'âme que le corps. Il y découvrira que son amour pour une femme mariée, à la fois séductrice et frigide est en partie responsable de son état, car elle vit dans le mensonge et fait vivre ainsi tous ceux qui sont autour d'elle. Ce magnifique roman nous parle de vérité, celle que nous exerçons (ou pas) vis à vis de nous-mêmes et qui nous fait vivre en nous reliant au monde et au divin. Il nous parle aussi des relations entre l'âme et le corps et des maladies que nous appelons maintenant psychosomatiques.

J'ai peiné à rentrer dans ce texte, car les débuts donnent l'impression d'errer longuement dans un labyrinthe avant de parvenir au coeur du propos,. Mais cela vaut le coup de patienter et de prendre le temps de rentrer dans ce texte qui est profond et superbe. La lenteur et les détours y deviennent un peu comme ces méandres dans lesquels on se perd avant de se trouver, luttant contre les mensonges qui nous détournent de nous-mêmes et nous détruisent. Le style est magnifique et met en valeur des remarques judicieuses sur les rapports entre l'art et la vie.

Après avoir un peu bronché comme un cheval rétif, j'ai fini par lire ce livre d'une traite et en suis sortie heureuse et apaisée tant en dépit de ses tours et détours il sonne juste.

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La Nuit du bûcher

Ce livre vient de faire l’objet de belles chroniques, celle de Myrtigal, notamment, mais d’autres lecteurs aussi, alors pour les amis de Babelio, je voudrais apporter un son, une tonalité, ou un regard un tout petit peu différents. Tout petit peu, car j’adhère aux chroniques précédemment publiées.

Alors d’abord, je lis Sandor Marai depuis quelques livres, et ce livre-ci m’a étonné par sa problématique très différente. Sandor Marai nous plonge dans l’Inquisition entre l’Italie (là où l’action se déroule) et l’Espagne (là d’où est originaire son héros). Autre élément étonnant, Sandor Marai nous plonge en plein XVI ème siècle, lui qui nous portait plutôt dans le XXème.

Si on a lu quelques livres de Sandor Marai, évoquant les atermoiements de la bourgeoisie hongroise, on sera tout étonné de l’espace et l’époque de ce roman.

La Hongrie est loin, ce qui est aussi surprenant. Elle n’est même plus là du tout.

Et pourtant,

Ce roman, assez court, est époustouflant.

Très documenté sur l’Inquisition et ces atrocités, ces bûchers, ces milliers de suppliciés avec la satisfaction et les sourires béats de prêtres, de « con… acceptants et contribuants », Sandor Marai a pris en exemple Bruno. Certes, Copernic, Galilée sont plus célèbres, Bruno moins, et pourtant, un savant, un scientifique, qui n’a jamais voulu renoncer à ses découvertes, et qui a toujours opposé croyance et science. Le roman lui rend en quelque sorte hommage, insistant sur la persévérance du scientifique, et l’absurdité des religieux. C’est compliqué mais cela me rappelle l’affaire Lyssenko dans les années fin 40, début 50, en URSS. Il est impossible que Sandor Marai n’y ait pas pensé.

Mais époustouflant car cela ne peut pas ne pas nous rappeler les procès en cours dans la Hongrie des années 1948-1949, au moment où Sandor Marai choisit, l’âme crevée de désolation, l’exil. Les pendaisons quotidiennes, en parallèle aux bûchers quotidiens à Rome. L’extorsion des aveux, pour expier, alors qu’avouer ou pas, de toute façon, le « impie » sera condamné à mourir (bûcher sous l’inquisition ou pendaison en Hongrie communiste).

Il a pris en exemple Bruno qui ne baisse pas les yeux, qui regarde ailleurs, vers un autre monde. Son choix est hautement humaniste, comme l’était Bruno, avec Erasme, et d’autres.

Et aujourd’hui, ce livre m’apparait d’une actualité incroyable car aujourd’hui je vois des scientifiques ou prétendus se battre, s’arracher même, sur des soit-disant vérités scientifiques, pour la vie et la mort de milliers de gens.

Aujourd’hui, je vois des humains qui s’entretuent et s’envoient au bûcher pour des croyances religieuses différentes. Chacun est persuadé qu’il a raison au nom d’une croyance.

Ce roman, écrit en 1974, par un Hongrois qui a connu les pires régimes totalitaires du XXème siècle, percute.

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La soeur

Le roman se divise en quatre chapitres d'inégales longueurs puisque le quatrième et le sixième font à peine une page. le quatrième sert clairement de transition pour passer d'un temps à l'autre. le sixième et dernier chapitre est quant à lui une sorte de conclusion. Les deux premiers chapitres forment un tout, quasiment dissociable du reste, et j'avoue m'y être ennuyée presque autant que les protagonistes confinés dans un chalet peu engageant avec trop peu en commun pour échanger et sympathiser les uns avec les autres. Ils servent certes d'introduction au récit principal mais fallait-il que cette entrée en matière soit si longue et assortie d'un fait divers plutôt lugubre que je ne dévoilerai pas ici de peur de « divulgâcher » votre lecture. La suite est, à mon sens, beaucoup plus intéressante et j'y ai retrouvé ce que j'aime de Marai, à savoir, sa philosophie personnelle un peu pessimiste quant à la nature humaine mais tellement bien observée et servie par une écriture inimitable. On trouve aussi dans son récit une sorte de suspense malgré le fait qu'il nous livre assez tôt dès l'abord plusieurs des issues. C'est difficile à décrire mais cet espèce de flashback sur l'enchaînement des causes et des impondérables me paraît assez caractéristique de cet auteur. C'est un peu comme la vie d'un humain qu'on sait devoir s'achever par la mort et que rétrospectivement on puisse retracer l'enchaînement des événements extérieurs, des rencontres et des choix personnels qui amènent au destin particulier de chacun.

J'ai aimé cette lecture à l'instar des autres que j'ai faites de ce même auteur. Je ne recommanderais cependant pas de l'aborder par ce roman.
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Libération

Un roman poignant qui se situe sur un temps très court, les trois dernières semaines du siège de Budapest. Un contexte historique extrêmement précis et qui rappelle la tragédie hongroise dans la seconde guerre mondiale.

Une part autobiographique et une part romancée.

Où l'on suit l'héroïne Elizabeth, jeune femme d'une vingtaine d'années, elle attend la libération, enfermée dans une cave au milieu de 130 autres habitants. Les heures et les jours passent et chacun se découvre. Une grande partie du roman est consacrée à ce confinement, cette promiscuité, cet abandon humain.

Et puis, les Russes arrivent, les libérateurs. Mais qu'est-ce que cette libération ? est-ce la liberté ? où mène-t-elle ? quelle Hongrie va se reconstruire ? avec qui ?

Elizabeth incarne cette Hongrie, jeune, optimiste, celle qui croit que le monde à venir sera meilleur que celui qui est en train de disparaître. J'ai lu avidement les chapitres dans lesquels Elizabeth avec son espérance et sa croyance dialogue avec le professeur (de mathématique) paralysé, et très dubitatif sur l'avenir.

La libération c'est se libérer du joug et du totalitarisme des nazis et des Croix fléchées (les nazis hongrois) mais pour aller vers où, vers qui ?

Sandor Marai sait mettre en perspective cette double attente. Il sait mettre en scène toutes les petites lâchetés qui conduisent à ces options qui n'en sont pas "On ne chasse pas le Diable avec Belzébuth".

Un roman profondément humain, qui garde néanmoins une petite lucarne avec une lumière, Elizabeth erre dans Budapest, libre, mais si elle est libre, elle erre.

Magnifique.

(nécessaire de préciser que ce court roman a été écrit au cours de l'été 1945, donc très peu de temps après la libération de Budapest et de la Hongrie).
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