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3.7/5 (sur 5 notes)

Nationalité : France
Biographie :

Maître de conférences à l'EHESS (en 1992)

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Bibliographie de Chantal Lemercier-Quelquejay   (5)Voir plus

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Citations et extraits (9) Ajouter une citation
Sultan Galiev ressentait une profonde méfiance non seulement envers les Russes, mais envers l’Occi­dent en général, et cette méfiance, l’un des éléments fondamentaux de sa pensée politique, s’étendait même au prolétariat européen qu’il jugeait tout à fait capable de reprendre à son compte l’ancienne politi­que « colonialiste » de la bourgeoisie.

« Prenons, par exemple, disait-il en 1918, le cas du prolétariat anglais, (mais il pensait davan­tage au prolétariat russe) le plus évolué de tous. Si une révolution triomphe en Angleterre, ce prolétariat continuera à opprimer les colonies et poursuivra la politique de l’actuel gouvernement bourgeois, car il est intéressé à l’exploitation des colonies. C’est pour éviter l’oppression des travailleurs d’Orient que nous devons unir les masses musulmanes dans un mouvement com­muniste indigène autonome. »

Plus tard, en 1923, Sultan Galiev en vint à penser que l’ennemi des peuples coloniaux n’était pas la bourgeoisie des puissances impérialistes, mais la société industrielle tout entière, et il suggéra de remplacer l’antithèse marxienne classique « capita­liste-exploité » par une antithèse « tiersmondiste », « industriel-sous-développé ». Partant de là, il concluait que les peuples musulmans ne pourraient s’émanciper sans organiser leur propre internationale coloniale, indépendante ou même opposée à la IIIe Internationale dominée, comme les deux précé­dentes, par des représentants des sociétés indus­trielles. Pour éviter que la révolution d’Octobre ne rétablisse dès le départ la tutelle russe sur les musulmans, Sultan Galiev voulait que le passage au socialisme se fasse par étapes progressives. (pp. 195-196)
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8. « Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, se sont développées dans tout le Tiers-Monde des théories selon lesquelles la révolution coloniale pourrait triompher dans une société non-industrielle, sans l'aide ni le contrôle russes. Toutes rappellent plus ou moins les idées de Sultan Galiev, sans qu'on puisse affirmer une filiation directe. Certaines, cependant, notamment en Afrique du Nord, se réfèrent explicitement au théoricien tatar. […] En 1965, Lin Piao répétait presque mot pour mot le théorème énoncé par Sultan Galiev en 1920.
[…]
En 1954, le leader du Mouvement de Libération Nationale Algérienne, Ben Bella, kidnappé et emprisonné par les Français, eut l'occasion, en captivité, de prendre connaissance des écrits de Sultan Galiev. Devenu président de la République algérienne, Ben Bella le cita à plusieurs reprises, notamment au sujet de l' "Internationale coloniale". […] Comme Sultan Galiev, Muammar Khadafi a soin d'inclure l'URSS parmi les pays impérialistes du Nord. » (pp. 276-278)
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7. « […] Sultan Galiev ne pouvait réussir car il avait réellement cherché à concilier deux inconciliables, le nationalisme panturc et le marxisme à la mode russe. En 1928, il ne pouvait pas encore comprendre qu'en devenant russe le communisme était déjà le communisme d'une grande puissance impérialiste chargée de cinq siècles de tradition antimusulmane ni que les dix années d'internationalisme prolétarien utopique ne pouvaient effacer un passé multiséculaire de haines raciales et religieuses.
La seconde arrestation de Sultan Galiev se place à un tournant capital de l'histoire de l'URSS et du Komintern. Staline avait définitivement triomphé de ses rivaux et sa doctrine du "socialisme dans un seul pays" allait opérer une symbiose croissante entre la Russie soviétique, empire héritier de celui des Tsars et la "patrie du socialisme". Le Komintern cessait d'être une institution indépendante. Il devenait en fait […] un instrument obéissant au Parti communiste russe. Partout en Asie, la stratégie soviétique avait subi des défaites dont Staline rejetait la responsabilité sur les dirigeants du Komintern.
[…]
Les leçons tragiques de Turquie, d'Iran, d'Égypte et de Chine furent acceptées par Staline au VIème Congrès du Komintern qui se tint à Moscou en 1928.
[…]
La conséquence fut le complet isolement du communisme dans les pays d'Asie et l'effacement de l'URSS dans tout le Tiers-Monde. Les Soviétiques n'avaient en effet rien à offrir aux pays coloniaux ou ex-coloniaux, ni en matière d'assistance économique ou militaire ou encore de modèle d'idéologie politique. Plusieurs dirigeants du communisme asiatique des plus importants, dont notamment l'Indien Mobendra-Nath Roy et l'Indonésien Tan Malaka rompirent alors avec le Komintern.
[…]
À partir de 1928, un rideau de fer hermétique va isoler du Moyen-Orient les territoires musulmans de l'URSS, et tous les contacts entre les musulmans soviétiques et leurs coreligionnaires de l'étranger sont rompus. […] Le rêve de Sultan Galiev de faire de ses compatriotes tatars les intermédiaires entre le communisme et l'Orient s'écroule, définitivement brisé. » (pp. 244-246)
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5. « Plus que jamais, Sultan Galiev était convaincu que l'Europe était, comme il disait, "un foyer révolutionnaire éteint", mais que le monde colonial, en revanche, offrait un terrain propice. Le mouvement révolutionnaire se développait en effet en Turquie et en Iran.
[…]
Une flottille de l'Armée rouge débarqua à Enzeli et les Djenguelis en profitèrent pour proclamer, le 4 juin [1920], la République socialiste soviétique de Ghilan, présidée par le chef Djengueli, Mirza Kuchik Khan, à la tête d'une coalition de nationalistes et de communistes de l' 'Adalat' accourus de Bakou [qui était aussi la capitale d'une République socialiste soviétique proclamée sans le concours de l'Armée rouge]. C'était la première fois qu'une république "socialiste et soviétique" était fondée hors du territoire de l'ancienne Russie, exemple suivi, plus tard, par la Mongolie et, après la Seconde Guerre mondiale, par les démocraties populaires de l'Europe orientale. Le 20 juin 1920, les communistes iraniens tenaient à Rusht, capitale de la nouvelle république soviétique, le Congrès constitutif du Parti communiste iranien. Presque au même moment, des groupes communistes apparaissaient un peu partout dans les pays du Dar ul-Islam : un Parti socialiste égyptien était fondé à Alexandrie et en décembre 1920, un Parti communiste à Java était accepté comme membre de plein droit de la IIIe Internationale.
Qui, de Sultan Galiev, misant sur le monde colonial, ou des chefs bolcheviks, qui ne voulaient en entendre parler qu'en qualité d'objet et non de sujet de la Révolution, avaient la vision la plus juste de l'Histoire ? » (pp. 138-141)
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4. « Aussi, en dépit de tous ses "défauts" et erreurs, les bolcheviks russes de Kazan ne désiraient ni critiquer ouvertement le Comité ni, à plus forte raison, le combattre. Ils voyaient en lui un allié et une école de marxisme destinée à "bolcheviser" l'intelligentsia progressiste tatare encore tout imprégnée de panislamisme. Mais c'est le contraire qui se produisit : pour la majeure partie de ses dirigeants et de de ses membres, le Comité fut une école de nationalisme.
Durant des mois de préparation fébrile et d'agitation intellectuelle sans précédent, Sultan Galiev et ses compagnons, les dirigeants du Comité socialiste, élaborèrent les rudiments de la doctrine du futur communisme national musulman qui, plus tard, seront condamnés par le Parti Communiste russe comme autant d'hérésies dangereuses. Deux points surtout étaient, dès cette époque, mis en lumière par Sultan Galiev :
- Le désir de construire un socialisme "national", adapté aux conditions particulières d'un pays islamique et de le porter dans le reste du 'Dar ul-Islam', libéré de "l'impérialisme de la bourgeoisie européenne" par les seules forces des travailleurs musulmans et non du prolétariat russe ou occidental.
En pratique, cette tendance nationaliste se manifestait par la défiance de toutes les organisations politiques russes, y compris le parti bolchevik, et le refus de rompre définitivement avec les autres groupes tatars, même bourgeois. Sultan Galiev et Vahitov considéraient que leur Comité devait militer à l'extrême gauche du mouvement national tatar. » (p. 71)
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6. « Comme la plupart des révolutionnaires asiatiques, ses contemporains ou ses héritiers, Sultan Galiev pensait que la révolution dans le Tiers-Monde devait être à la fois une révolution sociale dirigée contre les "exploiteurs indigènes", bourgeoisie et féodaux fonciers, et le clergé musulman "rétrograde", et la révolution nationale dirigée contre la domination étrangère. Mais il apportait une importante correction hérétique à ces thèses somme toute parfaitement orthodoxes en déclarant que la structure de la société musulmane ne permettant pas de mener de front les deux révolutions, il était vain et dangereux d'y favoriser simultanément l'éclosion de la conscience nationale et l'éveil de la conscience de classe et que, puisque la priorité absolue allait à la libération nationale, il fallait retarder l'heure de la révolution sociale. Pour justifier ce raisonnement, il s'appuyait sur la structure de la société indigène et affirmait que la paysannerie pauvre et le prolétariat musulmans étaient encore incapables d'assumer le pouvoir, tant en raison de leur faiblesse numérique et idéologique que du caractère toujours homogène de cette société indigène. Pour lui, le dernier des paysans russes ou allemands était plus riche que le plus fortuné des koulaks tatars. » (pp. 192-193)
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2. « Tout le monde, y compris les conservateurs convaincus, usait du vocabulaire révolutionnaire, parlait "lutte de classe" et "dictature du prolétariat" et se voulait marxiste sans trop se soucier de ce que ce mot pouvait signifier réellement ni savoir qui était ce fameux mais mythique Karl Marx (Qaryl Marqyss, comme on disait en tatar).
Il aurait été vain d'ailleurs de chercher parmi les musulmans de Russie de vrais marxistes orthodoxes car leur lutte avait un caractère purement national et non social. Leur but était de se libérer de la domination d'un maître étranger – russe – et non de combattre un ennemi de classe national – tatar. Pour les élites musulmanes progressistes qui, dès cette époque, étaient prêtes à accueillir le socialisme, celui-ci était avant tout un modèle d'organisation et non pas un corps de théories susceptibles de réorganiser la société selon les principes de l'internationalisme prolétarien. Mais plusieurs aspects du marxisme leur paraissaient spécialement attirants.
En premier lieu l'usage de "l'action directe" et la technique du travail clandestin conspirationnel. » (pp. 49-50)
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3. « Comme leurs camarades socialistes occidentaux, les jeunes musulmans avaient envers leur passé national une attitude iconoclaste. Toutefois, à la différence des Occidentaux, ils rejetaient uniquement le passé récent, celui de la décadence et de la compromission avec l'Occident. Le socialisme était certes une clef pour l'avenir mais aussi une clef ouvrant vers le passé lointain, celui de l'âge d'or de l'islam turc, de la Horde d'Or et de l'empire de Timur, quand les Russes étaient sujets des khans tatars.
Mais jusqu'à la Révolution de 1917, personne parmi ces socialistes orientaux ne s'était encore posé la question fondamentale qui va agiter le monde islamique pendant le demi-siècle suivant : l'islam et le marxisme sont-ils compatibles ? C'est à Sultan Galiev qu'il appartiendra d'y répondre. Pour le moment, cette interrogation était superflue. Tout le monde était d'accord : le marxisme n'apporterait que le cadre de fonctionnement, tandis que l'islam fournirait l'idéologie. » (pp. 54-55)
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1. « Les Tatars de Kazan furent les tout premiers du monde musulman à accéder, dès le XIXe siècle, au stade capitaliste. La substitution de la bourgeoisie capitaliste à la féodalité terrienne comme classe dirigeante aurait dû logiquement amener dans son sillage la "libéralisation" de l'ancienne idéologie religieuse. Or l'hégémonie de la bourgeoisie tatare s'accompagna de la renaissance de l'islam dans sa forme la plus traditionnelle et la plus conservatrice.
Les raisons de ce phénomène – que l'on a pu observer dans d'autres pays colonisés – sont multiples. La haine de tout ce qui était russe et le souvenir des persécutions religieuses du début du XVIIIe siècle, réaction naturelle de défense contre la poussée des idées chrétiennes et libérales, ne furent certes pas étrangers à ce retour au conservatisme religieux, que l'on peut aussi expliquer par l'orientation du commerce tatar. » (pp. 19-20)
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