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Citation de santorin


Il doit avoir des tantes, des grands-tantes un peu partout dans le quartier, chez qui il pourrait s'arrêter pour manger du pain chaud. Mais il ne s'arrête pas, il marche entre les traverses, il fanfaronne sûrement car il plaît aux femmes et il le sait. Ou plutôt ce n'est pas lui qui fanfaronne. Il laisse ses moustaches et son tarbouche fanfaronner pour lui. Lui il a l'oeil sombre, et ce regard singulier qui semble toujours effleurer le bord supérieur des choses. Il porte une canne qui lui donne un supplément d'allure. Ce n'est pas la canne en bois d'ébène avec l'anneau d'or aux initiales de son père. Celle-ci, il la garde pour les occasions ou le dimanche, elle est debout dans un coin de l'armoire normande, dans sa chambre à coucher. Et c'est curieux, voilà que cette armoire me permet de pénétrer chez lui, d'imaginer un peu la maison d'avant, quoiqu'il me sera toujours très difficile de croire qu'il ait pu habiter ailleurs que dans la Grande Maison qu'il fondera à Ayn Chir. Je vois soudain un jardin, avec des néfliers et un citronnier, trois marches, un perron surélevé, et à l'intérieur un sol en tomettes aux motifs en arabesques, des pièces ouvertes les unes sur les autres, où circulent aisément l'air doux du printemps, les parfums des arbres, l'odeur de laurier qui embaume les vêtements rangés dans les armoires, mais aussi les bruits simples de la vie domestique, la voix de son frère cadet qui chantonne en s'habillant dans une pièce voisine avant de sortir pour aller à son bureau, disons à Khan Antoun Bey, ou celle de sa mère qui reçoit ses cousines et ses belles-soeurs de bon matin et s'installe avec elles dans des fauteuils sur le perron, sa mère qui figure elle aussi sur une photo de Bonfils, lointaine et rêveuse dans sa robe à corset, si rigide et si hiératique que je parviendrai toujours difficilement à l'imaginer autrement qu'en habit victorien, presque aussi irréelle, désincarnée et majestueuse que les reines anciennes sous leur masque mortuaire. Et puis, je vois aussi cette armoire normande devant laquelle il se poste tous les matins avant de sortir, dont il ouvre un battant pour se juger dans la glace un peu terne. Il juge son pantalon, son veston, son faux col, lisse sa moustache, ajuste son tarbouche, plante un regard dans son propre regard trop sombre avant d'ouvrir l'autre battant, sur lequel il y a aussi une glace, et de voir soudain, dans les deux miroirs qui se font face, son image se refléter à l'infini. J'aime à penser qu'il s'amuse tous les matins à cette démultiplication de lui-même avant de sortir égrener dans la marche sa présence au monde.
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