Un baiser était à la fois doux et dur, humide mais pas trop, il suscitait un maelström de sensations, mais donnait aussi l'impression de flotter sur un lac par une journée paisible.
Il était assez fort pour lui sauter dessus et la maîtriser. S’il le voulait, il pourrait la soulever et la transporter n’importe où. Il ne voulait certainement pas faire cela. Ce qu’il souhaitait, c’était se débarrasser d’elle. Il avait été très clair sur ce point. En fait, elle avait rarement rencontré un homme indifférent au point d’en devenir mal élevé. Mais par ailleurs, c’était une chance. Les hommes préoccupés n’avaient pas le temps de faire des suppositions, correctes ou non, sur sa situation personnelle. Mieux encore, ils n’avaient pas le temps « d’améliorer » ladite situation en mettant le nez dans ses affaires.
Alors, peu importait qu’il paraisse un peu intransigeant. Piety savait contrôler les hommes qui ne s’intéressaient pas à elle. Ceux qui posaient un problème, c’étaient ceux qui voulaient l’approcher.
Il désirait de l’intimité, de la liberté.
Le désir était un péché. Les Écritures étaient très claires à ce sujet. Tu ne convoiteras point… Mais Trevor n’avait adhéré que de loin aux Saintes Écritures, dans sa vie. Et seulement quand elles correspondaient à ses inclinations.
En ce moment, il était obsédé par ses désirs.
La liste de ce qu’il voulait n’était pas très longue. Il ne désirait ni la richesse, ni les propriétés terriennes, ni la gloire, ni le prestige. Pour être honnête, il n’exigeait même pas le respect. Non, les choses qu’il désirait étaient insignifiantes,modestes, pour ne pas dire humbles. Des circonstances différentes, rien de plus.
Avoir une allure formelle ne voulait pas dire se vêtir comme s’il allait à l’opéra.
Le fait d’avoir fait un effort pour s’habiller était vraiment très ironique. Toute sa vie, il avait incarné le détachement et la maîtrise de soi, indépendamment des vêtements qu’il portait. Tout le monde savait qu’il était sérieux et professionnel, que son travail consiste à veiller sur sa mère ou à seconder le très élégant Janos Straka. Il était le genre d’homme qui n’avait pas besoin d’un costume pour s’affirmer.
Je n’aurais jamais l’idée de courtiser une femme que les autres hommes ne m’envient pas. Vous plaisez au comte, et c’est normal. Vous êtes belle, vous avez de l’esprit et je comprends qu’il veuille vous courtiser, même si cela semble assez… soudain. Ceci dit, j’aimerais vous escorter également. Faites-moi découvrir ce pays que vous aimez tant. Après le voyage que je viens d’accomplir pour vous, vous m’accorderez bien un mot en privé. Une entrevue.
Son chaperon avait entièrement raison de lui rappeler les risques qu’elle courait. Piety savait très bien ce que les jeunes filles convenables étaient censées faire. Embrasser le voisin dans une salle de musique vide ne faisait pas partie des choses autorisées. Si Jocelyne, ou Tiny, ou la marquise – Dieu l’en préserve – apprenaient cela, sa réputation dans cette rue, et même au-delà, serait détruite.
Contrairement à la plupart des vieilles filles, elle savait faire la différence entre un homme fabuleusement riche et un autre. Par une curieuse ironie, l’homme qu’elle trouvait intéressant en ce moment n’était pas particulièrement fortuné et ne possédait aucune des qualités auxquelles elle avait toujours accordé de l’importance. Pas de générosité. Pas de conversation. Il n’était même pas agréable.
Il ne voulait pas côtoyer les gens de sa classe sociale. Ni les habitants de son pays. Il ne voulait avoir affaire à personne.
Il ne voulait pas de maîtresse, pas d’épouse, pas d’héritier. Bon sang, il ne voulait même pas d’un chat.
À dire vrai, il aurait préféré ne pas être comte, mais son oncle avait succombé à une mauvaise fièvre sans avoir eu le temps de fonder un foyer.
Trevor avait besoin d’une femme.
Il n’était pas utile qu’elle soit belle, ou docile. Ni même jeune. Bien qu’il fût prêt à payer davantage pour en avoir une plus saine, plus souple, et aimant son métier.
L’intelligence n’était pas une priorité. En fait, il valait mieux qu’elle ne soit pas trop maligne. Sa nouvelle voisine était astucieuse. Vive. Amusante.
C’est en parlant comme nous le faisons que les gens se découvrent. Lorsque vous laissez quelqu’un entrer dans votre vie, vous lui laissez entrevoir vos peurs et vos rêves. Vous parlez. Vous révélez des vérités. Vous partagez. Reconnaissez que le fait de m’entendre parler de ma vie n’est pas un fardeau bien lourd.