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Citation de Partemps


La détestable couleur d’Horace Vernet ne l’empêchait pas de sentir la virtualité personnelle qui anime la plupart de ses tableaux, et il trouvait des expressions étonnantes pour louer ce pétillement et cette infatigable ardeur. Son admiration pour Meissonier allait un peu trop loin. Il s’était approprié, presque par violence, les dessins qui avaient servi à préparer la composition de la Barricade, le meilleur tableau de M. Meissonier, dont le talent, d’ailleurs, s’exprime bien plus énergiquement par le simple crayon que par le pinceau. De celui-ci il disait souvent, comme rêvant avec inquiétude de l’avenir : « Après tout, de nous tous, c’est lui qui est le plus sûr de vivre ! » N’est-il pas curieux de voir l’auteur de si grandes choses jalouser presque celui qui n’excelle que dans les petites ?

Le seul homme dont le nom eût puissance pour arracher quelques gros mots à cette bouche aristocratique était Paul Delaroche. Dans les œuvres de celui-là il ne trouvait sans doute aucune excuse, et il gardait indélébile le souvenir des souffrances que lui avait causées cette peinture sale et amère, faite avec de l’encre et du cirage, comme a dit autrefois Théophile Gautier.

Mais celui qu’il choisissait plus volontiers pour s’expatrier dans d’immenses causeries était l’homme qui lui ressemblait le moins par le talent comme par les idées, son véritable antipode, un homme à qui on n’a pas encore rendu toute la justice qui lui est due, et dont le cerveau, quoique embrumé comme le ciel charbonné de sa ville natale, contient une foule d’admirables choses. J’ai nommé M. Paul Chenavard.

Les théories abstruses du peintre philosophe lyonnais faisaient sourire Delacroix, et le pédagogue abstracteur considérait les voluptés de la pure peinture comme choses frivoles, sinon coupables. Mais si éloignés qu’ils fussent l’un de l’autre, et à cause même de cet éloignement, ils aimaient à se rapprocher, et comme deux navires attachés par les grappins d’abordage, ils ne pouvaient plus se quitter. Tous deux, d’ailleurs, étaient fort lettrés et doués d’un remarquable esprit de sociabilité, ils se rencontraient sur le terrain commun de l’érudition. On sait qu’en général ce n’est pas la qualité par laquelle brillent les artistes.

Chenavard était donc pour Delacroix une rare ressource. C’était vraiment plaisir de les voir s’agiter dans une lutte innocente, la parole de l’un marchant pesamment comme un éléphant en grand appareil de guerre, la parole de l’autre vibrant comme un fleuret, également aiguë et flexible. Dans les dernières heures de sa vie, notre grand peintre témoigna le désir de serrer la main de son amical contradicteur. Mais celui-ci était alors loin de Paris.



VII

Les femmes sentimentales et précieuses seront peut-être choquées d’apprendre que, semblable à Michel-Ange (rappelez-vous la fin d’un de ses sonnets : "Sculpture ! divine Sculpture, tu es ma seule amante ! »), Delacroix avait fait de la Peinture son unique muse, son unique maîtresse, sa seule et suffisante volupté.

Sans doute il avait beaucoup aimé la femme aux heures agitées de sa jeunesse. Qui n’a pas trop sacrifié à cette idole redoutable ? Et qui ne sait que ce sont justement ceux qui l’ont le mieux servie qui s’en plaignent le plus ? Mais longtemps déjà avant sa fin ; il avait exclu la femme de sa vie. Musulman, il ne l’eût peut-être pas chassée de sa mosquée, mais il se fût étonné de l’y voir entrer, ne comprenant pas bien quelle sorte de conversation elle peut tenir avec Allah.

En cette question, comme en beaucoup d’autres, l’idée orientale prenait en lui vivement et despotiquement le dessus. Il considérait la femme comme un objet d’art, délicieux et propre à exciter l’esprit, mais un objet d’art désobéissant et troublant, si on lui livre le seuil du cœur, et dévorant gloutonnement le temps et les forces.

Je me souviens qu’une fois, dans un lieu public, comme je lui montrais le visage d’une femme d’une originale beauté et d’un caractère mélancolique, il voulut bien en goûter la beauté, mais me dit, avec son petit rire, pour répondre au reste : « Comment voulez-vous qu’une femme puisse être mélancolique ? » insinuant sans doute par là que, pour connaître le sentiment de la mélancolie, il manque à la femme certaine chose essentielle.

C’est là, malheureusement, une théorie bien injurieuse, et je ne voudrais pas préconiser des opinions diffamatoires sur un sexe qui a si souvent montré d’ardentes vertus. Mais on m’accordera bien que c’est une théorie de prudence ; que le talent ne saurait trop s’armer de prudence dans un monde plein d’embûches, et que l’homme de génie possède le privilège de certaines doctrines (pourvu qu’elles ne troublent pas l’ordre) qui nous scandaliseraient justement chez le pur citoyen ou le simple père de famille.

Je dois ajouter, au risque de jeter une ombre sur sa mémoire, au jugement des âmes élégiaques, qu’il ne montrait pas non plus de tendres faiblesses pour l’enfance. L’enfance n’apparaissait à son esprit que les mains barbouillées de confitures (ce qui salit la toile et le papier), ou battant le tambour (ce qui trouble la méditation), ou incendiaire et animalement dangereuse comme le singe.

« Je me souviens fort bien, — disait-il parfois, — que quand j’étais enfant, j’étais un monstre. La connaissance du devoir ne s’acquiert que très-lentement, et ce n’est que par la douleur, le châtiment et par l’exercice progressif de la raison, que l’homme diminue peu à peu sa méchanceté naturelle. »

Ainsi, par le simple bon sens, il faisait un retour vers l’idée catholique. Car on peut dire que l’enfant, en général, est, relativement à l’homme, en général, beaucoup plus rapproché du péché originel.
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