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Citation de tiaconelli


Cependant on voyait Brigitte aller, tous les matins, ramasser du bois mort dans un bosquet de mélèzes qui était un peu au-dessus du village. Elle s'était ouvert ainsi, avec ses souliers bien trop grands pour elle, un petit chemin dans la neige ; et, comme elle faisait chaque jour plusieurs voyages, il se trouvait que le chemin durait, pareil à un bout de faux fil qu'on aurait oublié sur un drap de ménage.
Et ainsi le trajet était facile de chez elle jusque dans le bois ; mais c'était sous les mélèzes que commençaient les complications, à cause que les branches mortes se trouvaient prises dans la neige gelée, d'où généralement elles ne sortaient que par le bout ; de sorte qu'il lui fallait creuser tout autour avec ses mains.
On avait commencé par se moquer d'elle :
«Qu'est-ce que vous faites ? Vous manquez de bois ?
— Que non, disait-elle.
— Alors ? disait-on.
— C'est pour le cas où le soleil ne reviendrait pas.»
Toute courbée devant vous sous le poids de son fagot, sa jupe noire frottée d'une espèce de poussière grise, sa figure devenue toute jaune avec des taches de café sur le fond de la pente blanc :
«Et, continuait-elle, bien sûr que j'avais comme toujours ma provision pour jusqu'au printemps, mais s'il n'y a point de printemps, si au lieu de faire plus clair à ce moment-là il se met à faire nuit, si au lieu que la chaleur vienne le froid augmente... Il faut prendre ses précautions.»
Les femmes commençaient à être inquiètes :
«Voyons, est-ce vrai ? Voyons, disaient-elles, est-ce que c'est possible, des choses comme ça ?
— Il a dit que la terre peut parfaitement se mettre à pencher de côté parce qu'elle est en l'air.
— En l'air ?
— Oui, en l'air, supportée par rien, une boule qui tourne en l'air et pas fixe ; et, si on ne la voit pas bouger, nous autres, c'est seulement qu'on bouge avec... Alors, vous comprenez, rien qu'un coup de pouce...
— Comment savez-vous ça ?
— C'est Anzévui qui me l'a dit. Attendez, disait-elle, que j'aille poser mon fagot...»
Elle entrait chez elle, puis reparaissait, parce qu'elle aimait à causer ; il y avait toujours ce même ciel bas, immobile et sombre, sous lequel à présent beaucoup de femmes l'entouraient.
«Il ne parle plus guère, disait Brigitte, mais des fois il parle. Il tourne les pages de son livre, ça fait du bruit. Il est sous ses plantes devant son feu, oh ! disait-elle, c'est qu'il ne va pas tant bien, il s'affaiblit tous les jours un peu plus, il peut à peine se déplacer. Il va de son lit à son fauteuil et de son fauteuil à son lit. Il m'a dit : “Je ne durerai pas plus que le soleil. Quand ce sera sa fin, ce sera la mienne... Vous me trouverez mort en bas et, lui, vous le chercherez dans le ciel, mais il ne bougera pas davantage que moi.” Et je lui ai dit : “Quand est-ce que ce sera ?” et, lui, il m'a dit : “Attendez !” Vous comprenez, il recommence tout le temps ses calculs, avec un bout de crayon sur un bout de papier... Il dit que c'est là le difficile, il m'a dit que ça allait faire encore quinze semaines ; alors, moi, chaque dimanche, j'enfonce un clou et j'en ai déjà planté sept... Et moi, disait-elle, j'ai allumé ma lampe à huile, parce que j'ai encore toute une bonbonne d'huile de colza, pour qu'au cas où la nuit viendrait subitement, j'aie du moins ma lumière à moi.»
Elle avait fait comme elle disait. On voyait toutes les nuits la fenêtre de sa cuisine être éclairée, et toute la nuit elle était éclairée, puis le jour venait, mais elle ne s'éteignait pas. Tout le jour, elle continuait à luire avec persévérance dans la façade de bois noir, où elle continuait à être vue, tellement le jour était sombre, tandis que Brigitte tirait à elle un tabouret.
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