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Citation de armand7000


Charles Morice
Par la vallée du Punaru — la grande fissure qui divise Tahiti en deux parts — on parvient au plateau de Tamanoü. De là, on peut voir le Diadème, l’oroféna, l’Aroraï, — le centre de l’Île.

On m’en avait parlé bien souvent comme d’un lieu merveilleux, et je formai le projet d’aller, seul, y passer quelques jours.

— Mais, la nuit, que feras-tu ?

— Tu seras tourmenté par les Tupapaüs !

— Il n’est pas bon d’aller déranger les Esprits de la montagne… Il faut que tu sois fou !

Je l’étais probablement, en effet, car cette inquiète sollicitude de mes amis tahitiens ne faisait que surexciter ma curiosité.

Avant l’aube, une nuit, je m’orientai donc vers l’Aroraï.

Près de deux heures durant, je pus suivre un sentier qui longeait la rivière île Punaru. Mais ensuite je fus, å plusieurs reprises, oblige de traverser la rivière. De chaque côté, les murailles de la montagne s’éleva lent, toutes droites, appuyées jusqu’au milieu de l’eau, comme sur des ? contre-forts, sur d’énormes quartiers de rochers.

Force me fut, en définitive, de continuer mon voyage en pleine rivière. J’avais de l’eau tantôt jusqu’aux genoux, tantôt jusqu’aux épaules.

Entre les deux murailles, qui, d’en bas, m’apparaissaient étonnamment hautes et très resserrées à leur sommet, le soleil, en plein jour, pointait à peine. À midi, dans le ciel ardemment bleu, je distinguais le scintillement des étoiles.

Vers cinq heures, le jour baissant, je commençais à me préoccuper de rendrait où je passerais la nuit, quand j’aperçus, à droite, un hectare de terrain presque plat, où poussaient pêle-mêle les fougères, les bananiers sauvages et les bouraos. J’eus la chance de trouver quelques bananes mûres. À la hâte, je fis un feu de bois pour les cuire et ce fut mon repas.

Puis, tant bien que mal, au pied d’un arbre sur les basses branches duquel j’avais entrelacé des feuilles de bananier pour m’abriter en cas de pluie, je me couchai.

Il faisait froid et ma traversée dans l’eau me laissait grelottant.

Je dormis mal.

Mais je savais que l’aube ne tarderait pas et que je n’avais rien à craindre des hommes ni des animaux. Il n’y a ni carnassiers ni reptiles, à Tahiti. Les seuls « fauves » de l’île sont des porcs qui, lâchés dans la forêt, s’y sont multipliés en pleine sauvagerie. Tout au plus pouvais-je craindre qu’ils vinssent m’écorcher les jambes ; je passai à mon poignet la corde de ma hache.

La nuit était profonde. Impossible de rien distinguer, sauf, tout près de ma tête, une sorte de poussière phosphorescente qui m’intriguait singulièrement. Je souris en pensant aux contes des Maories sur les Tupapaüs ; ces esprits méchants qui s’éveillent avec les ténèbres pour tourmenter les hommes endormis. Leur capitale est au cœur de la montagne, que la forêt environne d’éternelles ombres. Là, ils pullulent, et leurs légions s’accroissent sans cesse des esprits de tous les morts.

Malheur au vivant qui se risque dans les lieux infestés par les démons !…

Et j’étais ce téméraire.

Aussi mes rêves furent-ils assez agités.

J’ai su. depuis, que cette poussière lumineuse émane de petits champignons d’une espèce particulière ; ils poussent, dans les endroits humides, sur les branches mortes, comme celles qui m’avaient servi à faire du feu.

Le lendemain, au petit jour, je me remettais en route.

La rivière de plus en plus accidentée, ruisseau, torrent, cascade, dessinait des sinuosité étrangement capricieuses et semblait parfois revenir sur elle-même. Le sentier me manquait sans cesse et c’était souvent des mains qu’il fallait m’aider pour avancer, passant de branche en branche à la force des poignets en touchant à peine et rarement le sol.

Du fond de l’eau, des écrevisses d’une taille extraordinaire me regardaient, semblant me dire : Que viens tu faire ici ? — et des anguilles séculaires fuyaient à mon approche.

Tout à coup, à un détour brusque, j’aperçus, dressée contre la paroi du rocher qu’elle caressait, plutôt qu’elle ne s’y retenait, des deux mains, une jeune fille, nue. Elle buvait à une source qui jaillissait silencieusement de très haut dans les pierres. Quant elle eut fini de boire, lâchant le rocher, elle prit de l’eau dans ses mains, et se la fit couler entre les seins. Puis — je n’avais pourtant fait aucun bruit — comme une antilope peureuse qui, d’instinct, devine, évente l’étranger, elle pencha la tête, scrutant le fourré où je me tenais immobile. Mon regard ne rencontra pas le sien. À peine m’eut-elle aperçu qu’aussitôt elle plongea, en criant ce mot :

— Taëhaë (féroce) !

Précipitamment je regardai dans la rivière : personne, rien — qu’une énorme anguille qui serpentait entre les petits cailloux du fond.

Non sans difficulté ni fatigue, je parvins enfin tout près de l’Aroraï, le sommet de l’Ile, la montagne formidable et sacrée.

C’était le soir, la lune se levait, et, en la regardant qui enveloppait mollement de ses lueurs légères le front rude du mont, je me rappelai la fameuse légende :

Paraü Him Téfatou (Hina disait à Téfatou)…
la légende très ancienne que les jeunes filles récitent volontiers, le soir, à la veillée, et à laquelle pour théâtre elles assignent le lieu même ou j’étais.

Et je crus voir :

Une tête puissante d’homme divin, la tête du héros à qui la Nature a conféré l’orgueil conscient de toutes ses forces, un glorieux visage de géant, brisent les dernières lignes de l’horizon, et comme au seuil du monde ; une femme caressante et faible saisit doucement le Dieu aux cheveux et lui parle :

— Faites revivre l’homme quand il sera mort…

Et les lèvres courroucées, mais non cruelles, du Dieu vont s’ouvrir pour répondre :

— L’homme mourra.
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