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Citation de AnitaDANIEL


Covid : le graal évanoui du retour des jours heureux
Christian Lehmann est médecin et écrivain. Pour «Libération», il tient la chronique régulière d’une société suspendue à l’évolution du coronavirus. Aujourd’hui, il constate que l’échappement immunitaire d’omicron ruine le pari de baisse des restrictions opéré par l’exécutif.
publié le 30 mars 2022
Le Covid est donc devenu, au bout de deux ans, une maladie courante. C’est-à-dire une maladie qu’on décide collectivement de laisser courir. Depuis novembre dernier, le gouvernement a fait le pari qu’omicron serait «une chance». Une magnifique opportunité d’acquérir sans coup férir une immunité collective. Le variant semblait occasionner des formes relativement moins sévères que ses prédécesseurs, même si on pouvait d’emblée se poser la question de savoir si omicron était vraiment moins redoutable, ou si, comme le contre-exemple hongkongais allait le démontrer ensuite, sa moindre dangerosité était en grande partie liée au statut vaccinal de la population. De novembre à janvier les contaminations ont explosé. Près d’un tiers de la population française a eu le Covid. Mais parce que cette fois-ci les services de réanimation n’étaient pas submergés, le gouvernement et une majorité de Français se sont laissés convaincre que la stratégie suivie était la bonne, certains, vaccinés ou pas, se sentant même soulagés de l’avoir attrapé pour être enfin tranquilles.
Optimisme imprévoyant
Car c’était le Graal que nous vendaient en boucle sur les plateaux les zélateurs de cette politique du laisser-faire : à la suite de cette chaîne de contaminations, avec les morts afférentes, il y aurait la lumière au bout du tunnel. Chacun serait enfin à même de reprendre une vie normale. Les voix de la prudence ont été submergées, en même temps que le Covid était banalisé. Ceux qui s’inquiétaient des 250 morts quotidiennes se voyaient répondre qu’il fallait bien mourir un jour, et que la plupart de ces morts survenaient chez des sujets très âgés ou à fortes comorbidités, qui ne mouraient pas «du Covid», mais «avec le Covid». Ceux qui critiquaient vertement l’absence de protocole sanitaire cohérent à l’école, et la traînée d’infections qui en découlait au sein des familles, étaient taxés d’enfermistes, leur insensibilité supposée à la souffrance morale des enfants masqués était pointée du doigt. Ils avaient beau répéter que le Covid touchait de plus en plus d’enfants jeunes en bonne santé, égrener les chiffres préoccupants des hospitalisations d’enfants, des décès, pointer le risque de PIMS (syndromes inflammatoires multi-systémiques pédiatriques) ou de Covid long, le ministre de l’Education nationale restait droit dans ses tongs, le gouvernement derrière lui.
Vingt-cinq millions d’infectés plus tard, le ministre de la Santé annonça le retour prochain des jours heureux en se félicitant d’avoir tenu le cap pendant la tempête : «Je crois pouvoir vous dire que nous avons fait le plus dur depuis le début de cette pandémie et nous avons fait le plus dur depuis le début de la vague omicron.» L’annonce dès la mi-février de la fin du pass vaccinal et de l’obligation du port de masque en lieu clos a mis un coup d’arrêt à la campagne vaccinale, alors que 95 % des enfants de moins de douze ans n’étaient toujours pas vaccinés, en l’absence d’une communication claire envers les parents sur l’absence d’effet indésirable dans cette tranche avec les faibles doses pédiatriques utilisées. Et ce qui devait arriver arriva.
RETOUR DE FLAMME
Le relâchement prématuré du respect des mesures barrière par une population fatiguée des ordres et contre-ordres, à qui on faisait miroiter «la fin du Covid» entraîna un arrêt de la baisse des cas, puis un rebond, que le ministre nia avant de préciser que ce rebond, bien présent, ne constituait pas une vague. A la télévision, Martin Blachier expliquait que ce rebond était un «hasard attendu», mais ne remettait pas en cause l’immunité naturelle acquise. Les contaminations remontant, on fit venir en plateau des modélisateurs qui expliquèrent qu’il ne fallait pas paniquer, que le nouveau variant omicron ne pourrait aller bien loin, ayant déjà infecté trop de monde pour pouvoir diffuser beaucoup plus avant. Mi-mars, Olivier Véran expliquait doctement que l’on pouvait d’ores et déjà prévoir que la hausse des contaminations stopperait à la fin mars. Mais rappelait que tout un chacun pouvait continuer à porter le masque s’il le voulait. Dans la foulée, Gabriel Attal surenchérissait dans l’absurde : «J’ai entendu pendant deux ans les commentateurs expliquer qu’avec les mesures on infantilisait les Français. Nous considérons qu’aujourd’hui les plus fragiles savent comment se protéger, et nous leur recommandons de le faire.» Or, le port du masque, s’il réduit le risque d’infection pour le porteur, n’est pas une panacée. Le port du masque est aussi une protection altruiste, pour éviter d’infecter les autres. Lorsque le gouvernement fait sauter cette protection croisée en lieu clos, il prend la responsabilité de laisser filer les contaminations.
INVISIBLES REINFECTIONS
Tout cet échafaudage intellectuel, ce pari épidémiologique, aurait pu tenir, si omicron entraînait une immunité durable. Or à l’évidence ce n’est pas le cas. Tout autour de nous, nous voyons ce que nous n’avions quasiment jamais vu auparavant. Des personnes qui ont fait un Covid en octobre, en novembre, en décembre, voir en janvier, et qui sont à nouveau infectées et symptomatiques après avoir été guéries. Ces réinfections, rares jusqu’ici, sont aujourd’hui monnaie courante, au point que le système de comptage des infections n’arrive plus à les inclure dans ses statistiques, invisibilisant une partie de ces nouvelles contaminations.
C’est ce qu’explique Maxime Libert, 39 ans, biologiste médical : «Le système de centralisation des données des tests Covid (Sidep) a été conçu dès le départ pour éviter les doublons de déclarations. Un même patient peut en effet faire plusieurs tests de façon rapprochés, au cours d’un même épisode infectieux. A l’aulne des données de 2020, il avait été décidé qu’un nouveau test positif ne serait pas intégré à la base Sidep durant les deux mois suivant un diagnostic positif initial, alors que les résultats négatifs, eux, sont toujours intégrés. Or l’échappement immunitaire entre les variants delta puis omicron dans un premier temps, puis entre les sous-variants omicron BA.1 et BA.2 désormais, conduit à des réinfections à très court terme chez le même individu, parfois après quelques semaines seulement. Et le seuil des deux mois n’ayant pas été modifié, cela entraîne des difficultés pour la prise ne charge administrative des patients – arrêts de travail, isolement – et conduit à sous-estimer grandement les (ré) infections actuelles.» Les chiffres, déjà effarants, que l’on égrène à nouveau chaque soir, sont donc minimisés par rapport à la réalité. Nous sommes à moins de deux semaines du premier tour des présidentielles, et le port du masque dans l’isoloir «n’est pas à l’ordre du jour», selon Gabriel Attal. Tout ceci a un petit air de mars 2020, l’épuisement et l’incrédulité en plus.
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