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EAN : 9782823618914
516 pages
Editions de l'Olivier (11/03/2022)
4.62/5   4 notes
Résumé :
Médecin engagé, Christian Lehmann la pandémie en même temps qu'il l'affronte. Face à l'angoisse, il démonte avec calme et humour les fausses informations qui circulent. Lanceur d'alerte investi, il dénonce les manquements du gouvernement autant que les théories complotistes. Faisant appel aux témoignages de collègues, de patients, d'enseignants, d'activistes, il dresse le tableau d'une société fragmentée sur fond d'effondrement du système de santé.

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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Je suis membre du collectif Zéro Covid solidaire et depuis le début de la pandémie nous postons et partageons tous les textes que nous voyons passer nous paraissant dignes d'être publiés et de guider notre action. Les chroniques de Christian Lehmann en font partie. Elles sont une vraie bouffée d'air frais.
Je ne peux résister à l'envie de partager ici sa chronique parue dans Libération d'hier lundi 7 mars 2022 :
Covid-19: face à ceux qui nient l'évidence, un réanimateur raconte la «souffrance de notre impuissance et du mensonge»
Journal d'épidémie, par Christian Lehmann
Christian Lehmann est médecin et écrivain. Pour «Libération», il tient la chronique régulière d'une société suspendue à l'évolution du coronavirus.
Aujourd'hui, il donne la parole à Igor Auriant, réanimateur dans une clinique de Rouen.
La pandémie a 2 ans et disparaît momentanément des radars, tant notre envie d'en avoir enfin fini submerge les signaux d'alerte clignotant ici et là sur le globe. Et la guerre éclate. Avec ses morts, que nient certains de ceux-là mêmes qui, hier, niaient les morts du Covid. le Covid, expliquent-ils, c'est comme l'Ukraine, une mascarade pour détourner le peuple des vrais sujets. «Tout s'éclaire peu à peu. Comment ne pas comprendre tout ce qu'il nous arrive : #Covid pour nous transformer en agneaux par la peur et #Ukraine pour nous conditionner. Ces gens de #Davos manipulent le monde pour nous asservir», tweete ainsi la toujours perspicace Christine Boutin en affichant son soutien à Zemmour.
Igor Auriant a 60 ans, il a été médecin humanitaire en Iran, en Haïti, en pleine guerre, au Liberia… Il est aujourd'hui réanimateur, responsable d'une unité de soins continus dans une clinique privée à Rouen. Pendant deux ans, il a fait face dans son service au virus, et aux conséquences de la désinformation. A ma demande, il a pioché dans ses souvenirs. «Vous y croyez encore ?» «Mars 2021. Abdel a 40 ans, il est Covid positif. Il n'est pas vacciné car c'est encore trop tôt, il n'est pas éligible. Son frère est mort quelques mois plus tôt en réanimation alors il a peur. Admis en détresse respiratoire dans le service, il ne peut plus respirer, il s'essouffle au moindre mot, il lutte, il s'asphyxie. Quarante litres d'oxygène dans le nez, il ne veut pas d'intubation, il ne veut pas partir dans cet au-delà où, endormi, tu ne contrôles rien. Il le sait, on lui a dit, il l'a lu, l'intubation, c'est pour les morts. Jour après jour, son cas s'aggrave. Toute l'équipe souffre autour de lui. Chaque nuit est difficile. Il désature, il respire mal, ne s'alimente plus, il suffoque. «Il est tôt ce matin-là quand Abdel m'appelle : “Allez docteur, on y va, j'en peux plus.” Et nous l'intubons. Dans cette guerre au quotidien, c'est notre plus jeune patient en bonne santé. Pour l'équipe, c'est un peu leur miroir dans ce lit. Endormi, mis sur le ventre et en alternance sur le dos, toutes les huit heures, tous les jours, sous sédation maximale et curarisation, un combat. Son corps s'abime lentement, ses muscles s'atrophient. Puis viennent les complications, infection secondaire puis insuffisance rénale. Ça fait un mois maintenant et on n'en voit toujours pas le bout. L'équipe est à fond, 24 heures sur 24, le massant, réajustant la ventilation, organisant les diverses drogues. Son seul ami vient le voir tous les jours, s'assied dans la chambre, pleure. Chaque jour, on lui dit que c'est grave, qu'on ne sait pas, qu'on se bat. Il est algérien, il a poussé tous ses potes à se faire vacciner, c'est notre plus fervent défenseur, il sait. Et une nuit, alarme, arrêt cardiaque, Abdel s'en va… On se bat, massage cardiaque, vingt minutes… et c'est reparti. On se retrouve à 4 heures du matin dans l'office devant un café, l'équipe craque. “Ça fait déjà un mois, pourquoi on ne le laisse pas partir ? Vous y croyez encore ? On n'en peut plus, lui non plus, il ne va jamais récupérer !” Alors on prend le temps de dire nos doutes, nos espoirs. On décide de faire tourner les équipes pour diminuer notre souffrance, pour ne pas être confronté chaque jour à la même douleur, aux mêmes larmes, à notre impuissance et au temps si long. Cette nuit-là, j'ai même appelé sa femme qu'il ne voyait plus depuis dix ans avec sa fille. Elles sont maintenant là tous les jours. Et on ne sait pas s'il va se réveiller. Et puis les choses s'améliorent. On lui fait une trachéotomie, puis on le sèvre du respirateur. Enfin, il respire tout seul. Il bouge légèrement ses membres, séquelle de son coma profond. Il peut à peine relever les bras ou utiliser ses mains ou tenir assis. «Chaque jour, il me demande s'il va rester paralysé. Enfin, il est parti en rééducation pour réapprendre à marcher, à s'alimenter. Il revient nous voir deux mois plus tard pour nous inviter au resto, il marche, il a amené un couscous pour toute l'équipe. Putain, le plus beau couscous de notre vie ! Il a écrit dans un journal en Algérie, il nous appelle “les Anges blancs”. le poids du mensonge «Dans la chambre d'à côté, Pierre, un homme de 60 ans, même maladie. Mais lui a décidé de ne pas se faire vacciner. Il a une insuffisance rénale, un coeur un peu fatigué. Il élève seul sa fille de 16 ans, il va bien. Pour lui, nous sommes tous des cons. Il le sait, Internet lui a dit, on ne touche pas à sa liberté. Son état s'aggrave, 50 litres d'oxygène à la minute et il n'arrive plus à respirer. Il ne nous croit pas, sa famille opposée aux vaccins est présente. Des jours d'insultes, de remise en question de notre engagement, de remise en question de leur croyance, et enfin le combat ensemble pour la vie. Ils sont présents pour l'aider à manger, le soutenir, lui parler, lui raconter. Chaque jour, il s'épuise un peu plus, l'équipe harassée le voit partir doucement sans savoir quoi faire. Elle se bat, ne quitte pas la chambre, le mobilise, le fait manger, le lave, le masse. Il faut passer ce cap. de jour en jour, il est de plus en plus faible, ne survit que grâce à l'oxygène à haut débit qui inonde ses poumons. Après la visite ce matin, je passe dans la réserve. Au fond, cachée dans un coin, recroquevillée par terre, une infirmière pleure, seule, dépassée, dévastée. Cette douleur, cette colère que tu ne racontes pas à tes enfants, que tu tais, que tu assumes. le poids du mensonge des autres, de ceux qui te promettent un procès parce que tu soignes. «L'équipe l'entoure, le chouchoute, le rassure chaque fois que le souffle est trop court. Les infirmières, les aides-soignantes lui tiennent la main, lui apportant un peu de réconfort, beaucoup d'amour. Elles sortent de sa chambre en retenant leurs larmes, impuissantes. Elles savent que s'il avait accepté d'être vacciné, les choses se passeraient sans doute autrement. Elles désespèrent de lui faire vivre cette fin inacceptable, cette perte de chance inqualifiable. Cette souffrance de ceux qui soignent et savent, du traitement refusé, de notre impuissance, du mensonge. Coup de dague «Une nuit Pierre se lève, arrache son oxygène. Il tombe et meurt au pied de son lit quasi instantanément. Au milieu de la nuit, je prends mon téléphone, j'appelle la famille, j'entends le silence. La famille arrive, je reconnais ce hurlement que seule la douleur provoque, je retiens mes larmes, leur offre un café. Et puis, nous continuons de soigner… les autres. Au matin, l'équipe de nuit rentre chez elle comme si de rien n'était pour revenir le soir. Ils s'occupent de leurs enfants, de leurs familles puis reviennent, taisant leur souffrance. Gardant pour eux l'image de cet homme implorant, épuisé, luttant pour ne pas s'asphyxier. Cet homme à qui tu as tenu la main comme à un ami, et que tu perds sans pouvoir rien y faire en sachant qu'il aurait pu ne jamais être là. Il reste cette douleur qui met tout un service par terre, des soignants en première ligne qui pleurent sans comprendre comment on en est arrivé là, des familles détruites parce que quelques escrocs avaient besoin d'exister. «Chaque chiffre égrené de façon banale est la mort d'un homme. Chacune de ces douleurs que nous avons partagées est unique. Et un coup de dague de plus dans nos armures, qui ne sont pas invulnérables. Les infirmières, les aides-soignantes, les médecins savent tous le poids d'une seule de ces morts. Ils connaissent le désespoir qui te submerge. Ils savent qu'ils n'en peuvent plus, qu'ils ne tiendront pas, et ils quittent le navire.»
Lien : https://www.liberation.fr/so..
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Citations et extraits (2) Ajouter une citation
L’illusion rassurante de la fin du Covid
Journal d'épidémie, par Christian Lehmann - Libération, mercredi 9 mars 2022
Christian Lehmann est médecin et écrivain. Pour «Libération», il tient la chronique régulière d’une société suspendue à l’évolution du coronavirus. Aujourd’hui, il met en garde sur une réalité alternative où la vie normale serait de retour, alors que les contaminations ne baissent plus et que de possibles nouveaux variants peuvent surgir.
Ce sont deux univers parallèles, deux réalités alternatives qui jamais ne s’interpénètrent. Dans le premier univers, la pandémie est terminée. C’est de l’histoire ancienne, une série qui s’est éternisée au-delà de son heure de gloire. La dernière saison a été considérée un peu longuette, amorphe, sans rebondissements majeurs, la faute à un antagoniste, le variant omicron, jugé faiblard, inconsistant, pas à la hauteur des enjeux. Le public en a marre, le fait savoir, d’autant que d’autres arcs narratifs s’imposent : la campagne présidentielle et la guerre en Ukraine. Elisabeth Borne vient annoncer sur LCI la fin prochaine du masque en intérieur, en entreprise comme ailleurs, en mettant en avant que des guides pratiques seront toujours consultables sur l’hygiène des mains et le nettoyage des surfaces, un peu comme les affiches d’aéroport d’Agnès Buzyn en mars 2020. Un «guide repère sur les mesures de prévention des risques de contamination au Covid-19 hors situation épidémique» (car dans cet univers nous sommes sortis d’une situation épidémique) remplacera le protocole national en entreprise. Fin annoncée des règles de distanciation, des règles dans la restauration collective, le protocole sanitaire mis en place au printemps 2020 va disparaître. «A partir de lundi 14, on va retrouver une vie normale en entreprise», conclut la ministre, devant Elizabeth Martichoux qui se laisse aller à l’émotion : «C’est quand même une très bonne nouvelle… S’il n’y avait pas ce contexte international d’une gravité majeure, on pourrait parler d’un retour des jours heureux en entreprise.» S’embêter pour un rhume Dans cet univers, le nouveau départ vers des lendemains qui chantent a été annoncé depuis plusieurs semaines déjà, depuis qu’Olivier Véran a programmé la fin du pass vaccinal et du masque pour la mi-mars et le début de la campagne présidentielle, sans jamais trop s’attarder sur des seuils ou des objectifs chiffrés. Dans la foulée les centres de vaccination, quasiment vides, ferment. Le dispositif de surveillance Covid s’étiole, on ne va pas s’embêter pour un rhume. L’inquiétude légitime liée à l’invasion Russe en Ukraine balaie la menace Covid, comme si la nature et l’histoire ne pouvaient avoir la cruauté de nous infliger les deux concomitamment. Maintenant qu’on se tape Poutine, faut arrêter un peu avec Sars-CoV-2, ça devient gênant. Et une majorité de Français semble décidée à adhérer à cette version des faits, ayant intégré ce qu’on n’a cessé de leur répéter, à savoir que la population, entre vaccination et vague omicron qu’on a plus ou moins laissé déferler sans intervenir, a acquis une forme d’immunité collective, et aussi qu’un virus finit toujours par muter pour une forme plus bénigne. La série s’éternise Dans le second univers, la pandémie n’est pas terminée. La série s’éternise, certes, elle rabâche, mais personne ne sait si un nouveau protagoniste ne va pas surgir, ou n’a pas déjà surgi, quelque part sur le globe. Personne ne sait s’il sera plus ou moins virulent que ces prédécesseurs, qui ne partagent pas la même lignée mais sont apparus indépendamment les uns des autres, comme les prochains probablement. Les efforts pour vacciner la population mondiale ont certes porté partiellement leurs fruits mais de manière très hétérogène, et beaucoup plus lentement qu’espéré dans les pays pauvres. Le déclenchement de la guerre en Europe, avec son cortège de déplacements de populations, des millions de personnes acculées à fuir dans des conditions sanitaires et météorologiques très difficiles, occasionne un brassage viral inédit dont on ne peut imaginer les conséquences. Les difficultés liées aux restrictions économiques pour les populations les plus faibles peuvent s’avérer catastrophiques. En France, la courbe des nouvelles contaminations cesse de baisser, stagne quelques jours sur un plateau encore considéré l’an dernier comme très haut, autour de 70 000 par jour ; puis redémarre à 93 000 le 8 mars. Le variant omicron initial, BA.1, est apparemment remplacé par deux variants plus récents, BA.1.1 et BA.2, dont la gravité ne semble pas plus forte, mais dont la contagiosité, au moins pour l’un d’entre eux, apparaît supérieure. L’immunité conférée par les près de 15 millions d’infections de ces derniers mois, majoritairement omicron, apparaît d’ores et déjà assez fugace, avec des personnes réinfectées par un nouveau variant moins de deux mois après un premier Covid, alors même qu’elles s’imaginaient au moins temporairement hors d’atteinte. Brassage des vacances. Dans ce second univers, qui plus est, si un schéma vaccinal complet représente toujours une très efficace protection contre les formes graves, de nombreuses études commencent à détailler les séquelles cumulatives d’infections Covid, sur le système pulmonaire, sur le système vasculaire, sur le système neurologique. Etre infecté par le Covid de manière répétée, même sous une forme mineure, peut n’être pas absolument sans danger et sans séquelle pour l’organisme. Et dans cet univers, outre les centaines de milliers d’immunodéprimés, des millions d’enfants ne sont toujours pas vaccinés, car qui ferait vacciner un enfant en bonne santé pour une pathologie présentée comme mineure et en voie d’éradication spontanée ? Dans cet univers, donc, les courbes des nouvelles contaminations recommencent à monter, principalement chez les jeunes, et en fonction de la reprise scolaire après les brassages des vacances. Deux univers parallèles, deux réalités alternatives qui jamais ne s’interpénètrent, et dont la première, à l’évidence, apparaît beaucoup plus rassurante, beaucoup plus accueillante, que la seconde, et emporte la majorité des suffrages. Dans ce contexte, le rôle de l’Etat, des pouvoirs publics, tout en enlevant le pass vaccinal, dispositif mal conçu et rendus obsolète d’emblée par les caractéristiques des nouveaux variants, qui peuvent infecter les vaccinés, devrait être de rappeler sans cesse que la pandémie n’est pas terminée, mais surtout de mettre en place les moyens structurels d’y faire face sur le long terme : maintien des systèmes d’alerte et de surveillance, conscientisation des citoyens, grand chantier de l’aération des bâtiments, information sur l’intérêt du masque en lieu clos. Au lieu de quoi nous avons droit, au mieux à des clichés sur le nettoyage des surfaces (bientôt on va nous expliquer qu’il faut éternuer dans son coude), au pire à une irritation à peine voilée face aux mauvais Français, froussards et hypocondriaques, qui restent conscients que, comme la peste et le choléra, Poutine et Sars-CoV-2 peuvent nous occuper encore un bon moment.
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Covid : le graal évanoui du retour des jours heureux
Christian Lehmann est médecin et écrivain. Pour «Libération», il tient la chronique régulière d’une société suspendue à l’évolution du coronavirus. Aujourd’hui, il constate que l’échappement immunitaire d’omicron ruine le pari de baisse des restrictions opéré par l’exécutif.
publié le 30 mars 2022
Le Covid est donc devenu, au bout de deux ans, une maladie courante. C’est-à-dire une maladie qu’on décide collectivement de laisser courir. Depuis novembre dernier, le gouvernement a fait le pari qu’omicron serait «une chance». Une magnifique opportunité d’acquérir sans coup férir une immunité collective. Le variant semblait occasionner des formes relativement moins sévères que ses prédécesseurs, même si on pouvait d’emblée se poser la question de savoir si omicron était vraiment moins redoutable, ou si, comme le contre-exemple hongkongais allait le démontrer ensuite, sa moindre dangerosité était en grande partie liée au statut vaccinal de la population. De novembre à janvier les contaminations ont explosé. Près d’un tiers de la population française a eu le Covid. Mais parce que cette fois-ci les services de réanimation n’étaient pas submergés, le gouvernement et une majorité de Français se sont laissés convaincre que la stratégie suivie était la bonne, certains, vaccinés ou pas, se sentant même soulagés de l’avoir attrapé pour être enfin tranquilles.
Optimisme imprévoyant
Car c’était le Graal que nous vendaient en boucle sur les plateaux les zélateurs de cette politique du laisser-faire : à la suite de cette chaîne de contaminations, avec les morts afférentes, il y aurait la lumière au bout du tunnel. Chacun serait enfin à même de reprendre une vie normale. Les voix de la prudence ont été submergées, en même temps que le Covid était banalisé. Ceux qui s’inquiétaient des 250 morts quotidiennes se voyaient répondre qu’il fallait bien mourir un jour, et que la plupart de ces morts survenaient chez des sujets très âgés ou à fortes comorbidités, qui ne mouraient pas «du Covid», mais «avec le Covid». Ceux qui critiquaient vertement l’absence de protocole sanitaire cohérent à l’école, et la traînée d’infections qui en découlait au sein des familles, étaient taxés d’enfermistes, leur insensibilité supposée à la souffrance morale des enfants masqués était pointée du doigt. Ils avaient beau répéter que le Covid touchait de plus en plus d’enfants jeunes en bonne santé, égrener les chiffres préoccupants des hospitalisations d’enfants, des décès, pointer le risque de PIMS (syndromes inflammatoires multi-systémiques pédiatriques) ou de Covid long, le ministre de l’Education nationale restait droit dans ses tongs, le gouvernement derrière lui.
Vingt-cinq millions d’infectés plus tard, le ministre de la Santé annonça le retour prochain des jours heureux en se félicitant d’avoir tenu le cap pendant la tempête : «Je crois pouvoir vous dire que nous avons fait le plus dur depuis le début de cette pandémie et nous avons fait le plus dur depuis le début de la vague omicron.» L’annonce dès la mi-février de la fin du pass vaccinal et de l’obligation du port de masque en lieu clos a mis un coup d’arrêt à la campagne vaccinale, alors que 95 % des enfants de moins de douze ans n’étaient toujours pas vaccinés, en l’absence d’une communication claire envers les parents sur l’absence d’effet indésirable dans cette tranche avec les faibles doses pédiatriques utilisées. Et ce qui devait arriver arriva.
RETOUR DE FLAMME
Le relâchement prématuré du respect des mesures barrière par une population fatiguée des ordres et contre-ordres, à qui on faisait miroiter «la fin du Covid» entraîna un arrêt de la baisse des cas, puis un rebond, que le ministre nia avant de préciser que ce rebond, bien présent, ne constituait pas une vague. A la télévision, Martin Blachier expliquait que ce rebond était un «hasard attendu», mais ne remettait pas en cause l’immunité naturelle acquise. Les contaminations remontant, on fit venir en plateau des modélisateurs qui expliquèrent qu’il ne fallait pas paniquer, que le nouveau variant omicron ne pourrait aller bien loin, ayant déjà infecté trop de monde pour pouvoir diffuser beaucoup plus avant. Mi-mars, Olivier Véran expliquait doctement que l’on pouvait d’ores et déjà prévoir que la hausse des contaminations stopperait à la fin mars. Mais rappelait que tout un chacun pouvait continuer à porter le masque s’il le voulait. Dans la foulée, Gabriel Attal surenchérissait dans l’absurde : «J’ai entendu pendant deux ans les commentateurs expliquer qu’avec les mesures on infantilisait les Français. Nous considérons qu’aujourd’hui les plus fragiles savent comment se protéger, et nous leur recommandons de le faire.» Or, le port du masque, s’il réduit le risque d’infection pour le porteur, n’est pas une panacée. Le port du masque est aussi une protection altruiste, pour éviter d’infecter les autres. Lorsque le gouvernement fait sauter cette protection croisée en lieu clos, il prend la responsabilité de laisser filer les contaminations.
INVISIBLES REINFECTIONS
Tout cet échafaudage intellectuel, ce pari épidémiologique, aurait pu tenir, si omicron entraînait une immunité durable. Or à l’évidence ce n’est pas le cas. Tout autour de nous, nous voyons ce que nous n’avions quasiment jamais vu auparavant. Des personnes qui ont fait un Covid en octobre, en novembre, en décembre, voir en janvier, et qui sont à nouveau infectées et symptomatiques après avoir été guéries. Ces réinfections, rares jusqu’ici, sont aujourd’hui monnaie courante, au point que le système de comptage des infections n’arrive plus à les inclure dans ses statistiques, invisibilisant une partie de ces nouvelles contaminations.
C’est ce qu’explique Maxime Libert, 39 ans, biologiste médical : «Le système de centralisation des données des tests Covid (Sidep) a été conçu dès le départ pour éviter les doublons de déclarations. Un même patient peut en effet faire plusieurs tests de façon rapprochés, au cours d’un même épisode infectieux. A l’aulne des données de 2020, il avait été décidé qu’un nouveau test positif ne serait pas intégré à la base Sidep durant les deux mois suivant un diagnostic positif initial, alors que les résultats négatifs, eux, sont toujours intégrés. Or l’échappement immunitaire entre les variants delta puis omicron dans un premier temps, puis entre les sous-variants omicron BA.1 et BA.2 désormais, conduit à des réinfections à très court terme chez le même individu, parfois après quelques semaines seulement. Et le seuil des deux mois n’ayant pas été modifié, cela entraîne des difficultés pour la prise ne charge administrative des patients – arrêts de travail, isolement – et conduit à sous-estimer grandement les (ré) infections actuelles.» Les chiffres, déjà effarants, que l’on égrène à nouveau chaque soir, sont donc minimisés par rapport à la réalité. Nous sommes à moins de deux semaines du premier tour des présidentielles, et le port du masque dans l’isoloir «n’est pas à l’ordre du jour», selon Gabriel Attal. Tout ceci a un petit air de mars 2020, l’épuisement et l’incrédulité en plus.
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Moderateur : Olivier Cotte Intervenants : Christian Lehmann, Nicolas Martin, Claire North, Stéphanie Simon
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