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Citation de Nemorino


D’où lui venait cette passion pour les vignes et ceux qui se penchaient sur elles ? Pourquoi se contentait-elle de les surveiller au lieu de se mêler à eux comme lorsqu’elle était enfant ? Elle sentit des larmes douces-amères éclore dans ses yeux à l’instant où se fit entendre la première complainte de la montagne. […] Elle s’aperçut alors qu’elle connaissait tout de ces gens, de leurs coutumes, de leurs rites et de leurs petits bonheurs. Elle se sentit riche, infiniment, non point de sa position, mais de son appartenance à ce monde qu’elle aimait plus que tout, elle le découvrait aujourd’hui en étant rejetée sur sa rive comme une branche morte par une rivière. […]
Pour une grappe oubliée par une coupeuse – à condition qu’elle eût plus de sept grains, les autres étant réservées au grappillage des pauvres de la commune –, un porteur avait le droit de « mascarer » la fautive, c’est-à-dire de barbouiller son visage du raisin le plus noir. Encore fallait-il l’attraper ! Les autres porteurs se mêlaient à la poursuite et ils n’étaient pas trop de trois ou quatre pour maîtriser la belle qui se débattait, avant de disparaître entre les ceps pour de mystérieux échanges au cours desquels naissaient parfois des idylles. Certains porteurs préféraient « chaponner » les fautives, autrement dit les mordre très légèrement au front ou sur la joue. Cela dépendant de l’âge ou de l’humeur. Mais tous les vendangeurs assistaient aux poursuites en criant et en riant, malgré la présence du régisseur qui ne pouvait s’opposer à ces rites antiques.
Quand la fille eut disparu entre les ceps, Charlotte ne put s’empêcher de penser à ce jour où, à treize ans, parmi les enfants qui jouaient à imiter les adultes, elle avait été mascarée pour la première fois par un fils de montagnard qui ne savait pas qui elle était. Ce qu’elle avait appris ce jour-là, elle ne l’avait jamais oublié, et elle se disait parfois que le meilleur de sa vie se trouvait sans doute entre deux ceps de son domaine, du jus de raisin plein la bouche, maintenue par des bras vigoureux, les yeux grands ouverts sur le feu du soleil et le regard de l’homme. Elle se demandait si ce moment, ce souvenir, ne serait pas le seul qu’elle emporterait, à l’heure de quitter cette terre, et, chaque fois qu’elle y pensait, quelque chose de doux et de sacré remuait dans son cœur.
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