Christine d` Abo

— Arrête. Arrête, s’il te plaît.
Il avait posé ses mains sur ma tête pour m’écarter de lui.
Je le relâchai dans un plop sonore.
— C’est une première pour moi. Je n’avais jamais utilisé un fruit, et on ne m’avait encore jamais suppliée d’arrêter.
Délicatement, je soulevai le pamplemousse et le jetai sur le côté.
— Ça va ?
Harrison avait posé le bras devant ses yeux et prenait avidement de profondes inspirations.
— Je suis mort.
— Oh, c’est fantastique, me récriai-je en m’essuyant la bouche avec une serviette. Je n’avais encore jamais tué personne non plus.
— Tu es une menace pour tous les hommes. Tu pourrais être une tueuse en série. Regarde ma pauvre queue.
Il remua son sexe mou entre ses doigts.
— Mort par fellation. Au fond, je ne pense pas que beaucoup d’hommes me dénonceraient. 

 J’éclatai de rire. C’était Rob tout craché. Je l’imaginais aisément en train de chercher de nouvelles idées pour ses fiches tout en subissant sa chimio. À bien y réfléchir, voilà qui expliquait toutes ces pop-up Internet que j’avais dû nettoyer de son ordinateur portable après sa mort. 

Première partie : La proposition :
Chapitre 1 :
" - Ne l'ouvre pas avant d'être prête. Bon sang, tu ne voudras peut-être jamais l'ouvrir. Mais...
Il serra ma main, incapable pour la première fois depuis très longtemps d'affronter mon regard.
- Tu as dit que tu ne pensais avoir un jour envie de te remettre avec quelqu'un, je le sais bien.
- C'est vrai.
Cette idée me rendait malade.
- Bébé, tu ne devrais pas être seule. Tu as trop de lumière et d'amour en toi. La perspective que tu te retrouves toute seule, sans avoir quelqu'un avec qui partager la joie que tu as à donner ? Non. Je te connais. Le moment viendra où tu te rendras compte que tu es prête à passer à autre chose...
- Non.
-... et je sais que tu éprouveras de la culpabilité. Tu refouleras tes sentiments le plus longtemps possible, en te disant que tu n'as besoin de personne. Et un jour, quelque chose se produira. Tu rencontreras quelqu'un et, dans ton adorable petit cerveau, tu te diras : «Tiens, joli petit cul», et voilà. Tu pleureras beaucoup, mais tu prendras conscience que tu es enfin prête.
- Voyons, je ne pleurais pas.
Parce que ça n'arriverait pas. Jamais.
- Même pas pour un joli cul.
Il ricana, osant enfin me regarder dans les yeux.
- Si, tu pleureras. Mais tu te rappelleras cette conversation et tu sauras que j'avais raison. Alors, je vais tout de suite te dire : «Je te l'avais dit.» Puis, je veux que tu prennes cette enveloppe et que tu l'ouvres.
- Rob...
- Ça parle de sexe.
J'en restai bouche bée.
- Quoi ?
- Juste quelques idées pour toi, des suggestions érotiques, à méditer pendant mon absence. Pour que tu te remettes en selle. Et que tu chevauches le cow-boy. Ce genre de choses.
Je n'étais pas prête à penser à son départ, et encore moins à vouloir coucher avec quelqu'un d'autre."

Chapitre 2 :
" Chère petite Glenna,
Je sais que je te l'ai déjà dit, mais j'ai toujours été secrètement ravie que ce soit à toi que l'on ait donné mon prénom. Ce n'est pas que j'éprouve un attachement particulier à ce nom, mais dès que je t'ai vue, toute petite, j'ai su que nous étions des âmes sœurs.
...
Je n'ai pas envie que tu atteignes mon âge en étant pleine de regrets.
Aujourd'hui, demain, la semaine prochaine, je veux que tu sorte et fasses quelque chose qui te permette de dire : «Mémé Glenna aurait adoré.» J'espère que cela impliquera un homme, mais toi seule peux décider de ce qui est bon pour toi.
Quoi qu'il en soit, je veux que tu saches que je t'aime. Ta mère m'a souvent dit que tu te sentais coupable de ne pas passer plus de temps avec moi. je suis une vieille femme, mais je ne suis pas mesquine. Les moments que nous avons passés ensemble étaient précieux. Comme tu le sais, j'ai toujours privilégié la qualité à la quantité. Et c'est ce que tu m'as toujours donné.
Je t'aime.
Bien à toi, pour l'éternité.
Mémé Glenna."

J’étais avec Rob depuis mes dix-neuf ans et nous nous étions liés d’amitié bien avant de commencer à sortir officiellement ensemble. Nous avions grandi côte à côte et partagions les mêmes centres d’intérêt, les mêmes craintes. Nos discussions étaient bourrées de références et chacune de nos phrases était ponctuée de gloussements, même si personne autour de nous n’avait la moindre idée de ce dont nous étions en train de parler. Son absence à mes côtés m’avait contrainte à devenir lentement une entité individuelle, au lieu de plurielle.