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Citation de Charybde2


Un jour, avant la Descente.
Une rognure de glace salie avait quitté la queue de la comète avec quelques-unes de ses sœurs. Lancées dans le vide, elles avaient traversé l’univers à pleine vitesse sans frottement. Certaines s’étaient écrasées contre des météorites, d’autres avaient fondu à la surface d’astres morts, de géantes gazeuses ou dans l’atmosphère brûlante et épaisse de mondes où elles s’étaient sublimées en un brouillard grisâtre. D’autres encore, moins chanceuses, s’étaient fait happer par la gravité d’une planète autour de laquelle elles finiraient leurs éons, suspendues seules en attendant la grande contraction. Toujours vaillantes, les restantes persistaient dans le froid et le vide fécond qui seyait à leur nature, à des milliards d’unités astronomiques du lieu de leur décrochement, quand elles s’abattirent soudain de toute leur force sur les dix dernières stations en orbite au-dessus de la Lune variolée.
Nous connaissions toutes la procédure et n’avons pas été surprises au moment où la grêle a frappé dans la nuit artificielle. Je vivais encore un de mes rêves où des colons martiens m’érigeaient une statue à l’entrée du village semi-enterré – la reconnaissance et la ferveur dans leurs regards me réchauffaient le cœur – quand la sirène s’est déclenchée. J’ai ouvert les yeux, allongée dans mon duvet accroché au mur, en balancement paisible sous l’aérateur. Le pouce encore dans la bouche. Ma salive flottait aussi, bulle de petites bulles. Je l’ai essuyée. Le filet qui emballait mes cheveux frisés pour les empêcher de se déployer et d’être aspirés me démangeait derrière les oreilles et au-dessus du front, j’allais garder la trace rouge pendant une heure. Si l’on écartait les touffes épaisses, on distinguait un cercle de peau cicatricielle, là où une mèche avait été arrachée pendant l’un des gages stupides de Vassilissa. Je descendis la tirette de mon sac d’un coup sec mais elle se coinça.
— Par la Terre morte !
J’ai dû la remonter deux fois puis me forcer à la baisser avec une lenteur contraire à mon humeur avant qu’elle se laisse faire.
Sur l’écran noir de l’ordinateur en face de moi, les mots « pluie de micro-météorites » clignotaient en bleu.
… rien de sérieux, pas de quoi gagner le concours…
Mes pensées flottaient comme le reste, mais j’ai commencé à compter. Un, deux…
J’ai secoué ma sale tête, des larmes séchées au coin des paupières, tant la sonnerie me faisait mal aux oreilles. Les révisions pour le contrôle de géologie lunaire avaient mangé une partie de ma nuit, et j’en avais honte. J’avais beau feindre le dilettantisme, mon travail acharné se voyait. L’alerte, ô joie, justifierait mes cernes, et me ferait échapper aux sarcasmes de Vassilissa qui ne claquait des doigts que pour insulter. Mon poing s’est serré en signe d’espoir. Si la chance me souriait deux fois, madame Naïma repousserait même l’examen.
Galvanisée par cette perspective, j’ai redouté soudain une mort stupide, comme celle d’Abigaëlle.
C’était il y a trois ans.
Sa station n’avait pu se dégager à temps d’un champ de météorites et surtout, un caillou plus gros que les autres, un rocher en réalité, avait surgi et écrasé le module de propulsion. Avec mon couple parental, nous siégions aux meilleurs hublots et les vidéos extérieures avaient tout enregistré. Ce souvenir pénible fit pourtant renaître l’optimisme en moi.
… cinq, six…
Une bonne grosse pierre sur le bras robotique suffirait pour le concours, et je profiterais de ma gloire – il fallait voir grand mais pas trop, les impressionner encore plus tard. Le roc venu du cosmos le casserait d’un coup, je l’imaginais comme si mes yeux y assistaient, le métal se brisait net révélant son creux interne et, au-delà du moignon, l’autre bout s’éloignait en tournoyant à quarante-deux degrés des déchets de notre orbite avec la vitesse des fuselages disloqués pendant la guerre lunaire qu’on voit dans les documentaires historiques.
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