Certains jours je le sens
la langue s’embrouille
les mots ne viennent plus
ou giclent avec violence sous la peau
et déchirent la page
D’autres jours une femme hante mon âme
et je dessine avec des mots dociles et doux
des poèmes sans drame
L’air du soir détache tout avec précision
même la mort d’un insecte ne passe pas inaperçue
Je rassemble autour de moi les éclats des peines
Le centre se précise parmi quelques voix étouffées
visage redessiné sur les lèvres écho d’un nom
auquel ne répondent pas tous les visages
Tant de gestes s’accompagnent de solitude
j’entends derrière la musique pour piano de Beethoven
le froissement des doigts qui tournent les pages d’un livre
tout ce que je veux prendre avec moi
comme on apprend à mémoriser un poème
peut-être pour ne pas mourir.
Les soirées s’assèchent dans la bouche
Les pages succèdent aux jours
Une main hésite à devenir caresse
Sous la peau trop usée des paupières
les poèmes se perdent parmi les souvenirs
comme les pétales d’une fleur pétrifiée
Un arbre n’est jamais ancien
un amour toujours commence au lieu où je le trouve
ainsi de chaque détail jusqu’à la mort
qui ouvre elle-même à une connaissance nouvelle
étonnamment profonde
Au centre du paysage je suis surpris
par la beauté des choses et des êtres
j’écoute et ne remarque pas l’éternelle absence
de ce qui n’existe pas
je ne remarque que la possible tranquillité
qui règne au centre du paysage
comme un tableau ou une photographie
un espace paisible où être soi.
Avant que la nuit se dissipe
je sonde l’horizon et le poème
la brûlure d’une étoile oriente mes jours
Avec le jour tout redevient possible
l’invisible connaît la raison d’exister
Mais le matin tarde à laisser l’étoile guide nos pas
à l’intérieur la clarté provient d’une lampe
d’un peu de musique et des pages d’un livre
Le jour dépasse le seuil de la promesse
mon amante sommeille en sa rondeur
du milieu d’une flamme qui n’est pas d’elle
mais du feu non révélé de la vie.
Les pas qu'on éparpille parmi les marelles de l'automne
Je murmure des poèmes tôt le matin pour ne rien brusquer
Je connais bien la fatigue des nuages
et la timidité des oiseaux à l'aube
quand ils traversent le paysage d'un trait lumineux
Septembre chute vers octobre avec le jour qui décline
tout est dans la musique des choses et des êtres
les arbres se défeuillent, ma mère ne dit mot
je la sens qui espère un signe, le passage d'un oiseau
un rayonnement plus nu
L’amour éventre la nuit
Au fond de moi rayonne encore
une lune d’eau un trou de lumière
éclipse de sel pour éclairer
le contour des pages où je gravite
Je ne recense pas les gestes égarés
parmi des automnes de feuilles
Mais j’éprouve la douleur des arbres dénudés
Je n’habite pas très bien
ces espaces où je cherche
un alibi pour la mémoire
Je me revois difficilement
dans les traces que je laisse
La vie m’éconduit des lieux
où je n’existe pas
Le lieu révèle ce qui échappe au regard
la clarté des murs où le rien se perd en méandres
Murmure rendu possible
derrière la porte le vide s’est dissipé
La tête rafistolée sur les épaules
je recompose l’image de ma présence
je m’approche du réel
Le temps tarde à couvrir la surface du paysage
les heures défilent sans écriture si ce n’est
le toujours bref balancement des branches d’un arbre
qui forment un pont au-dessus du vide.
La ville se réduit à une promesse d’aube
La distance creuse un fleuve où s’enchevêtrent des énigmes
le voile d’une voix se retire des eaux glauques de l’absence
Le vide où l’on demeure embrasse tout l’horizon
chaque détail de soi dans le silence
découd paupières et papiers
Je réinvente la silhouette d’une femme.