Boire et manger sont deux êtres qui se ressemblent : au premier aspect, vous les prendriez pour deux cousins germains. Mais boire est autant au dessus de manger que l'aigle qui s'abat sur la pointe des rochers est au dessus du corbeau qui perche sur la cime des arbres.
Manger est un besoin de l'estomac ; boire est un besoin de l'âme.
Manger n'est qu'un vulgaire artisan, tandis que boire est un artiste. Boire inspire de riantes idées aux poètes, de nobles pensées aux philosophes, des sons mélodieux aux musiciens ; manger ne leur donne que des indigestions.
Or, je me flatte, sergent, que je boirais bien autant que vous, je crois même que je boirais mieux ; mais pour manger, je ne suis auprès de vous qu'une mazette. Vous tiendriez tête à Arthus en personne ; je crois même que, sur un dindon, vous seriez dans le cas de lui rendre une aile...
(extrait du chapitre III du volume paru aux éditions "France-loisirs" en 1986)