Clover Stroud

Que la notion d’équilibre m’est si peu familière que je ne m’y sens pas à ma place, alors que créer le chaos me permet de me retrouver moi-même. Parce qu’il y aura certes des sacrifices, notamment sur le plan du sommeil, du temps libre, de la vie sexuelle et de l’argent, mais aussi une avalanche d’amour pur, et que c’est ce que je veux autour de moi, chaque jour de ma vie sur cette terre. Parce que être enceinte me rend plus sexuelle et plus présente dans le monde que jamais.

Je comprends l’envie de s’évader dans le monde si attrayant de la fumette. J’ai eu l’âge de Jimmy. J’ai toujours cru que quand ce moment arriverait, je l’aurais senti venir, et je l’aurais anticipé. J’ai toujours cru que je serais prête. Cool, même. Pas furibarde et le nez qui coule, barbouillée par des traînées de mascara qui me font des yeux de panda.

suis énorme et en nage, bien consciente de ne pas incarner l’image d’une femme performante ou responsable, voire de la parentalité, détail pour le moins paradoxal étant donné que je suis enceinte de trente-huit semaines.

Mon rôle de mère m’oblige à prétendre être une personne que je ne suis pas : patiente, propre, douce, attentive aux enfants des autres, douée en loisirs créatifs, mesurée, rarement anxieuse, jamais déprimée. Pendant l’amour, je peux enfin lâcher prise et devenir une autre : désinhibée et lascive, comme un animal, mais aussi complètement humaine, avec ma part d’ombre un peu crade.

Mon ventre ne me fait pas l’effet d’un animal de compagnie à caresser, plutôt d’un alien que je voudrais pouvoir chasser de mon espace personnel. Alex se met debout, lève les bras au-dessus de sa tête, et ses fins bracelets argentés dégringolent sur ses poignets, tandis qu’elle s’étire de tout son corps. On croirait un cobra ayant avalé une chèvre.

La grossesse me donne désormais l’impression d’être une version mieux définie de moi-même, comme si l’on avait redessiné mes contours au feutre noir. J’aime les changements à l’œuvre dans mon corps. J’aime m’arrêter devant le miroir de notre chambre pendant que je m’habille et voir mes courbes s’arrondir.

J’aime les changements à l’œuvre dans mon corps. J’aime m’arrêter devant le miroir de notre chambre pendant que je m’habille et voir mes courbes s’arrondir. Mais j’ai aussi envie de me raccrocher à la personne que j’étais avant de tomber enceinte, car je sais avec quelle facilité je peux la perdre de vue.

Quand ça marche bien, nous forgeons une relation de soutien mutuel qui peut se muer en amitié. Elles y gagnent une maison où habiter, la possibilité de progresser en anglais tout en étant rémunérées, et j’y gagne une paire de bras supplémentaires pour m’aider à faire enfiler des pyjamas, à disposer des toasts sur des assiettes dans le rush matinal, à lire une histoire à l’un pendant que l’autre est dans son bain, à les emmener à leurs activités ou à les pousser sur une balançoire pendant que je suis en plein bouclage d’un article.

Elle y est autant louve que féline, souhaite tout concilier, ne renoncer à rien. Une vie plurielle aussi belle qu’épuisante. Des confessions à fleur de peau, drôles et impertinentes.

Cette grossesse n’est pas un choc. Je l’ai désirée, mais elle ne me rend ni heureuse ni déprimée. Elle m’a transformée, cela dit. Je sais, avec une sorte de prescience terrible, que je n’ai pas besoin d’investir 11 £ dans l’achat de deux boîtes de tests Clearblue. Je sais, rien qu’à cette sensation particulière dans mes seins, tendus et excitables quand je croise les bras sur ma poitrine, que je suis différente et que j’abrite désormais deux pouls au lieu d’un seul. Doublement vivante.