A Roques-Altes, quatre tours naturelles de 40 m de haut -- l'une a été baptisée arc de triomphe -- se dressent parmi des rochers aux formes fantastiques. Sous l'un d'eux, en auvent dans un ravin comme s'il avait voulu la protéger, une source, la fontaine Saint-Martin, jaillit, d'autant plus miraculeuse que l'on ne s'attendait pas à la trouver là. Au Rajol, on se demande quelle colère dévastatrice de la nature, d'un démon ou d'un géant a pu créer un tel chaos de roches. A Montpellier-le-Vieux, de loin, surtout lorsque grand soleil et dure chaleur d'été font vibrer la lumière, on doute de ses yeux. Est-ce un mirage? Une citadelle bâtie là par de puissants seigneurs, avec ses tours, ses remparts, ses portes? C'est seulement en y pénétrant qu'il faut admettre l'évidence : ces prodigieuses architectures ont eu pour seuls créateurs l'érosion et le temps.
La visiter ne suffit pas. Il faut encore en faire le tour, la contempler sous toutes ses faces, un détail après l'autre. Certains de ses familiers affirment que selon l'heure, le temps, la saison, elle affiche des états d'âme qui la rendent toujours semblable et différente. Et si l'on a la chance de la voir flamboyer, un jour de beau soleil, sur le bleu intense du ciel, c'est une cathédrale de braise qui s'inscrit à tout jamais dans la mémoire.
Peu à peu, tandis que ses poumons font le plein d'air pur, son regard se dessille, son ouïe et son odorat s'affinent, il apprend son causse. Il le voyait plat : il le découvre ondulant. Il le croyait sans vie : il découvre que cette dernière est partout, tapie sous les pierres et les herbes rudes, dans l'explosion solaire des asphodèles et des cardabelles, chardons royaux, dans les secrets bien préservés de dizaine d'espèces d'orchidées, dans le bourdonnement des insectes, dans le passage furtif d'un lièvre, dans la mélodie d'une alouette qui prend son vol ou la trace fugace de tant d'oiseaux migrateurs ou sédentaires qui font des Grands Causses leur sanctuaire.
Pour commencer, il faut tricher un tout petit peu, faire mine de ne pas savoir que le mont de l'Espérou, dans le massif de l'Aigoual, n'est pas aveyronnais mais gardois, et grimper là, à 1280 m d'altitude, aux sources de la Dourbie. Les 80 km de bonheur qui vous attendent alors jusqu'à son confluent avec le Tarn justifient bien cette minuscule incartade. La voilà donc, cette rivière aux eaux si claires que l'on croit pouvoir, même là où elle est très profonde, toucher les galets de son lit, dont on n'imagine même pas qu'elle puisse dissimuler des traîtrises. Et pourtant les courants peuvent y être violents et les trous dangereusement indécelables.
L'on n'est plus ici dans un pays de montagne mais de promontoires, de plateaux, de causses, de petites plaines, de terres sèches aux manteaux rêches et griffus alternant avec des vignes, des prés, des blés, des forêts et des lacs qui font des paysages jamais semblables, où la lumière est parfois toscane, avec du rose dans ses gris, la végétation moins septentrionale, la terre parfois plus généreuse, où la tuile fait son apparition sur les toits.
En fait, comme si souvent en Aveyron, ce pays a deux visages : des plateaux lourds, cabossés de croupes et de puechs qui grimpent parfois jusqu'à 800 m d'altitude, d'où la vue porte jusqu'aux Cévennes, aux monts enneigés du Cantal et des Pyrénées, et les vallées taillées par l'Aveyron, le Viaur et leurs affluents, où partout dévalent des cours d'eau encaissés dans des gorges parfois très tortueuses.
Si l'on regarde une carte, on constate que l'Aubrac, au nord du département, et le Larzac, au sud, sont symétriques. L'un enfonce son cap dans l'Auvergne. L'autre pousse sa pointe vers le Languedoc. Le premier ondule en croupes puissantes aux étés verdoyants et l'eau y ruisselle. Le second est un plateau caillouteux à peine hérissé de quelques éminences, à la broussailleuse végétation que le soleil fait rapidement passer du vert au fauve, au sol de calcaire poreux qui ne connaît que l'aride sécheresse : la pluie le traverse sans y stagner, alors que dans ses tréfonds les cours d'eau enfouis creusent leurs grottes et leurs avens. Mais ces hauts royaumes du vent ont en commun, chacun à une extrémité de l'Aveyron, leurs horizons sans limite et leur beauté dépouillée d'épures sous un ciel qui semble les avoir choisis pour s'y allonger.
Ceux qui ont leurs racines dans ce pays, même s'ils sont partis vivre ailleurs, comme ceux qui l'ont découvert, compris, aimé, savent bien que si l'on quitte l'Aveyron, l'Aveyron, lui, ne vous quitte plus.
Finalement, la magnificence naturelle, la richesse du patrimoine et le caractère rouergat forment un tout : le bel Aveyron.
Chacun de ces trois bassins a sa personnalité propre, sa culture, ses traditions, son architecture, son climat, son ciel. Dans cet Aveyronnais côté Méditerranée, comme partout ailleurs dans le département, il suffit de quelques kilomètres pour, sans passer de frontières, changer de planète. Ce n'en est pas le moindre attrait.