LE NUAGE Jules SUPERVIELLE
Il fut un temps où les ombres
A leur place véritable
N'obscurcissaient pas mes fables.
Mon cœur donnait la lumière.
Mes yeux comprenaient la chaise de paille,
La table en bois,
Et mes mains ne rêvaient pas
par la faute des dix doigts.
Ecoute-moi, Capitaine de mon enfance
Faisons comme avant,
montons à bord de ma première barque
Qui passait la mer quand j'avais dix ans.
Elle ne prend pas l'eau du songe
Et sent sûrement le goudron,
Ecoutes, ce n'est plus que dans mes souvenirs,
Que le bois est encore le bois et le fer, dur
Depuis longtemps Capitaine,
Tout est nuage et j'en meurs.