Coralie Khong-Pascaud

Alors pour pallier au silence qui l'oppressait certains soirs, elle avait trouvé un exutoire : quand elle n'était pas trop fatiguée par sa longue journée, elle couchait par écrit tout ce qui lui passait par la tête. Des réflexions sur sa journée, des remarques sur sa condition et l'injustice qui régnait dans la société et dont tout le monde autour d'elle semblait s'accommoder à son plus grand étonnement.

Plus tard, elle se dirait qu'elle aurait dû rentrer à la maison et tout raconter à Grand-Mère mais sa curiosité était bien trop forte !
Mélissandre attrapa la clé en cuivre et l'enfonça avec précaution dans la serrure de la porte mystérieuse. Un instant, elle s'imagina être Alice sur le point de basculer dans le Pays des Merveilles.[...]
La porte sombre émit un grincement un peu sinistre, comme si elle n'avait pas servi depuis de nombreuses années. Mélissandre retint son souffle et observa le paysage qui se dessinait devant ses yeux ébahis : à ses pieds, une route de briques oranges formait un chemin sinueux qui s'étalait vers l'horizon et au-delà, zigzaguant entre des collines encore verdoyantes, un verger plein d'arbres fruitiers et une forêt qui lui semblait très lointaine.
L'écolière n'en croyait pas ses yeux : à cet endroit aurait dû se trouver le jardin de Madame Henriette, la gentille voisine de Grand-Mère !

- C’EST PAS BIENTÔT FINI, CE CIRQUE ??
Je tape trois coups contre le mur pour faire bonne mesure. Non mais ça lui prend souvent au nouveau voisin de chanter du George Michael au réveil ? Je m’en fiche royalement qu’il ait eu le cœur brisé à Noël dernier, je veux dormir. DORMIR. Et oui, je sais, il est plus de 9 heures un mardi matin, mais j’en encore passé la moitié de la nuit à écrire et j’estime avoir mérité une grasse matinée. Et pas ces larmoiements tout droits sortis des années 80 ! C’est à Emma que ça plairait, moi j’y suis insensible, voire carrément allergique. Je grogne et passe la couette par-dessus ma tête tout en essayant de me boucher les oreilles mais trop tard, le mal est fait. La mélodie de Last Christmas a pris possession de ma boîte crânienne et avec la chance que j’ai, je vais passer la journée à fredonner cette chanson débile.

Alors que les premiers rayons du soleil caressent timidement la plaine, la maison d'hôtes de Madeleine semble lentement se dessiner, telle une jolie chaumière que l'on ne trouve que dans les illustrations de contes de fée que j'avais l'habitude de lire quand j'étais petite et encore insouciante. Le silence se brise au son des animaux qui se réveillent en douceur et des oiseaux qui entonnent gaiement quelques notes de leur chant mélodieux… avant que tout ce petit monde ne se fasse casser les oreilles par Alphonse, le coq de la ferme, qui s'égosille tant qu'il peut pour montrer qu'ici, c'est lui le chef. Un chef à crête, l'idée me fait doucement ricaner, jusqu'à ce que je m'aperçoive que la bête en question me fonce dessus pour me chasser de son territoire.

Me plonger dans le travail pour oublier tout le reste. Je m'échoue comme une baleine sur ma chaise, rallume mon ordinateur et commence à scroller la centaine de mails qui s'est accumulée depuis ce matin. J'essaye de les traiter aussi vite que possible, selon leur ordre d'importance : une consoeur de Boston me confirme que l'un de nos auteurs américains fétiches est en train de terminer son nouveau roman et qu'elle m'envoie le manuscrit au plus vite pour que je puisse faire une offre.

Il lui fallait oublier lord Ashton. Oublier aussi les attentes de ses parents qu'elle ne manquerait pas de décevoir davantage au vu de ce qu'elle s'apprêtait à faire faire. Oui, oublier. Et penser à demain, se concentrer uniquement sur ce projet un peu fou dans lequel elle avait embarqué Lydia malgré elle, et qui ne manquerait pas d'offusquer les membres les plus éminents de la bonne société. Oh oui, elle avait échappé au scandale, mais ce n'était que pour un temps !

Après avoir suivi des études de droit – une tentative de rébellion envers ses parents qui souhaitaient la voir faire médecine comme tous les membres respectables de sa famille – Audrey la bohème un peu hippie sur les bords s'est résignée à enfiler le costume de juriste, histoire d'aller jusqu'au bout de son idée idiote. Ce métier, elle l'a exercé pendant plusieurs années avec conviction, à défaut de réelle passion.

Lord Davenport posa le carnet de comptes devant lui, afin de se concentrer sur sa fille dont la réaction le surprenait, mais pas autant que le clame et la résolution dont elle faisait preuve en cet instant critique. Elle réussissait l'exploit de maîtriser son apparence et ses sentiments. Seule une lueur était perceptible dans son regard, mettant quiconque au défi de la contredire.

On finit tous par s'éloigner les uns des autres, c'est la vie, c'est comme ça. Mais c'est notre responsabilité de faire tenir les relations, car une fois qu'elles ont disparu, on ne peut s'en prendre qu'à soi-même. Et parfois, il est trop tard pour pouvoir faire marche arrière.

Mes bottes me font un mal de chien. En temps ordinaire, je passerais outre le fouleur lancinante qui me traverse les orteils, une souffrance quotidienne que je suis prête à m’infliger au nom de ma passion pour la mode et les talons de douze centimètres que j’affectionne tant.