A 10h, nous grimpons tous la colline dans la jeep avec remorque. Au sommet, alors que les grands du cross-country se préparent, les thermiques sont paresseux. Je papote avec Phil des possibilités de vol du jour. Nous blaguons, pensant qu’il serait fantastique d’avoir une heure de vol, complètement ahurissant de tenir deux heures et probablement du domaine du rêve de rester 3 heures en l’air. La première vague de pilotes s’élance, j’en fais partie. Nous gagnons un thermique et montons à 2000m. Frémissante, je jette des regards autour, tremble en tournant dans le thermique avec tant de monde. Je râle aussi un peu car je suis toujours plus bas que les autres mais garde ma concentration. Quand je perds le thermique, le conseil d’Eddy me permet de trouver le courage d’aller de l’avant. Je pars vers le nord avec le vent pour trouver une autre ascension.
Une fois le bateau à l’ancre, nous plongeons en sautant par l’arrière en maintenant le masque devant les yeux et le nez. L’eau est à 25 degrés. Je flotte. J’ajuste, place mon respirateur sur ma bouche, enlève l’oxygène de mon gilet. Le poids fait le reste. Nous longeons une corde jusqu’à 14 mètres de profondeur. J’équilibre la pression dans mes oreilles. J’inspire et expire. Les bulles s’échappent en un bruit d’air qui se mélange à l’eau vers la surface. Alors que la relaxation s’opère au fond de moi, je prends conscience de l’espace, du bleu, de la visibilité et du silence oppressant teinté de bruit camouflé. Quelle expérience ! Je retiens un cri de surprise lorsqu’au fond de l’eau un requin gris et blanc d’un mètre cinquante s’éloigne en frôlant le sable.
La magie opère grâce aux centaines de cascades éphémères qui s’écoulent depuis le haut des montagnes. Seules deux d’entre elles sont permanentes. Les autres sont créées par l’abondance de pluie. Certaines chutes d’eau se fracassent sur un rebord et tombent d’étage mousseux en étage mousseux tandis que d’autres dévalent le relief en rivière. En fine brume ou en rage torrentielle, sous un voilage en diagonal ou à la verticale, le spectacle est sensationnel. Caressé par les rares rayons de soleil, le paysage prend soudainement vie dans un éclat d’arc en ciel et de couleurs. Lorsque notre capitaine coupe les moteurs, l’expérience est totale. Appelé le « Sound of Silence », nous vivons un silence profond répercuté le long des parois.
Pour profiter des derniers rayons du soleil, nous allons nous balader, pieds nus sur le sable. La lumière se reflète sur le sable mouillé dans un éclat doré qui se réverbère au large. Nous jouons aux silhouettes : ballerine, une jambe en l’air, en super-héros. L’effet est génial. Avec le minuteur en place, nous prenons la pose ensemble. « Ça a fonctionné tu crois ? ». Nous sommes en équilibre précaire, bras tendus l’une vers l’autre, jambe élevée. En vérifiant, j’éclate de rire. La photo s’est prise alors que je courais encore.
Nous entrons dans le sérieux du sujet par la lente montée à travers la gorge d’Harman. Pas de sentier. Morgan et Rob nous guident dans un zigzag entre les rochers. Nous devons traverser le torrent plusieurs fois. Bras dessus, bras dessous, je m’accroche à Morgan et plonge jusqu’à la taille dans une eau glaciale. Elle s’immisce dans mon legging, coule dans mes guêtres et finit en flaque dans mes bottines. Les pans de roche en surplomb font se réverbérer le son rugissant de l’eau. Le noir de la nuit amplifie les ombres. Je perds toute notion de la réalité, abrutie par le vacarme et par l’impression d’enfermement. Mon cœur s’emballe. Mes jambes brûlent tandis que mon corps a froid. Devant parfois sauter d’un rocher à l’autre, avec le sac à dos qui n’aide en rien, mon équilibre est mis à l’épreuve. J’hésite, maladroite, mon oreille interne perturbée par le son trop fort. Je fonds en larme plusieurs fois dans l’anonymat de la nuit. Ma fierté pourtant, me fait serrer les dents. Abby me serre contre elle à un moment donné et m’encourage. Notre progression est lente mais certaine. Lorsqu’enfin nous quittons la rivière pour marcher le long d’un sentier entouré d’herbe, les lumières du jour nous saluent. Quel soulagement !
Le désert. Une expérience percutante. L’infini. La grandeur. La solitude. Pas de réseau, pas d’être humain, aucune trace d’habitation. La poussière orange qui s’élève à l’arrière de la voiture pénètre par tous les interstices. Elle plane, nous encercle, nous couvre comme de vieux meubles. Nous l’inspirons, l’expirons, la frottons autour de nos yeux. Ma peau se dessèche. Le soleil derrière nous est plombant.
« L’impression d’une mouvance immobile m’ancre à l’intérieur de moi-même face à ces reliefs sans âge. Il me suffit d‘être entourée de sommets pour que mon cœur s’apaise, mon corps se détende et mon regard se mette à pétiller. »
« La saison des pluies. Elle tarde à arriver et ne se dévoile timidement que mi-novembre. La nature est assoiffée, l’herbe brûlée, les rares flaques, étangs et points d’eau sont assaillis par la faune déshydratée. »