Cyril Payen

Vint le temps des rencontres avec les organisations humanitaires, seules capables de déployer une logistique médicale et de fournir l'aide alimentaire nécessaire pour ces réfugiés dont nous connaissions le piteux état physique et psychique. Le déploiement massif, presque record, des ONG et de l'ONU dans ce pays a quelque chose de sidérant. Le Laos bénéficie de l'une des aides financière annuelles et par habitant les plus élevées au monde. Les employés humanitaires, ici, s'occupent de tout. Impossible de manquer, garées le matin à l'heure du café au bord du Mékong, le cortège de voitures rutilantes flanquées des logos des agences d'aide internationales. Elles se comptent par dizaines, emploient des centaines d'expatriés venus du monde entier. L'habitat, les épidémies, la culture... Tout est pris en charge. Seulement on constata avec effarement qu'aucune d'entre elles n'avais jamais eu accès à la zone spéciale. Même les Nation unies, dont le Laos demeure pourtant un pays membre, signataire des conventions et qui, de ce fait, leur doit des comptes, n'avaient qu'à bien se tenir. Là encore, nous touchions avec les Hmongs une corde sensible.
On ne manqua pas de taper à toutes les portes. Dans les bureaux du centre régional de l'aide humanitaire de la Commission européenne, le "coordinateur pour le Laos" peina à dénicher une carte du pays auquel l'Europe alloue, tout de même, une enveloppe annuelle de un million d'euros. Penché au-dessus d'une carte qui résumait le Laos à trois villes, un fleuve et quelques montagnes, il demanda que l'on indique "où se situait le problème...". Il prit des notes en regardant beaucoup sa montre. Il ne connaissait rien au Laos. Il ne dit pas un mot, comme on l'aurait espéré, à propos de sac de riz, de tentes, de camions, d'aide d'urgence, d'accords passés avec les autorités, d'accès aux réfugiés... Il n'y eut rien de tout cela. Ce fonctionnaire international chargé des "réponses rapides" n'en avait pas l'ombre d'une sur ce sujet.

Moua Toua Ther réunit tous les chefs de famille. Il y a conciliabule. Il a décidé de nous confier un message d'urgence. Un appel au secours. Une lettre au monde. L'assemblée qui l'a élaborée a duré depuis l'aube jusqu'au milieu de la matinée. Il la signera "Appel du groupe CIA numéro trois", du nom de l'agence de renseignement américaine, leur ancien employeur. Il la destine aux responsables politiques occidentaux, les Etats-Unis, la France et les Nations unies en tête.

Objet: Requête pour la survie

Parce que nous avons participé aux côté des américains à la guerre du Vietnam,
Parce que nous avons aidé les Français en leur temps,
Et parce que nous avons suivi notre chef le général Vang Pao,
Nous supportons encore, en cette année 2005, le fardeau de tous ces tourments du passé.
Nous sommes à bout de forces. Nous mourons de faim. Nous sommes sans défense face à cette tuerie. Ainsi, je donne procuration à Cyril et Grégoire pour délivrer, en notre nom, ces deux requêtes auprès des gouvernements concernés.
Premièrement: acheminer des vêtements, des vivres et faire pression sur le gouvernement laotien pour obtenir un cessez-le-feu.
Deuxièmement: procéder à notre transfert vers d'autres pays.
Nous sommes les victimes des guerres passées.
Merci.
Signé groupe CIA numéro trois

Après l'avoir lue devant la caméra, entouré de hommes en armes, dans une solennité religieuse, il plie la page de cahier scolaire en huit et nous la confie.

Le surmenage des huit jours de jungle affleure. Un instant, j'imagine que nos faisons un voyage sans retour. Que nous serons incapables de faire un geste supplémentaire. De nous relever. De faire notre travail de journaliste, recueillir le témoignage de ces gens damnés depuis plusieurs générations. Comme si nous étions allé trop loin dans la tension, l'épuisement, l’écœurement ...