Damien Boquet

Rien n'agit avec une telle puissance pour affirmer l'identité d'une communauté que l'émotion partagée, que ce soit par l'amour ou par la haine, qui d'ailleurs vont souvent de pair. Son efficacité peut faire d'elle un véritable manifeste, qu'il soit social, religieux ou politique. La ritualisation de l'émotion, "l'expression obligatoire des sentiments" se sert de cette puissance pour engendrer, souder ou scinder communautés et société. Les rituels visent autant à provoquer l'émotion qu'à la canaliser. Aussi peut-on parler d'un véritable " contrat affectif" liant le peuple et ceux qui le gouvernent ; au cœur de la communication et des rituels, l'émotion est un enjeu politique majeur.

Les effets conjoints d'une crispation grandissante à l'encontre du vice sodomitique et d'une promotion sans précédent de l'"hétérosexualité amoureuse" ont eu comme conséquence un déclassement de l'homo-affectivité, reléguée au second rang derrière le modèle du couple homme/femme, voire exposée au soupçon du vice contre nature. Ce processus a été amplifié par les transformations des structures politiques en Europe occidentale, où presque partout les pouvoirs souverains l'emportent sur les systèmes aristocratiques. Dès lors, dans un contexte d'affirmation du pouvoir monarchique, les valeurs et les rituels d'égalité symbolique propres à la féodalité ( amitié, proximité physique ) cèdent le pas devant les valeurs hiérarchiques ( fidélité, service ) - aux XIIIe -XIVe siècles, les théories politiques de l'amitié vont intégrer la question hiérarchique. En écho, l'Eglise usant de la même accusation de sodomie, fait pression sur une culture militaire dont elle veut canaliser la violence.

Comme on l'a vu avec l'invention de la crèche par François à Greccio, les images décrites ou figurées, et leur scénarisation, deviennent dès lors des moyens d'accès imaginatifs, gestuels et affectifs à la divinité.