Daniel Le Guillou

Quand la passion d'une vie rencontre le projet d'un territoire
«Chauve, le visage rond et sympathique, de petites lunettes cerclées en acier qui lui donnent un air intello, Philippe est une force de la nature. Et pour cause : depuis trente ans, il tond des moutons. À raison de deux minutes par bête lorsque l'on est expérimenté, cela signifie tondre cent cinquante à deux cents moutons par jour. La laine, c'est son truc. Philippe est tombé dedans jeune homme [...] Après trois opérations du dos, Philippe, 54 ans, cherchait à se reconvertir, toujours dans la laine. La communauté de communes de Colombey-les-Belles (54), très engagée dans Territoires zéro chômeur de longue durée, portait l'idée d'une activité de transformation de la laine. Les éleveurs étaient intéressés. La région possède de grandes exploitations de six cent cinquante têtes en moyenne. Philippe décide de se lancer : "La laine partait en Chine. Pour la laver, il fallait aller en Belgique... "La décision est prise de créer, sur le territoire, une deuxième entreprise à but d'emploi, De laine en rêves. Les éleveurs de moutons, qui entrent dans la SCIC, apportent dix mille cinq cents euros pour l'investissement de départ. Comme dans toutes les entreprises à but d'emploi, les salariés sont recrutés sur la liste des "proposants" du comité local, en CDI, à temps choisi et au Smic.
"Comment ne pas accrocher au principe de Territoires zéro chômeur de longue durée ? s'interroge Philippe. Au lieu de dire : "Voilà un job et tu t'adaptes, la collectivité s'adapte aux propositions. J'ai une équipe du tonnerre, facile à gérer. Il y a de la bienveillance dans l'entreprise, on est moins soumis à la rentabilité." L'ancien tondeur de moutons voit l'avenir en rose. "Nous sommes les seuls à avoir une machine à napper¹ et à laver en quantité dans toute la partie nord de la France. Je prévois des commandes assez vite des professionnels. Pour les ventes aux particuliers, nous allons faire les salons bio de literie. [...] En plus, nous resterons dans des prix moyens de gamme. Dans cinq ans, si nous sommes rentrés dans nos fonds, on pourra peut-être devenir une entreprise classique et alors faire évoluer les salaires. D'ici là, il faudra produire un matelas par jour."»

1 - Machine permettant d'obtenir des nappes de laine d'épaisseurs diverses.

Contre le chômage, avons-nous tout essayé ?
Les mesures prises depuis vingt-cinq ans se révèlent insuffisantes et inadaptées pour résorber le chômage de masse et notamment le chômage de longue durée ; par ailleurs, la théorie économique dominante est dans un tel désarroi¹ qu'il ne faut pas en attendre de réponses efficientes tant qu'elle n'aura pas abandonné ses dogmes fondateurs.

Des mesures coûteuses et insuffisantes
Les politiques mises en oeuvre depuis vingt-cinq ans, dont l'objectif est de favoriser la création d'emplois, se caractérisent par un coût de plus en plus élevé (45 milliards d'euros en 1993, 122 milliards d'euros en 2015) et par un impact limité sur l'emploi.

1 - Un désarroi qui peut être communicatif puisqu'on a vu le 12 juin 2018 le président de la République, dans une vidéo largement diffusée, s'étonner qu'en mettant "un pognon de dingue dans les minima sociaux, les gens sont quand même pauvres. Ceux qui sont pauvres restent pauvres, ceux qui tombent pauvres restent pauvres. On doit avoir un truc qui permet au gens de s'en sortir. Il faut prévenir la pauvreté et responsabiliser les gens pour qu'ils sortent de la pauvreté".

Le mot "chômage" traduit mal l'injustice qui est ressentie par les personnes concernées, qui n'ont pas choisi cette situation. En ce sens, il nous paraît préférable de substituer le terme de privé d'emploi à celui de demandeur d'emploi (et a fortiori à celui de chômeur) afin de bien souligner le caractère subi de cette situation et surtout la négation d'un droit inscrit dans le préambule de notre constitution.