Danielle Bleitrach

Pérégrinations de deux femmes, anciennes militantes communistes, dans l'ex URSS.

Danielle Bleitrach sociologue à la retraite et Marianne Dunlop, professeur de Russe et Chinois, se rendent en Ukraine (deux voyages) pour tenter de comprendre les événements qui s'y déroulent.

Peu convaincues par ce que nous en rapporte la presse occidentale, Danielle Bleitrach par son approche sociologique, et Marianne Dunlop par sa maîtrise du russe (langue parlée couramment par les ukrainiens et langue majoritaire dans l'Est), œuvrent pour une meilleure approche de la situation, telle qu'elle est vécue par les ukrainiens.

Bien sûr, les sympathies communistes des auteures, qu'elles ne cachent pas, font que les interviews qui ressortent le plus sont celles des « nostalgiques de l'URSS », souvent pro-russe. A nous de savoir relativiser les choses. Contrairement aux médias qui se prétendent « neutres », elles, au moins, annoncent leurs positions.

Reste que ce qui on y apprend est déroutant. En complète opposition avec la façon de présenter les choses par la presse occidentale.

D'abord le régime, le « Maidan », largement soutenu par les américains, est présenté ici comme un coup d'état aux mains des oligarques qui ont pillé sans vergogne les richesses de l'ex-union soviétique, et dont le pouvoir repose largement sur des éléments fascistes. Igor Kolomoisky, par exemple, un multi-milliardaire fit parti du gouvernement jusqu'en mars 2015. Celui-ci est connu pour avoir commandité, sans même le cacher, les assassinats de ses principaux rivaux et pour financer, encore aujourd'hui des bataillons paramilitaires privés. Il finance le bataillon Azov, qui a un caractère néo-nazi très affirmé (voir l’emblème !), celui qui attaque encore actuellement les rebelles du Donbass.

Porotchenko, le président d'Ukraine, n'est pas en reste, puisqu'il est également « homme d'affaire », oligarque, qui n'hésite pas à se reposer sur des éléments néo-fascistes comme Pravy Sektor pour faire régner sa loi.

Les auteures décrivent donc un pays assailli par une violente vague de nationalisme. Partout la peur d'un pogrom (contre les russes) est présente. Celui-ci s'est déjà réalisé lors du massacre de la Maison des syndicats à Odessa et continue dans le Donbass.

Le massacre de la maison des syndicats eut lieu le 2 mai 2014. Des groupes fascistes (Pravy Sektor), venus en nombre de Kiev et Kharkov par car ont d'abord assailli des militants pacifiques qui s'opposaient au gouvernement. Réfugiés et barricadés à l'intérieur de la maison des syndicats, ils se retrouvent coincés alors que, dehors, les fascistes commencent à lancer des cocktails molotov. L'incendie prend rapidement. La police et les pompiers arrivent mais des ordres sont donnés pour qu'ils n'interviennent pas tout de suite (cela est attesté par des photos et vidéos et tous les témoins interrogés confirment cette version). Voilà la vraie face du gouvernement que soutiennent les occidentaux !

L'affaire du référendum de Crimée est aussi relatée et il en ressort que « la plupart des criméens ont dans leur immense majorité l'impression d'avoir échappé à un bain de sang ».

Les auteures rappellent un autre référendum : En mars 1991, la population soviétique s'est prononcée à une large majorité pour le maintien de l'URSS (76% des votants). L'Ukraine s'est exprimée pour à 83,5%. Ce qui n'a pas empêché, trois présidents alcooliques de décréter, quelques jours après, la séparation des pays, dans une forêt d'Ukraine.

Tout cela pour montrer à quel point les ukrainiens ne sont pas « naturellement » hostiles envers les Russes. Avant le massacre de la maison des syndicats, on peut dire que les débats entre pro-maidan (tournés vers l'occident) et pro-russes étaient ouverts, vifs mais sans réelle animosité. Depuis ce drame, la psychose a pris le dessus et la moindre étincelle peut tout enflammer.

C'est ce que devaient espérer certains nationalistes : de nombreuses rumeurs courent selon laquelle une date avait été fixée pour provoquer un affrontement entre l'armée ukrainienne et l'armée russe cantonnée en Crimée. La précipitation dans laquelle s'est faite le référendum montre, selon les habitants, que Poutine devait avoir eu vent de ce complot. En organisant le référendum, il aurait coupé l'herbe sous les pieds des fascistes. Il n'est pas ici question de faire de Poutine le sauveur des russes de Crimée. L'intérêt militaire et géostratégique d'un contrôle russe de la région est évident. Mais les habitants de Crimée, contrairement à la propagande officielle qui veut faire d'eux des séparatistes forcenés et dangereux, redoutait un pogrom imminent, qui semble maintenant désamorcé.

Le périple de Marianne Dunlop et Danielle Bleitrach sillonne le pays, traverse la plupart des régions ukrainiennes et même une partie de la Moldavie. Au passage, l'on découvre les ruines de l'ex URSS. (kolkhozes abandonnés...). Une nostalgie de l'époque soviétique semble encore bien présente chez de nombreux habitants. Certains allant jusqu'à défendre les vieilles statues délabrées de Lénine contre les activistes d'extrême-droite.

Ce témoignage, direct, sur les événements d'Ukraine sonne donc comme une alerte. Le fascisme est aux portes de l'Europe. Tentant d'éradiquer les derniers vestiges du communisme, il se sert des différences ethniques, monte les populations les unes contres les autres, appel au bain de sang pour établir son régime de terreur.