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Bibliographie de Diego Rodrigues   (1)Voir plus

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Citations et extraits (9) Ajouter une citation
Malgré l’heure matinale, le marché fourmillait déjà de monde. Une petite foule suivait du regard les travaux des pécheurs. Les curieux voyaient certains hommes s’agiter en donnant des ordres dans le langage des marins, les hommes obéissaient en se hâtant. Les daurades brillaient comme des lames d’argent à la lumière du matin, attirant ainsi la foule tels des moustiques. Tout autour, il y avait des urubus aux yeux vifs, à l’affût du premier morceau de viande morte. D’autres installaient déjà leurs baraques, charrettes, carrioles. Il y avait là du sucré comme du salé : des acarajés, des abaras, de petits gâteaux au manioc, des beignets au crabe, aux crevettes, du couscous au maïs et au lait de coco, et toutes sortes d’épices possibles et imaginables. Il y avait là aussi, au milieu de tous ces hommes, une femme qui était aimée, respectée et crainte par tous ou presque : Dona Cheirosa. Et si, comme dans le livre de l’Ecclésiaste, on dit qu’il y a un temps pour tout, chez Dona Cheirosa, on dit qu’il y a un remède à tout. Elle vendait des fioles pour bénir, des flacons pour maudire, ainsi que des herbes aux vertus médicinales. Dans sa boutique, on pouvait aussi, disait-on, trouver tout ce que le cœur désire : certains venaient pour avoir bonne fortune, d’autres pour se délivrer d’un péché, d’autres encore pour gagner le cœur de quelqu’un. Hélas, même les meilleurs cœurs sont quelquefois bien égoïstes…
— Tiens, tiens, voilà la caverne des superstitions, fit Marcos qui était lui-même superstitieux, mais n’osait le dire à personne.
Voyant que Souris-blanche fixait un flacon dont l’inscription s’intitulait « Attraction de l’amour », Dona Cheirosa se faufila et se glissa au milieu d’eux, comme si elle eut été un serpent, avec un petit flacon en verre de la même couleur que celui que le jeune garçon avait fixé.
— Alors, mon fils bien aimé, tu as trouvé ce qu’il te faut, je vois… fit Dona Cheirosa d’une voix rauque.
Elle ouvrit le petit flacon et le fit sentir au jeune garçon. Il y avait comme une douce odeur de rose aux huiles essentielles – ce qu’il trouva très agréable.
— J’ai aussi, poursuivit la vieille : « Viens jusqu’à moi » ; « Pleure dans mes pieds » ; « Va chercher qui est loin » ; « Fais vouloir qui ne me veut pas »…
— Va chercher qui est loin… ? répéta le jeune garçon.
Marcos n’était pas resté longtemps à l’école, mais le bougre savait que la langue d’un commerçant était tout sucre tant qu’il n’avait pas reçu son content.
— Alors, mon beau garçon aux cheveux d’or… Que veux-tu acheter, alors ?
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Aucun d’entre eux ne parlait comme les enfants de Jurunas, ses camarades de jeu. « C’est étonnant, pensa-t-il, voilà qu’ils se mettent à parler comme les grandes personnes d’ici… » Voilà qu’il commençait à s’ennuyer également en leur présence. Il avait envie de faire quelque chose qui sortait de l’ordinaire, quelque chose de spectaculaire, une folie, comme lorsque son ami Alex fit un saut périlleux. Il avait l’impression que s’il restait encore une heure dans ces lieux, il allait se changer en statue de sel et se figer lui aussi dans la masse, comme tous les autres.
(…)
— Pourquoi avoir une piscine si ce n’est que pour la regarder ? demanda Olano.
— Quoi ? La piscine, dis-tu ?
— Cap ou pas cap de faire un plongeon avec moi ? demanda Olano d’un air extrêmement sérieux, si bien qu’il déstabilisa Thomas.
Bianca eut un sourire : enfin, elle entendait quelque chose qui sortait de l’ordinaire, et la soirée s’annonçait à présent pour elle plus intéressante.
Soudain, il lança un regard communicateur à Thomas, il y avait un soupçon d’ironie dans ce coup d’œil. Puis il s’élança aussitôt en direction de la piscine. Plein de fougue, il se sentit voler. Il pouvait sentir les regards étonnés de toutes ces statues de sel se demandant : « Pourquoi court-il cet enfant, il est fou ? » Il avait envie de fuir ce monde mondain et cet ordre établi par les Hommes ; plonger était pour lui la seule échappatoire. Lorsqu’il fut arrivé à la bordure, il fit un saut si haut qu’il semblait avoir des ressorts sur ses chaussures. Avec un large sourire sur son visage, il sentit ses vêtements voler au vent et fut aussitôt submergé par l’eau.
Lorsqu’il sortit la tête de l’eau, il pouvait entendre les offuscations s’élever jusqu’à lui. Quel outrage ! s’amuser ici ? De toute évidence, sa démarche était inconvenante, telles les gelées du printemps.
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— Pardon de te demander ça, intervint Olano. Mais c’est quoi, un oncologue ?
— J’étais un spécialiste des maladies cancéreuses et de leurs traitements…
Olano se sentit stupide. Il ne voyait en Jacques qu’un clochard. Maintenant, il se rendait compte que derrière le clochard, il y avait une vie et bien plus : un savoir.
— Tu sais ce qu’on dit, mon garçon : « Ça n’arrive pas qu’aux autres. » C’est bien vrai, mon gars. Un jour, le malheur s’abat sur toi, il te tombe dessus comme un gros camion ! Inarrêtable ! Même la main du bon Dieu ne peut rien y faire, hélas. Bon, j’ai assez causé… À ton tour.
Olano était songeur, il nota que Jacques avait un vocabulaire riche avec quelques petites notes populaires. Il conclut que ce jargon populaire qui tombait au milieu d’une phrase faisait sans doute tache chez n’importe qui, mais pas chez Jacques. Cela faisait partie du personnage. « Cet homme s’est échappé de son milieu naturel et a adapté son langage par habitus1. Nous ne sommes pas si différents… ».

Il avait pris un impondérable moment avant de répondre. Il y avait beaucoup de choses à emmagasiner dans ce qu’il venait d’entendre. En outre, sa conscience venait de lui rappeler qu’il n’avait jamais écouté sa femme aussi longtemps que cet homme. Il se sentait stupide et en avait honte. Il s’accusa d’être un mauvais mari, un mauvais amant et un mauvais père. Après un long soupir, il dit enfin :
— Je crains de devoir boire un peu plus pour te dire ce que j’ai à dire…
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Quelques semaines plus tard, après avoir posté une lettre à sa femme, Olano était toujours à Belém, en plein milieu d’un bouchon. Le trafic était dense ce jour-là ; bien plus que d’habitude. Les pots d’échappement crachaient des fumées noires, les klaxons s’entendaient par dizaines : non pas pour signaler un danger, mais plutôt pour signaler une manœuvre : « Je m’engage, toi, tu attends ; je vais par là, imbécile, bouge de là ! Avance ton tas de ferraille ! » Ces Brésiliens du nord étaient bizarrement dotés d’une très grande patience quand ils étaient à pied, étrangement, très pressés en revanche en voiture. Olano était dans l’un des taxis parmi tant d’autres. Il était d’une humeur monotone malgré le brouhaha de dehors. Il regardait ces gens sans les juger. Il les voyait s’agiter, les bras en l’air, par les fenêtres de leurs voitures, pour signaler une direction, la plupart des voitures ne disposaient pas de clignotant. D’autres faisaient des gestes grossiers. Soudain, un bus passa au rouge, et le chauffeur de taxi manqua de peu la collision.
— Dites donc, conduire ici, c’est tout un art, dit Olano.
— Oh oui, Monsieur, vous n’imaginez même pas. Mais ça s’apprend, c’est comme un langage. Il faut s’habituer.
Ce mot « langage » frappa Olano dans son esprit :
« Décidément, je l’entends partout, ce mot, c’est toute ma vie. »
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Non loin de là, des enfants jouaient dans les rues avec des pétards, les chiens errants se disputaient un morceau d’os, et certaines femmes étaient déjà en cuisine. Au milieu de ce tumulte, Olano regardait son oncle se vanter, rire de la mort, la mort d’un être qu’il avait bien connu jadis et qui allait être père. Sa tristesse était si grande qu’il ne sentait pas de colère, juste une envie d’attirer l’attention de son oncle, de le réveiller peut-être de sa folie. Il attrapa une bouteille de bière et la balança sur la table où il y avait ses hommes. Ils se levèrent de stupeur, tout le brouhaha s’était évaporé d’un seul coup.
— Bordel, mais qui est le fils de pute qui a fait ça ! s’écria Basilio.
— Excuse-moi, le gorille, c’est mon oncle que je visais, lança Olano.
— Mais tu veux mourir ou quoi, gamin ? fit l’autre. Voyant l’air moqueur d’Olano, le visage de Basilio prit une expression terrible et laide. Il regarda Marcos comme s’il attendait une autorisation, mais celui-ci fit un geste d’apaisement.
— Alors, mon oncle, tu ne vas pas me tuer ? Après tout, une vie, ce n’est rien ici, d’après ce que j’ai compris.
— Mêle-toi de tes affaires, j’ai rendu un grand service à cette ville ! Tout le monde ici le sait, cette merde de Vousdécidez devait mourir !
— Il allait être père ! rétorqua le jeune homme.
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Il regarda avec insistance ses cheveux ondulés ; plus noirs que le plumage des cordeaux et aussi longs que le feuillage des palmiers. Il la trouva belle, très belle même. En réalité, il songea un instant que jamais il n’avait vu créature pareille.
— Mais qu’est-ce que tu regardes ? C’est à toi de jouer.
Allez, lance la bille ! dit-elle d’un ton autoritaire.
— Oui ! Désolé.
— Hum… Tu es un drôle de garçon… Je m’appelle Lucia et toi, comment tu t’appelles ?
— Olano, mais tout le monde ici m’appelle Sourisblanche…
La jeune fille éclata de rire. Il la regarda encore, il ne comprit pas pourquoi elle riait, mais il aimait son rire.
Soudain, un homme arriva près de la jeune fille et dit :
— Ma fille, combien de fois je dois te dire de ne pas jouer avec les vagabonds ! fit l’homme d’un ton sévère, prenant la jeune fille brutalement par la main.
Il était de petite taille, la peau mate, vêtu d’une chemise blanche à manches longues malgré la chaleur, avec des rayures bleutées. Sur sa poche avant gauche, on pouvait apercevoir une épinglette en argent en forme de poisson.
Le jeune garçon resta là, muet, au milieu de la rue, avec ses billes à la main, voyant la fille s’éloigner lentement et disparaître au coin de la rue. Il murmura alors : — Mais… je ne suis pas un vagabond…
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J’ai grandi dans deux maisons bien distinctes : la première, très vieille, située à Belém sur la rue Bon Jardin à Jurunas, au nord du Brésil, près du fleuve Tocantins, et l'autre sur la rue Municipalidade à Umarizal, plus au centre de Belém, dans un quartier bien plus noble. Aujourd’hui encore, la première maison est bien le même édifice : une maison à étage possédant un balcon, avec une fenêtre en façade et un petit jardin derrière. Les mêmes chambres, les mêmes pièces. La seconde, cependant, a bien changé : presque en ruines, elle avait jadis tout le charme d’une maison coloniale portugaise, avec ses grandes portes en bois et ses fenêtres battantes carrées.
Mon but évident était de relier les deux extrémités de ma vie et de recréer, à mon âge adulte, mon enfance. Eh bien, cher lecteur, je n’ai pas réussi à reproduire ce qui fut ni ce que je fus. Toutefois, en écrivant le récit, j’ai remarqué une chose : j'avais grandi dans deux mondes différents. En effet, bien qu’ils soient géographiquement très proches l’un de l’autre, les mœurs, elles, étaient bien différentes.
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— Mon truc à moi, c’est le langage, Jacques…
Olano avait parlé de son enfance, du fait d’avoir grandi entre deux mondes durant toute sa vie, de Lucia Mendes, d’Alex, ce jeune garçon trop intelligent pour son âge et qui avait des rêves fous. Il avait parlé de ses oncles, les jumeaux, et de ce grand paradoxe qui existait dans leur façon de vivre.
— Mais que veux-tu ? fit Olano. Le langage de la violence appelle la violence…
Jacques ne répondait pas, mais il faisait constamment des hochements de tête et prenait parfois des inspirations profondes.
Olano poursuivit en parlant de son arrivée en France, des études qu’il avait entreprises, des chercheurs du Cercle Babel, de Van Chomsky…
— J’ai l’impression d’avoir mené cette vie inconsciemment, affirma Olano. Comme si mon subconscient prédominait sur ma propre volonté, comme si je n’étais pas réellement libre, que tout ce que j’avais fait jusqu’à présent et que je fais était en lien avec cette promesse que j’ai faite à Alex.
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— Dis-moi, Rato, fit Alex, qu’est-ce que tu vois ?
— Des maisons ?
— Non…
— Des gens ?
— Mon Dieu… C'est une chose de traverser le désert, une autre est de naître dedans…
— Je ne comprends pas, Alex.
— Rato… Je vois des ruines ! Il n’y a pas d’avenir ici. Je rêve de mettre fin à ça. De combattre les inégalités qui ne cessent de grandir, et je crois que j’ai trouvé la solution.
— C’est quoi ?
Alex, s’étant mis à marcher en équilibre sur le muret, alla près d’un tas de sable blanc. Il mit son dos en direction du sable et fit plusieurs vérifications du regard et sortit un magnifique saut périlleux, si beau que Souris-blanche applaudit.
— Bon allez, dis-moi maintenant !
— Le langage universel, mon ami !
— Comment ?
— Le langage universel. Le langage qui rassemble chaque homme et femme, chaque peuple vers un but commun !
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