Il la regarda et elle frémit. Elle était toujours vêtue de la robe blanche trempée qu’elle portait lors de sa chute – provoquée par Durell – dans le bassin du jardin de son « oncle Chang ». Durell l’observa avec une certaine perplexité. Il avait tenté de gagner sa confiance, mais dès le début, l’attitude de la fille avait déclenché dans la tête de Sam un petit système d’alarme. Peut-être avait-il été agacé par son bavardage avec Deirdre, car elle n’avait fait aucun cas de ses questions pressantes, puis y avait répondu sur un ton exaspéré, et à contrecœur. Bien qu’elle fût petite et menue, elle était assez pulpeuse et féminine pour jouer le rôle de Dalila et faire un Samson d’Orris Lantern. Mais Durell n’était sûr de rien, sauf que, dès le départ, toute cette affaire était semée d’embûches et la présence de Deirdre venait continuellement compliquer les choses. A présent, il avait également sur les bras une petite française nerveuse et bouleversée qui, au lieu d’être une alliée, donnait tous les symptômes d’hostilité à son égard.
Barney se réveilla avec la certitude que quelqu’un venait d’entrer dans sa chambre.
Il entendit une respiration lourde, pénible, près du lit ; puis le déclic des fermoirs de sa valise.
Il ouvrit les yeux.
Une silhouette était penchée sur ses bagages.
Le mince faisceau d’une petite lampe perçait l’obscurité.
Doucement sans le moindre bruit, il glissa la main sous son oreiller.
L’inconnu avait l’oreille fine.
-Ne vous énervez pas, Mr Forbes, lança-t-il d’une voix calme.
Barney se redressa l’arme au poing :
- Ne vous énervez-pas, Mr Forbes, lança-t-il d’une voix calme.
Barney se redressa l’arme au poing.
-Que cherchez-vous ?
-Rien de particulier.
-Qui êtes-vous ?
-Un flic.
- Et si nous commettons une erreur, avec un de ces types ?
- C’est à vous de vous assurer qu’il n’y a pas d’erreur. (Corbin s’exprimait d’une voix posée.) Evidemment, vous auriez pu jouer le rôle d’un vieux camarade de régiment et rendre visite à chacun de ces hommes, fouiller tranquillement sa maison, poser des questions sans éveiller les soupçons. Vous pouviez parler du bon vieux temps et quoi de plus naturel que de passer en revue tous les souvenirs qui traînent dans la maison ? Seulement, vous auriez été seul, nein ? Je pouvais difficilement vous accompagner. Et si vous aviez appris quelque chose, vous l’auriez gardé pour vous.
Le téléphone sonna alors que Durell était encore en train d’examiner le balcon de sa chambre d’hôtel où il venait de rentrer avec Anne-Marie. Il n’y avait rien à voir dehors, que la chaussée des quais appelée Suriwong Street. Plus loin, c’était la mer tropicale et les feux du caboteur rouillé solitaire, et quelques ombres sous les palmiers mauriciens qui flanquaient l’entrée de l’hôtel. Durell eut l’impression que sa fenêtre était surveillée par un coolie, avec un samlor, qui ne semblait pas du tout impatient de trouver des clients ; mais il n’aurait pu le jurer.
Quand un homme souffre dans sa chair, il est tout disposé à dire la vérité. Slago est parfait pour ça. La lettre et les autres documents existent : la réponse à notre annonce le prouve. Un des hommes qui faisaient partie de votre peloton ce jour-là les a toujours en sa possession. Peut-être les conserve-t-il uniquement comme souvenir, car peu de gens ont les connaissances nécessaires en chimie pour comprendre le contenu des documents qui accompagnent la lettre d’Hitler. (Corbin eut un petit sourire.) Autrement, nous aurions déjà entendu parler du produit.
Mais la chambre de Muong offrait d’autres sujets d’intérêt. Sur la table de chevet, comme s’il tenait à faire preuve d’objectivité, Muong conservait une collection de journaux récents de Chine communiste. Il avait marqué au crayon bleu un long article dans le Jennin Jih Pao, l’organe du Parti chinois, qui attaquait « les révisionnistes de Moscou qui conspiraient avec l’impérialisme américain pour des négociations pacifiques au Viet—Nam. ». Ilo y avait aussi un numéro de Hoc Tap, le magazine du parti communiste.
Poursuivant sa fouille, Durell examina les uniformes du major, la salle de bains, le lit et les oreillers, et un petit classeur à roulettes qui avait été poussé dans un coin. Tout en cherchant, il tendait l’oreille vers les bruits qui montaient des klongs. Il repensa aux tracts et se dit que des centaines de millions de brochures semblables devaient circuler dans le monde entier, imprimées dans des centaines de langues et dialectes, par les presses de Hanoi et de Pékin.
- On a rien à craindre ?
- Rien pour cette nuit.
- Cette nuit sera notre nuit, dit-elle doucement. Je veux qu'elle le soit, Sam.
Il se pencha sur elle et l'enveloppa dans ses bras. Elle avait une beauté sauvage, sa bouche humide s'entrouvrait, son corps frissonnait, son baiser était lent et avide. Et Durell comprit que cette fille lui était plus précieuse que la vie.
Ils étaient à plus de cent cinquante kilomètres de Harlanville lorsque Mark choisit un motel pour y passer la nuit. Pendant que Slago allait régler la question des chambres avec le gérant, Mark tira son petit calepin noir de sa poche, arracha une page et la froissa dans sa main. Il la fit disparaître en la brûlant dans le cendrier de la Cadillac.
- A qui le tour ? demanda Erich Corbin.
- Perry Hayward, New York.
- Très bien, on va y aller. (Corbin redressa ses lunettes sur son nez pincé et blafard ; il portait un complet de coton à rayures et un petit nœud papillon impeccable.) ça marchera, Mark. On utilisera les mêmes méthodes.